"Contes sauvages" est ce que Jean de la Varende appelait une suite romanesque.
Jean de la Varende, certainement le plus normand de tous les auteurs français, façonne chacun de ses textes comme une peinture de Jean-François Millet, comme une armoire normande ou comme une de ces vieilles églises qui, en Normandie, sont le centre de chaque bourg.
Ces contes n'ont du conte que le nom.
De leur charpente épaisse on n'extrait la finesse que lorsque l'on s'y attarde, lorsque à mieux y regarder l'on en perçoit toute l'élégance.
"Contes sauvages" est un recueil de trois nouvelles qui ouvre une trilogie au titre éponyme :
- "Contes sauvages", "Contes amers" aussi intitulé "Contes sauvages II" et "Contes fervents" parfois nommé "Contes sauvages III".
"La Finette" ouvre le recueil.
Finette, jeune fille que tout le monde aimait, ressemblait à un blond épi.
Lorsqu'elle eût fini de traire la belle Martonne, grande vache du pays d'Auge, deux truands libidineux, Rudel le grand et Bourdeau, rondouillard et mou, surgirent dans son dos ...
Sauvage est bien ce premier "conte".
Et c'est quelque chose que la description de ces deux truands-là.
La plume De La Varende fait merveille.
Chaque mot, chaque phrase, chaque paragraphe ajoute à l'épaisseur et à l'humanité des personnages.
Et cette sauvagerie est ici de celle qui étreint le coeur.
Enserrée par des mots puissants, elle n'a, en traversant le temps, rien perdu de sa force.
"Le bouffon blanc", plus long que les deux autres, est le texte central du recueil.
Il a pour décor le temps de la chouannerie normande, un temps où le mouvement en Vendée déjà était mort, où en Bretagne il emplissait ses fosses communes.
Seul, sur les terres normandes, sous l'hiver pluvieux, Louis de Frotté marchait encore ...
La sauvagerie ici se teinte d'héroïsme.
Le bouffon blanc, Joseph Culcu, moitié moqué, moitié moqueur, a fait de sa vie un pitoyable éclat de rire.
Mais en faisant connaissance d'Orlandes, un de ces jeunes royalistes qui servaient d'aide de camp de Frotté, il va devenir, jusqu'à l'ultime sacrifice, un indispensable agent de liaison ...
Jean de la Varende, écrivain du passé, homme de tradition souvent taxé de conservatisme, insuffle à ce récit toute la force et l'élégance que son coeur a pu déposer sur sa plume.
"Le couteau" est le troisième et dernier texte du recueil.
Il m'a paru moins authentique, moins soigné ou moins réussi que les autres.
Maria retrouve Dorsan.
Ce sont les retrouvailles de la jeune fille riche avec le jeune homme pauvre qu'elle n'aime plus.
Un couteau, entre eux, vient se ficher dans leur amour défunt ...
"Contes sauvages", dans son édition rouennaise, est illustré par Pierre le Trividic.
Ses dessins, tirés d'un fusain torturé, sont comme autant d'expressions supplémentaires à la "sauvagerie" des mots.
Ils ajoutent à la force de l'ouvrage ...
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Le goût et la volonté de faire rire sont un de ces vices de l'esprit qui ne pardonnent pas. Aux époques sanglantes, ils doublent la sauvagerie en déguisant l'attentat, en avilissant le martyr; lorsque le carnage des prisonniers de Quiberon fut perpétré, enfin, et que sept cent vingt-deux corps, froidement fusillés, pantelèrent sur le pré de Brech, l'armée républicaine subit un moment d’affaissement et de transe; le sang, comme une averse, se réunissait et coulait en ruisseau; les soldats regardaient couler ce flot inexpiable...Un ancien charcutier dit:
-"Que de boudin perdu pour la Chandeleur".
Et l'armée, rigolant, retrouva sa fierté (amiral de Langle, d'après un témoin)
Oui, vienne la mort qui planait en cercles toujours plus courts sur les royaux! fonde la mort qu'ils appelaient, déjà grisés d'elle dans leurs plaisirs et leurs attaques, dans leurs raisons et dans leurs moelles. A cause perdue, enfants perdus!
Des flancs profonds de la France, montaient incessamment troupes, régiments, brigades, armées, convergeant tous vers ce point unique où résistaient les derniers Blancs. La Vendée était morte, réduite au tiers de sa population; la Bretagne devenait féconde de ses fosses communes; Boisguy, dans l'Avranchin, succombait...Seul, sur les terres suintantes, sous l'hiver pluvieux, sous les écharpes d'eau, Frotté marchait encore l'épée nue.
On le connut jusqu'à la Grande Guerre, où moururent toutes les légendes, en face d'une telle souffrance qu'elle n'a même pas créé de tradition ...
"J'irai seul", dit Frotté; mais ils ne voulurent pas. Alors le chef vida l'étrier gauche : "Monte!" L'autre hésitait. "Monte donc, mon fou." Il l'attira doucement par l'habit. Sans descendre de cheval, le dernier général du roi embrassa le pauvre homme, serrant contre lui, dans une suprême tendresse, tous ses paysans, tous les martyrs, la fleur ensanglantée des sillons normands.
Vent, pluie, nourriture épaisse, vin bleu lui avaient peinturluré la face; il était écarlate comme champignon traître, vermillon comme un bolet-pustule.
Mademoiselle de Corday
Jean de la Varende
Éditions Via romana
Initialement paru en 1939, ce portrait psychologique de Charlotte Corday est l'occasion pour l'auteur, royaliste et contre-révolutionnaire, de reconnaître la diversité des oppositions à la Révolution française. Il résume l'essence de l'assassin de Marat à une identité fantasmée : fille de gentilhomme, païenne, vierge, viking et normande. ©Electre
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