Ce tome fait suite à Batman Vol. 6: Bride or Burglar (épisodes 38 à 44) qu'il faut avoir lu avant. Pour saisir toutes les saveurs du récit, il faut avoir commencé la série par le premier tome. Celui-ci contient les épisodes 45 à 50 et un récit de 8 pages contenu dans DC Nation 0, initialement parus en 2018, tous écrits par
Tom King.
Épisodes 45 à 47 (dessins et encrage de
Tony S. Daniel, mise en couleurs de
Tomeu Morey, avec l'aide de Sandu Flora et
Danny Miki pour l'encrage) - Green Lantern (Hal Jordan) se tient devant Booster Gold (Michael Carter) et Skeets : il porte son anneau à sa tempe et se suicide. Sous eux la mégapole brûle. Booster Gold indique qu'il est temps pour eux d'aller trouver Batman. À Gotham, Tim Drake se connecte à sa cession de travail dans les entreprises Wayne, pendant qu'un collègue dans son dos lui raconte un meurtre qui a eu lieu dans son bus. Sur le toit du commissariat, Skeets a mis en marche le Batsignal : Batman arrive et ouvre le feu avec un fusil sur Booster Gold, puis lui lance une grenade. À la télé, Tim Drake vante les mérites d'un taser se déclenchant automatiquement en cas de tentative de vol de pneu sur une voiture.
Tom King explique rapidement la situation au lecteur : Booster Gold a eu une idée de génie, et elle s'est transformée en cauchemar comme toute fausse bonne idée qui se respecte. Il montre progressivement l'étendue des dégâts, et l'impact sur les principaux personnages, à savoir Bruce Wayne et Catwoman. Il s'agit donc d'une forme de réalité alternative, ou plutôt de déroulement alternatif de la vie de Bruce Wayne, suite à un cadeau de mariage partant d'un bon sentiment. Gotham est à feu et à sang, et Oswald Cobblepot est président des États-Unis, ce qui ne peut pas être un bon signe.
Tony S. Daniel réalise des planches descriptives très soignées, avec un bon niveau de détails, une capacité impressionnante à transcrire l'intensité des états d'esprit des uns et des autres. Il souligne les éléments les plus superhéroïques, avec des poses mélodramatiques ou agressives, une violence sèche relevée par une pointe de sadisme. le lecteur reste sous le coup du suicide (réussi) de Green Lantern, de l'apparition de Batman bardé d'armes (dont il n'hésite pas à se servir), d'une Catwoman dans un état d'esprit particulier, ou encore de Booster Gold terriblement amaigri après un an d'emprisonnement. Il est tout autant impressionné par le décalage dans les réactions émotionnelles : par exemple l'entrain étrange de Booster Gold après avoir essuyé le sang d'Hal Jordan qui macule sa visière, ou l'indifférence apparente de Catwoman.
Au bout d'un épisode, le lecteur se dit qu'il a compris le principe et se demande si ça valait vraiment la peine de consacrer 3 épisodes à cette histoire alternative dont les conséquences seront effacées à la fin du troisième épisode. La lecture est divertissante et très énergique grâce aux dessins, mais quand même… Quand même, il se rappelle à nouveau que le véritable enjeu réside dans la relation entre Batman et Catwoman. Avec cette idée en tête, il reconsidère ce qu'il vient de lire et contemple un drame atroce et poignant, une malédiction d'une rare cruauté.
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DC Nation 0 (dessins & encrage de
Clay Mann, couleurs de
Jordie Bellaire) -
Joker s'invite chez un particulier dans un pavillon de banlieue. Il lui indique qu'il va recevoir une invitation au mariage de Batman.
Joker compte bien s'approprier ladite invitation. L'attente du facteur commence.
L'attente commence : horrible, une tension malsaine entre le père de famille s'attendant à un éclat de violence meurtrière de
Joker, et ce dernier verbalisant son train de pensées, avec des sous-entendus menaçants, et des sauts de logique.
Clay Mann est dans une forme éblouissante, toujours dans un registre descriptif et réaliste, avec une mise en scène plus personnelle qu'à son habitude, participant à l'élévation de la tension au fur et à mesure des cases.
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Épisodes 48 & 49 (dessins & encrage de
Mikel Janín, couleurs de
June Chung) -
Joker détient des otages dans une église, et Batman intervient. Il s'en suit une discussion entrecoupée d'échange de coups. Batman reste sur le carreau, mais Catwoman décide d'intervenir, et il s'en suit une deuxième discussion, cette fois-ci entre elle et
Joker.
