Il s'agit de l'adaptation en une minisérie de 4 épisodes (parus en 2010/2011) d'une des nouvelles de
Juste avant le crépuscule de
Stephen King. Dans un premier temps,
Marc Guggenheim (scénario) et
Alex Maleev (illustrations) ont adapté cette nouvelle "N." en webisodes sur internet. Dans un deuxième temps ils ont retravaillé ce format pour en faire une bande dessinée.
Une coupure de journal apprend au lecteur qu'Andrew Ackerman s'est donné la mort dans son champ le 26 juillet 1916, après avoir abattu sa femme et sa fille. En mai 2008, Sheila écrit à
Charlie, un ami d'enfance, pour lui transmettre un dossier trouvé dans les affaires de son frère John Bonsaint qui s'est suicidé peu de temps auparavant. John Bonsaint était un psychologue et il traitait un patient qu'il avait surnommé N. Ce monsieur souffrait de troubles obsessionnels compulsifs (des TOC) assez sévères dont l'intensité augmentait à l'approche des solstices. Il estimait que les premières manifestations de ces TOC coïncidaient avec sa première visite au champ des Ackerman. Avant de mourir Bonsaint avait laissé le dossier de ce patient dans une boîte en carton portant la mention "à brûler".
N'ayant pas lu la nouvelle de
Stephen King (écrite pour rendre hommage à
le grand dieu Pan d'
Arthur Machen), il ne me sera pas possible de comparer la bande dessinée à la nouvelle. Outre le nom de
Stephen King, j'ai été attiré par le nom du scénariste (scénariste de comics et de séries télé), et surtout par
Alex Maleev qui a une vision personnelle et construite des illustrations. Il travaille souvent avec
Brian Michael Bendis, par exemple pour Daredevil, Halo, Spider-Woman, Moon knight ou Scarlet.
Alex Maleev construit des planches comprenant des 4 à 6 cases chacune. Son style se distingue par 3 composantes majeures. Premièrement il utilise des références photographiques pour élaborer ses dessins ; c'est-à-dire que tout du long le lecteur a l'impression de voir la photographie, sous le dessin. Il indique d'ailleurs dans les pages de fin qu'il a choisi son comptable comme modèle pour jouer le rôle de N. Ces fonds photographiques sont intégrés sans solution de continuité dans les illustrations par le biais d'un travail d'infographie sophistiqué. Maleev retouche à la fois les contours, les ombrages, les couleurs et les décors. Deuxièmement, ce sont les encrages qui attirent l'oeil. En fonction des éléments du dessin, Maleev accentue quelques zones d'ombres pour en faire des aplats de noir qui mangent une partie du dessin, et qui accentuent une texture avec des bords déchiquetés, ou qui donnent plus de poids à un personnage qui capte immédiatement le regard du fait de cette concentration de noir. À l'opposé, il peut adopter des traits très fins pour délimiter de menus détails tels qu'une paire de lunettes posée sur une feuille de papier, les briques d'une façade, le capharnaüm d'une superette, et bien sûr la texture des monolithes du champ d'Ackerman. Troisièmement, Maleev effectue un travail très personnel sur les compositions de couleurs. Il profite de l'infographie pour créer des teintes et des dégradés qui marient des couleurs délavées pour un effet un peu inquiétant et glauque, avec des couleurs plus vives pour accentuer la violence de certaines sensations, ou la vivacité de la lumière.
Pour cette histoire,
Alex Maleev a apporté sa vision personnelle aux illustrations. Il a créé chaque case avec un peu plus de retenue que celles de "Scarlet", moins de recherche d'effets artistiques. le style quasi photographique peut déplaire à certains lecteurs car l'impression de photos retouchées l'emporte sur les autres éléments graphiques. Toutefois, une lecture bienveillante des cases fait apparaître que Maleev ne se contente pas de passer chaque photo par plusieurs filtres prédéfinis, et qu'il effectue un vrai travail de composition. À plusieurs reprises, les illustrations réussissent à faire passer le sentiment diffus de malaise éprouvé par les personnages. Maleev réussit également de belles compositions et quelques images vraiment magnifiques, telle la réflexion du coucher de soleil sur le pare-brise de la voiture que conduit N. en se rendant au champ d'Ackerman (dans le premier épisode). Il y a quelques visuels moins convaincants, tels la double page consacrée à Cthun dans le même épisode.
La tâche de
Marc Guggenheim n'est pas simple non plus : il doit transposer un texte d'un des maîtres de l'horreur sans le trahir, tout en trouvant les formes exigées par la bande dessinée et en faisant passer l'horreur ressentie par les personnages. Dans l'introduction il explique qu'il a dû abandonner une partie des dispositifs narratifs de
Stephen King (histoire racontée au travers de différents supports, tels que lettres, rapports, etc.) pour une narration plus directe. À la lecture, toutes les séquences ne fonctionnent pas, que ce soit du fait d'une narration prosaïque qui n'arrive pas à faire partager l'état d'esprit d'un personnage, ou que ce soit du fait, plus rarement, d'une illustrations trop premier degré (la représentation de Cthun). Il reste cependant une ambiance prenante, un récit immersif et plusieurs passages angoissants.
Transcrire une nouvelle de
Stephen King dans un autre média est un exercice périlleux,
Marc Guggenheim effectue une transposition qui tient la route (il s'agit d'une vraie bande dessinée), malgré quelques scènes n'arrivant pas à transmettre l'effroi voulu.
Alex Maleev effectue une mise en images pleine de personnalité, avec des passages saisissants et d'autres trop factuels. Si cette adaptation n'est pas parfaite, elle est réussie à plus de 80%.