Cinq ans après être arrivée en Suisse, je parle le français, mais je ne le lis pas. Je suis redevenue une analphabète. Moi, qui savais lire à l’âge de quatre ans. Je connais les mots. Quand je les lis, je ne les reconnais pas. Les lettres ne correspondent à rien. Le hongrois est une langue phonétique, le français, c’est tout le contraire.
Mars 1953. Staline est mort. Nous le savons depuis hier soir. La tristesse est obligatoire à l'internat. (p.25)
A ma connaissance, aucun écrivain russe dissident n𠆚 abordé ou mentionné cette question-là. Que pensent-ils, eux qui ont dû subir leur tyran, que pensent-ils donc de ces « petits pays sans importance » qui ont dû subir une domination étrangère, la leur. Celle de leur pays. Ont-ils, ou auront-ils honte une fois de cela ?
Pour écrire des poèmes, l'usine est très bien. Le travail est monotone, on peut penser à autre chose, et les machines ont un rythme régulier qui scande les vers. Dans mon tiroir, j'ai une feuille de papier et un crayon. Quand le poème prend forme, je note. Le soir, je mets tout cela au propre dans un cahier.
(p.50)
Comment lui expliquer, sans le vexer, et avec le peu de mots que je connais en français, que son beau pays n'est qu'un désert pour nous, les réfugiés, un désert qu'il nous faut traverser pour arriver à ce qu'on appelle "l'intégration", "l'assimilation". A ce moment-là, je ne sais pas encore que certains n'y arriveront jamais.
Deux d'entre nous sont retournés en Hongrie malgré la peine de prison qui les y attendait. Deux autres, des hommes jeunes, célibataires, sont allés plus loin, aux Etats-Unis, au Canada. Quatre autres, encore plus loin, aussi loin que l'on puisse aller, au-delà de la grande frontière. Ces quatre personnes de mes connaissances se sont donné la mort pendant les deux premières années de notre exil. Une par les barbituriques, une par le gaz, et deux autres par la corde. La plus jeune avait dix-huit ans. Elle s'appelait Gisèle.
A l’exaltation des jours de la révolution et de la fuite se succèdent le silence, le vide, la nostalgie de nos jours où nous avions l’impression de participer à quelque chose d’important, d’historique peut-être, le mal du pays, le manque de la famille et des amis.
Quelle aurait été ma vie si je n'avais pas quitté mon pays ? Plus dure, plus pauvre, je pense, mais aussi moins solitaire, moins déchirée, heureuse peut-être.
Ce dont je suis sûre, c'est que j'aurais écrit, n'importe où, dans n'importe quelle langue. (p.40)
adapté au théâtre sous le titre Je lis par Sifiane El Asad (2008)
Autobiographique, écriture journalistique
Livre très court où elle décrit quelques étapes de sa vie. Je n’ai pas sentie l’aspect biographique, je l’ai davantage sentie dans ses romans.