L'enfant qui regarde

Commande à la Librairie Caractères/ Issy (27 avril 2022)

Comme une météorite !..

Un récit aussi bref qu'intense....
un petit garçon (l'auteur) élevé par sa mère, seule...le papa a disparu du jour au lendemain, première cause évoquée : d'être contre le régime Haïtien en place...autre possibilité :être parti pour une autre femme...Nous n'en saurons pas plus !

Un gamin en manque de père et de repère masculin...va être quasi obsédé par un voisin solitaire,ancien professeur brillant...atypique, qui va lui donner des cours de rattrapage mais pas seulement...il va lui transmettre toute la culture qu'il aime: poésie, musique....Cet homme est mystérieux, énigmatique....et de nombreuses rumeurs sulfureuses courent sur lui...

Deux très beaux portraits croisés : d'un enfant plus rêveur, plus contemplatif que la normale, qui apprend la vie...et se trouve des modèles dont ce Monsieur Gérard qui ne ressemble à personne...et qu'il adore !
Des observations cinglantes disséminées dans le récit sur la situation dramatique Haïtienne causée par le régime dictatorial !...

La chute est aussi atypique et hors du commun que la personnalité de cet ancien professeur....complètement foudroyante et bouleversante !!

J'achève avec deux extraits très significatifs :

"Je reste sur le muret.Je suis comme ça. On ne me changera pas.Je préfère regarder plutôt que de participer. Ma mère déteste ce côté contemplatif chez moi.Elle aurait aimé que je sois plutôt un homme d'action.Quand je veux vraiment quelque chose, je suis capable de remuer ciel et terre pour l'avoir.Le problème, c'est que très peu de choses,à mon avis,valent la peine.Alors je me contente de regarder. Je remarque qu'on apprend beaucoup à regarder. (...)

Un enfant qui regarde mûrit plus vite que celui qui n'arrête pas de courir. L'enfant qui regarde est toujours plus mélancolique. (p.49)"

Ce Monsieur Gérard va devenir pour l'enfant comme un modèle à suivre...un homme supérieurement intelligent et différent, lui ouvrant les horizons,de par ses connaissances et son art de vie...

"C'est un homme déroutant qui cherche à enchanter les moindres actes de la vie quotidienne. (...)
Je prends un grand plaisir à l'observer du coin de l'oeil pendant des heures, puis je rentre chez moi pour l'imiter.
A l'époque, je n'avais qu'une ambition dans la vie: devenir Monsieur Gérard. (p.16)"
"

Manuel, Dix ans, vit avec sa mère dans un quartier pauvre de la ville. Ils ont déménagé de nuit suite au départ du père, pour éviter les commérages. Manuel connaît deux versions du départ précipité de son père : l'opposition au régime en place ou une autre femme. Sa mère à un récit tout préparé si on lui demande une explication de leur présence dans ce quartier.

Leur voisin est un professeur de littérature qui ne travaille plus et vit enfermé chez lui. La mère qui le rencontre chaque matin en allant à la messe lui demande de donner des cours particuliers à son fils qui a de mauvais résultats scolaires. Manuel est sous le charme de son professeur qui lui apprend à écouter Wagner, à lire Baudelaire. Monsieur Gérard aurait été renvoyé d'une école religieuse de filles et serait venu s'enterrer dans cette pièce sordide d'un quartier qui ne correspond pas à son maintien et son érudition.

Manuel, fin observateur, décide de mener l'enquête. Surtout qu'il se peut que Monsieur Gérard soit son père. Il retrouve des personnes connaissant bien son voisin et apprend que tout a commencé une quinzaine d'années auparavant avec une gifle.

L'épilogue est surprenant à la hauteur de cette nouvelle, de 64 pages, dense comme un roman. La vie en Haïti, le manque du père, l'admiration pour un autre homme, la mythomanie et les mythes, c'est à dire les ragots, et cela ne s'arrête pas. La magie des mots remplit les pages de détails et de pensées. du grand art.
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Manuel est en manque d'image paternelle : son père est parti quand il était petit et il ne sait pas vraiment pourquoi, sa mère préférant se cacher derrière le silence. A-t-il fui la dictature, est-il parti pour une autre femme ? le pourquoi finalement va occuper peu d'espace dans le récit, le manque étant le plus important pour l'enfant.

Sa mère a rencontré Monsieur Gérard alors qu'elle se rendait à la messe de quatre heures du matin, et devant la détresse de cet homme, son empathie l'a poussé à lui apporter un bol de soupe. On apprend que cet homme était enseignant et qu'il a tout perdu : dans un lycée privé, ses élèves le trouvaient tellement beau qu'elles tombaient amoureuses de lui. Et bien sûr, c'est lui qui a été accusé de harcèlement et il a été renvoyé.