Ce n'est donc encore pas ces épisodes que se déroule le mariage attendu. le fidèle lecteur de Batman se rend vite compte que c'est un point de passage logique et nécessaire : pour pleinement embrasser la vie de Batman, Catwoman doit se confronter à
Joker, en tant que partenaire de Batman. Sous réserve d'être attentif, le lecteur observe qu'il se passe quelque chose lors de cette deuxième discussion. Ce n'est pas une évidence, parce que
Mikel Janín effectue un travail particulièrement méticuleux. En apparence, il raconte visuellement l'histoire avec une plus grande objectivité que
Clay Mann. Il dessine avec soin chaque décor, à commencer par la façade de l'église, son architecture intérieure, les bancs, l'autel, la texture des pierres, etc. le lecteur se projette sans aucun effort dans ce bâtiment, prenant progressivement conscience que Batman et
Joker se rapprochent petit à petit de l'autel, comme une métaphore du lien qui les unit. Après l'explosion qui neutralise Batman, l'artiste s'investit pour représenter chaque pierre de taille délogée et amoncelée au milieu des gravats, ainsi que les poutres. le lecteur a le souffle coupé par le dessin en double page montrant l'église en vue de dessus, par l'absence totale d'empathie quand
Joker abat un otage à bout portant, par la scène surréaliste quand Batman s'agenouille aux cotés de
Joker comme pour prier, par le ballet de Catwoman semblant danser autour de
Joker pour lui porter des coups.
Mikel Janín apporte le même soin à représenter les visages, à y montrer les émotions. Il n'est pas si facile que ça de dessiner le visage de
Joker sans tomber dans l'écueil de l'exagération, sans reprendre une version précédente. Ici, l'artiste sait montrer sa folie meurtrière, ses sautes d'humeur, de la colère au doute soudain, sa malice calculée, mais aussi sa surprise quand
Joker découvre la survenance d'une émotion dont il ne soupçonnait pas qu'il pouvait l'éprouver. Il retrouve une expressivité de même qualité sur le visage de Catwoman : la souffrance causée par sa blessure, le calme alors qu'elle gît allongée, une forme de vague à l'âme. Petit à petit le lecteur prend conscience que le visage de Catwoman n'était pas aussi expressif dans les premières pages de l'épisode 49. Il tourne quelques pages en arrière pour voir ce qu'il en était du visage de Batman lors de sa confrontation contre
Joker. Il finit par s'interroger sur l'impact émotionnel réel des propos de
Joker sur Selina Kyle, sur sa réaction dans la dernière case de l'épisode 49, sur ce qui vient réellement de se dérouler sous yeux, sur les enjeux profonds.
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Épisode 50 (dessins & encrage de
Mikel Janín, couleurs de
June Chung) - le temps est venu des derniers préparatifs pour la cérémonie : choisir chacun un témoin, trouver un juge, et déterminer le lieu.
Il s'agit d'un épisode d'une quarantaine de pages.
Mikel Janín a dessiné les pages d'histoires proprement dites, avec la même méticulosité précise que les 2 épisodes précédents, un soin extraordinaire qui ne provoque pas de lourdeur. Il suffit de contempler le dessin en double page avec Selina Kyle arrivant d'un côté de la bibliothèque du manoir Wayne, et Bruce Wayne de l'autre, pour se rendre compte de sa magnificence : les poutres apparentes, la marquèterie du parquet, les ouvrages sur les rayonnages, la dimension romantique des promis arrivant chacun de leur côté. Splendide et délicat. Cette narration traditionnelle est entrecoupée de dessins en pleine page réalisés par
José Luis García López,
Becky Cloonan,
Jason Fabok,
Frank Miller,
Lee Bermejo,
Neal Adams,
Tony S. Daniel,
Amanda Conner,
Rafael Albuquerque,
Andy Kubert,
Tim Sale, Paul Pope,
Mitch Gerads,
Clay Mann,
Ty Templeton,
Joëlle Jones,
David Finch, Jim Lee,
Greg Capullo,
Lee Weeks. La plupart de ces pages sont superbes, et certaines sortent vraiment du lot.
Tom King se livre à un exercice de haute volée en faisant courir des pensées intérieures exprimant l'amour que Selina porte à Bruce, et celui de Bruce pour Selina. L'ensemble tient la route sans être ridicule ou naïf, réellement émouvant.
Encore une fois,
Tom King défie les attentes dans sa structure narrative. En premier lieu il semble raconter des histoires évidentes, pas forcément passionnantes, mais bénéficiant d'artistes de haut vol qui parviennent à les rendre intéressantes et prenantes. S'il a accroché à la relation romantique entre Selina et Bruce, le lecteur se délecte de son évolution au travers de ces péripéties plus révélatrices qu'il n'apparaît de prime abord.