Léo a quitté le collège à treize ans. Il n'a jamais connu ses parents, disparus trop vite, sans un mot. Elevé par sa grand-mère qui cautionne, voire provoque son apprentissage manqué avec l'écrit, Léo grandit dans une forme d'imposture. A seize ans, il travaille dans un atelier d'imprimerie et voit défiler sous ses yeux la brume de lettres dont il perçoit les contours mais dont le sens lui échappe, évanescent. Léo est illettré, en a honte, surtout quand il fait connaissance avec sa voisine, Sibylle, la belle infirmière qui lui propose de renouer avec l'écrit.
« illettré » est un roman écrit par
Cécile Ladjali, agrégée de lettres modernes, enseignante de littérature dans le secondaire ainsi qu'à la Sorbonne nouvelle. L'écriture de l'auteur tend un miroir en creux aux thèmes qu'elle aborde : autant Léo souffre d'un manque de lettres, peinant à exister, à se lier à d'autres que son reptile inerte sous sa lampe chauffante, autant les mots qu'utilise
Cécile Ladjali pour peindre cette amputation de soi sont travaillés, ciselés, magnifiés au creuset de son érudition. La langue est belle, emplie de métaphores choisies pour conter l'ignorance et l'envie d'un homme de se sortir de cette condition.
Et pourtant, le ton m'a semblé trop souvent didactique, voire clinique, parfois trop binaire. Tout aussi travaillés soient-ils, certains passages de l'intrigue sonnent creux. Pour autant, les réflexions qui la portent sont passionnantes : peut-on entrer dans l'écrit quand on s'est toujours tenu à l'orée de ce monde ? Quelles conditions permettent ce passage ? Reste-t-on marqué par le sceau de son éducation, ou peut-on s'en affranchir, recouvrant sa liberté et son humanité ?
Le final semble oblitérer la lumière et vient rappeler celui du roman de
Laurence Cossé : «
Les amandes amères » qui abordait une thématique proche, celle de l'analphabétisme.
Il reste les mots de Léo au bout du chemin, conquérant des lettres et d'une missive, qui se réjouit de façon énigmatique : « Je suis l'auteur et le destinataire comblé de mon propre envoi. Personne n'a tenu le stylo à ma place. J'ai écrit le vide, j'ai posté le vide, et j'ai signé toute ma vie. » (p. 212.)