Sven A. Kirsten se définit comme un archéologue intrépide explorant la mer urbaine de Los Angeles à la recherche de son Rosebud: les vestiges du pop polynésien des années 50. Ecumant les dépôts-ventes et les bouquinistes, il traque les menus de restaurants, les disques de musique polynésienne ou les coupes à cocktails, Graal du collectionneur de chopes.
Car il fut un temps où l'Amérique triomphante et prospère vouait un culte à des mers du Sud de pacotille. Quand, à la fin de la seconde guerre mondiale, les G.I. cantonnés dans le Pacifique rentrent au pays avec des récits de huttes et de filles à la naïve sensualité, l'Amérique se souvient des verts paradis des amours enfantines et se met à lire les romans de
James Michener aux titres évocateurs, Tales of the South Pacific, Return to paradise...
Désormais, chaque ville se doit de posséder son bar tiki, son motel tiki et son parc d'attraction décorés de pirogues et de fleurs en plastique, où des latino-américaines et des asiatiques accueillent le client. L'homme yankee vêtu de son costume gris n'aspire plus qu'à se rendre au Bar des Sept Plaisirs après une dure journée de labeur. Là, il boit des cocktails baptisés The Zombie, Navy Grog ou Vicious Virgin servis dans des ananas géants. Sur scène, une jeune femme tiki vêtue d'un bikini panthère est jetée dans un volcan de carton-pâte par des danseurs de houla, pendant que de faux éclairs zèbrent la salle.
Holywood bien sûr succombe à la folie tiki. L'acteur de série Z
Stephen Crane ("Le Cri du loup-garou"), ancien mari de Lana Turner, comprend vite que puisque les hommes aiment les lieux qui attirent les femmes, il faut rendre ces endroits "aussi appétissants qu'un pot de miel", et fait venir des call-girls, souvent d'anciennes starlettes, pour y boire des Mai Tai et danser le limbo.
Hélas, les années 60 sonnent le glas de la culture tiki. La ménagère relègue ses masques et ses sièges en rotin à la cave, les bars ferment les uns après les autres.
Quand l'Amérique s'embourbe au Vietnam, l'ailleurs a des airs de cauchemars.
Il ne nous reste donc plus qu'à feuilleter The Book of Tiki, véritable bible du pop polynésien qui contient peu de texte mais une riche iconographie, et faire un agréable voyage dans le temps, dans une Amérique triomphante et un peu naïve quand même, où les barmen étaient des dieux. On peut ainsi admirer les intérieurs de deux chantres du bon goût, Hugh Heffner et Elvis Presley, l'un possédant une piscine tiki avec cascade et statues, l'autre une jungle room avec couvre-lit en peau de bête, ou apprendre à construire son propre tiki à l'aide d'une tronçonneuse.