Loin des rythmes tropicaux de la biguine, même si Cole Porter nous rapproche de la bonne orthographe (when they begin the beguine, it brings back sounds of music so tender...), béguines et béguinages ont des consonances plutôt septentrionales : Belgique, Hollande, Nord de la France.
Les béguines, sortes de religieuses non cloitrées, vivent dans des petites maison individuelles, autour d'une chapelle. L'architecture de quelques béguinages survit alors que le souvenir des béguines s'estompe. Il est vrai que c'est de l'histoire ancienne : le mouvement apparait à la fin du XIIe siècle, s'étend rapidement en Europe du Nord-Ouest pendant un siècle. Dès le début de XIVème siècle il est condamné au Concile de Vienne en 1314 par le Pape Clément V pour « fausse piété ». Les béguines passent à la trappe, si l'on ose dire, avec les Templiers, dont le roi Philippe le Bel convoitait peut-être le trésor.
Le roman d'
Aline Kiner nous apprend qu'il y avait un béguinage à Paris en 1310, fondé par Saint Louis (Louis IX), installé dans le quartier du Marais. L'auteur met en scène quelques béguines accueillant une jeune femme enceinte fuyant un mari violent. La description de cette sororité industrieuse et protectrice est particulièrement heureuse : une vieille béguine herboriste et guérisseuse, style
Hildegarde de Bingen, une belle aristocrate farouche et fascinante, une ancienne béguine reconvertie dans le commerce de tissus et cachant la fuyarde, un moine prêcheur franciscain qui n'a pas que de bonnes intentions et qui apporte l'élément d'intrigue policière qui a fait le succès du Nom de la Rose.
Le tout dans un Paris reconstitué comme une miniature médiévale, avec son grouillement dans les petites ruelles, ses odeurs (infectes), la liturgie qui rythme le temps, des laudes aux complies, ses intrigues et ses menaces, dans un temps d'intolérance et de fanatisme.
Maguerite Porete béguine, poétesse mystique, auteur du Miroir des âmes simples, qui inspirera peut-être
Maître Eckhart, est brûlée en 1310 place de grève, un siècle avant
Jeanne d'Arc : « Seigneur, qu'est-ce que je comprends de votre puissance, de votre sagesse ou de votre bonté ? Ce que je comprends de ma faiblesse, de ma sottise et de ma mauvaiseté..."
Temps lointain qui trouve quelque écho dans le nôtre. Ces femmes veulent vivre libres, sans mari, et hors d'un ordre religieux. Sur le rythme de la poésie du Dit des béguines de Rutebeuf :
Tantôt elle est Marthe, tantôt elle est Marie,
tantôt elle se garde, tantôt elle se marie.
Elles réclament la liberté de sortir, de commercer, de tester. La religion ni l'Église ne le permettent. Hier comme aujourd'hui, la conditions de la femme est un combat pour son émancipation.
Dans un mélange d'érudition et d'émotion, un entrelacs de petite et de grande Histoire,
Aline Kiner fait vivre les jours comptés d'un abri menacé par la tourmente, la traque des hérétiques, le procès de Templiers. Mais il n'est plus temps :
la nuit des béguines est tombée !
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