Il finit par être logé dans un studio et la mère de Manuel lui demande de donner des cours à son fil pour améliorer ses difficultés scolaires. Ce qui va très bien fonctionner. Manuel va découvrir l'univers de Mr Gérard, sa passion pour Baudelaire, et Wagner qu'il écoute religieusement lorsqu'il est seul. L'enfant va projeter sur lui l'image du père qui lui manque, (l'idéal du père serait plus exact). Désirant en savoir plus sur Mr Gérard, il va poser des questions au Docteur Hyppolite.

Mais, là encore, les versions diffèrent, rumeur oblige. Mr Gérard aurait été amoureux d'une belle femme dont le mari jaloux serait venu le gifler, par exemple. Pour d'autres, il serait en fait impuissant. Quoi qu'il en soit, cet homme étrange, mystérieux va fasciner l'enfant rêveur qui peu à peu se lance dans une quête presque obsessionnelle pour découvrir le passé, la personnalité de cet homme.

L'auteur nous propose deux beaux portraits et rend ces deux personnages très attachants, de même que la mère de Manuel et son attitude parfois étrange. Comment ne pas être troublé par cette phrase :

Un enfant qui regarde mûrit plus vite que celui qui n'arrête pas de courir. L'enfant qui regarde est toujours le plus mélancolique. Je pense tout le temps. Je n'arrête jamais, et cela énerve ma mère.

Quel talent ! un conteur dans l'âme, Dany Laferrière ! il emmène le lecteur très loin, avec une écriture chantante, pleine de poésie ! cette nouvelle de soixante-quatre pages m'a fait faire un beau voyage, en Haïti et au pays de l'amour, car la fin est superbe. Un seul défaut ce livre, évidemment, il est trop court j'aurais aimé que cela dure encore et encore…

C'est ma première incursion dans l'univers de Dany Laferrière, auteur que j'ai repéré depuis longtemps, dont j'ai apprécié chacune des prestations à La Grande Librairie, mais voilà toujours remis à plus tard… Kolossal erreur !!! mais vue la bibliographie de l'auteur, j'ai encore de belles découvertes en perspective, le plus dur va être de choisir

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteur

#Lenfantquiregarde #NetGalleyFrance !
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"Un enfant qui regarde mûrit plus vite que celui qui n'arrête pas de courir. L'enfant qui regarde est toujours le plus mélancolique."
Haiti, un quartier pauvre de Port-au Prince, un enfant fasciné par Monsieur Edouard, un homme mystérieux, qui ne sort jamais de chez lui, un homme sur qui court les rumeurs les plus folles. Monsieur Edouard est aussi un professeur hors pair mais l'enfant veut lever le mystère, l'enfant mène son enquête,l'enfant regarde ...
Découvrir l'univers de Dany Laferrière avec ce très court roman était-ce raisonnable? Qu'importe je referme ce livre abasourdie par la chute finale, admirative devant la plume de l'auteur, bref je suis conquise et n'ai qu'une envie: découvrir l'oeuvre de ce grand auteur de la littérature francophone contemporaine.
Un grand merci aux éditions Grasset pour ce partage via netgalley
#Lenfantquiregarde #NetGalleyFrance !

Direction Haïti et sa dictature. Mais qui est Monsieur Gérard ? Notre jeune Manuel est confié à ce monsieur pour quelques heures de rattrapage, et il se pose beaucoup de questions à ce sujet. Comme beaucoup d'enfants, toutes ces questions incessantes. Son père parti, il n'a plus que sa mère - Son père ? où est-il ? Qui est-il ? Pourquoi est-il parti ? Manuel est un enfant qui regarde, un contemplatif. Un enfant qui regarde, plutôt que de courir en tout sens, mûrit plus vite, apprend davantage. de nombreux ragots sur cet homme, quand les ragots deviennent des mythes-omanies... histoire d'amour tragique et superbe.

Quand j'étais petite, je voyais souvent marcher dans la rue un jeune homme solitaire qui ne parlait à personne. Il était beau, mais il avait le regard vide et indifférent. Nos parents nous disaient, à moi et à mes soeurs de ne pas nous approcher de lui, car il était fou. Et pourtant, on n'avait jamais entendu qu' il avait fait de mal à qui que ce soit. Il évitait juste les gens. On disait au village, qu'il était devenu comme ça à cause d'une déception amoureuse...

