C'est l'été aux USA. Tout le monde ou presque profite des vacances. Pourtant un gros grain de sable va venir salement perturber les rouages de l'american way of life. Et oui, un accident survient au sein d'un labo de recherche gouvernemental sur les armes bactériologiques et virales. Les portes se referment un poil trop tardivement alors que l'alerte est donnée. Un soldat embarque sa petite famille en urgence et s'enfuit de la base secrète où avaient lieu les expériences : il pense pouvoir échapper au carnage. Mais la souche de cette grippe-A modifiée est virulente. le troufion n'a fait que démarrer une épidémie, qui deviendra pandémie, et qui laissera sur le carreau un peu plus de 9 habitants sur 10. Tic, tac, tic, tac, tic... le temps passe et l'épidémie prend de l'ampleur. Tout le monde tousse, tout le monde a de la fièvre. Tic, tac, tic, tac, tic, tac... le temps file et aucun vaccin n'est trouvé. Presque tout le monde crève étouffé dans son mucus, presque tout le monde s'éteint rongé par la fièvre. Les mises en quarantaine ? Inutiles ! Les mensonges du gouvernement ? Pas plus utiles, personne n'est dupe. le monde s'effondre très rapidement. On ne sait plus quoi faire des cadavres qui s'entassent. Tic, tac, tic, tac, tic, tac, tic... de très rares personnes sont immunisées. Elles sont hantées par des rêves similaires : un champ de maïs vert où réside la doyenne américaine du nom d'Abigaël. Tic, tac, tic, tac... le rêve devient aussi un sacré cauchemar quand un homme sans visage surgit, les yeux du démon habillant son faciès ombrageux. Quel camp choisiront donc les habitants ayant survécu ? Sauront-ils trouver les ressources pour s'en sortir ?
Le Fléau est un très long roman post-apocalyptique, teinté de mysticisme et d'horreur, dont les deux tomes de l'intégrale pèsent au bas mot 1500 pages en cumulé. Cette édition intégrale regroupe/condense les trois tomes originaux, et propose certains ajouts oubliés à l'époque de la première impression pour des raisons principalement économiques. Voici donc le premier volume de cette nouvelle intégrale, qui nous permet de plonger dans un roman choral où l'on suit alternativement les parcours de protagonistes divers et variés : il y a Fran, qui un polichinelle dans le tiroir, et qui se retrouve à devoir partager son existence avec le fils pour le moins farfelu de ses voisins ; il y a Larry, un musicien quelque peu perturbé qui n'aura pas pu profiter de sa célébrité naissante ; il y a Stuart qui devient un cobaye pour les agents gouvernementaux qui veulent étudier son immunité ; il y a aussi Lloyd, un vandale perché qui se retrouve à attendre la mort tout seul, oublié dans sa cellule exiguë ; il y a également le gentil Nick, sourd et muet de naissance, qui s'est fait lâchement agresser par un groupe de gros bras débiles ; et il y en a encore beaucoup d'autres, comme La Poubelle et sa fascination pour le feu, ou bien cet étrange et très flippant Flagg qui sème le chaos partout où il passe
et qui semble pouvoir manger votre âme si vous ne vous en méfiez pas.
N'y allons pas par quatre chemins : le Fléau (T1) est une merveille d'écriture.
Stephen King nous trimballe dans une Amérique en proie à la peur et à l'effondrement. Il nous fait jongler d'un protagoniste à l'autre avec maestria. On suit le parcours de tous les personnages avec fascination, tant les pensées qui les traversent, les émotions qui les habitent, et le monde qui les entoure, sont décrits avec précision, cohérence, justesse. Cet auteur que nous connaissons probablement tous, au moins de nom, révèle encore une fois toute l'ampleur de son talent. Chaque histoire est prenante. Chaque destinée est symbolique. le moindre petit détail a son importance. Il manie l'humour (très) noir avec jubilation, et sait nous émouvoir lorsque le besoin s'en fait ressentir. Les scènes d'action sont nombreuses et bien ficelées. Les questionnements introspectifs ne le sont pas moins. le rythme est plutôt soutenu, mais les pauses sont pourtant relativement nombreuses et apportent leur lot de détails utiles. On s'attache au personnages. On vibre avec eux. On a peur avec eux. On est en colère avec eux. On veut s'en sortir, tout comme eux. Il y a des étapes de grande tristesse, de grande solitude, des espoirs ténus qui vont grandissant ou qui s'arrêtent net, des actes de bravoure, des rencontres pas jolies jolies là où d'autres sont plus salvatrices.
Et puis il y a des scènes grandioses. Vraiment. La traversée du tunnel pour sortir de New-York. L'attente interminable dans le couloir de la mort. La fuite du labo à la recherche de la liberté. Les chocs psychologiques quand l'esprit prend finalement conscience de la réalité sordide qui est devenue le quotidien. L'immense tristesse de voir des gens super chouettes mourir comme des animaux, rongés par la maladie.
Et si la plupart des chapitres sont dédiés aux aventures individuelles de chaque protagoniste, King déploie également son talent en consacrant certains passages aux événements dans leur globalité. En nous racontant, telles de courtes dépêches, les tranches de vie et de mort d'individus "random" lors de la diffusion du virus, lors d'épisodes de rébellion, ou de tentatives de survie post pandémie. le King de l'horreur et du suspense nous raccorde aux épreuves que traversent les plus anonymes d'entre les anonymes. On a l'impression d'y être. Et l'on comprend bien que si les USA échappent de peu à une véritable guerre civile, c'est bien parce que le virus tue trop vite et en trop grand nombre les citoyens de cet immense pays.
En tout cas, le Fléau est un livre très particulier à lire
après avoir connu l'épisode Covid-19, c'est vraiment perturbant. Certaines séquences résonnent très fortement avec ce que l'on a traversé ces dernières années, même si le virus du Fléau est évidemment bien plus léthal que celui auquel nous avons pu être confrontés. Et si
Stephen King n'est pas tendre avec les individus lambda, il n'est pas moins critique à l'égard du gouvernement et de ses mensonges.
J'en termine en précisant qu'au delà du côté post-apocalyptique réaliste admirable que
Stephen King a su créer, l'auteur a également doté son oeuvre d'un côté quasi Biblique avec deux camps prêts à s'affronter : l'éternelle bataille du Bien contre le Mal. On retrouve aussi des sujets et des profils types de l'écrivain : le démon incarné prêt à tout vous donner en échange de votre âme, l'écrivain raté, l'artiste célèbre en souffrance, le condamné à mort, le Maine, l'incompréhension entre le monde citadin et celui de la campagne, le souffre-douleur simple d'esprit, etc...
Le Fléau (T1) est un grand livre, oui mesdames, oui messieurs !
Il n'est pourtant pas le préféré de son auteur, qui s'étonne encore de l'immense succès de cette longue et éreintante aventure à propos de laquelle de nombreux fans le questionnent encore aujourd'hui. Je ne peux pas les critiquer, je suis moi-même monté dans le train.