C'est l'histoire de ce jeune qui m'est venue à l'esprit lorsque j'ai fait la connaissance de Monsieur Gérard, cet homme solitaire qui vit dans une petite chambre au dessus de la pharmacie d'un quartier pauvre.
Mais pourquoi Monsieur Gérard ne parle à personne ? Pourquoi préfère-t-il rester isolé, alors qu'il est intelligent et bel homme ?
Ce sont les questions que se pose aussi Manuel, un enfant qui regarde beaucoup et qui réfléchit aux personnes qui l'entourent et à leur comportement. Ayant besoin d'aide pour un devoir, c'est vers Monsieur Gérard qu'il se dirige. Une petite complicité s'installe entre eux et Manuel découvre petit à petit l'univers de Monsieur Gérard et a envie de voir en lui la figure paternelle qui lui manque.
Un petit livre touchant qui fait réfléchir sur le comportement des gens envers les personnes sensibles. Un livre qui émeut et que j'ai fermé les larmes aux yeux.

"L'enfant qui regarde" est en apparence une histoire très simple : celle d'un enfant dont le père est absent ; d'une jeune mère solitaire ; d'un homme vivant en ermite ; du grand amour déçu qu'on lui attribue ; d'un pays sans horizon. Il y a une grande poésie dans les choses simples.
Mais simples, le sont-elles vraiment ?

On peut les regarder de loin, assis sur un muret, comme l'enfant : on peut espérer qu'elles vous apporteront ce sont vous avez besoin sans que vous interveniez.

Si la réalité ne semble pas suivre le chemin de la vie rêvée, est-elle pour autant incompatible avec elle ?

Le père d'un enfant ne peut-il mourir d'amour pour une autre femme ? Cette riche et belle amante existe-t-elle vraiment ?

Et puis, est-il toujours nécessaire de trouver un sens à tout, la trame de la vie ne se tisse-t-elle pas en fonction des yeux qui l'observent et de l'attente qu'ils recèlent ?

Le dénouement du récit n'apportera aucune vraie réponse. Peut-être suffit-il de le laisser cheminer en soi.

Dany Laferrière a écrit là un texte qui contient tous les ingrédients du conte sans en être un tout-à-fait.

Être un perpétuel spectateur de la vie et du monde, observer, analyser, tirer des conclusions qui peuvent frôler l'envol de l'imagination. Il n'a que dix ans, s'appelle Manuel, fils d'une mère aimante qui parfois le déconcerte par ses réactions excessives et incompréhensibles, femme blessée par l 'abandon d'un mari disparu Dieu sait où ! La dictature terrorise le pays, il était un opposant, est-il dissimulé, là, pas très loin de Manuel ? L'enfant le cherche, croit le reconnaître.

Notamment en la personne de cet énigmatique professeur Gérard (n'est-il pas gaucher comme son père?) reclus dans un minuscule appartement au-dessus d'une vieille pharmacie, juste à côté du marché. Foule qui circule, rires, musiques, clameurs du marché haïtien, robes multicolores qui dansent sur la musique de Bossa Combo. L'écrivain nous fait voyager dans son île, quel plaisir !

Pourtant, une sourde inquiétude nous saisit : quel est donc le secret de ce professeur, que les gens affublent de mille rumeurs ? Il aurait été renvoyé d'une très-chic école religieuse pour attitude déplacée, aurait été l'amant d'une femme riche dont le mari jaloux lui aurait envoyé une bonne gifle quinze ans plus tôt. Et qu'il écoute Mozart, parce qu'il est franc-maçon comme lui. Mais surtout, il aime Wagner.

Ce que sait Manuel, c'est qu'il est un excellent professeur de lettres qui lui enseigne tout, des mathématiques à la musique, M. Gérard vibre à la musique de Wagner et se laisse emporter par les vers de Baudelaire, notamment ceux du « Balcon ».

Et lorsque le jeune garçon verra, en plein marché animé, une femme riche descendre d'un luxueux véhicule et monter à l'appartement pour ne plus en redescendre, Manuel montera à son tour, pour découvrir la résolution de l'énigme.

Cette nouvelle met en scène des personnages hors-normes, attachants, énigmatiques, d'une poésie sans nom. le décor, couleurs et sons, mouvements et pauses, nous transporte dans un ailleurs qui n'est pas seulement exotique mais inquiétant et merveilleux comme un rêve d'enfant.

A découvrir vraiment.

Il faut peu de mots à Dany Laferrière pour nous plonger au coeur d'un quartier pauvre de Port-au-Prince. Nous y sommes, sur cette place du marché avec ces jeunes paysannes, ces maisons un peu délabrées, ces voisins à leurs fenêtres. Nous entendons les cris et les ragots de toutes sortes et nous imaginons bien la chambre retirée, plongée dans l'obscurité, de l'énigmatique Monsieur Gérard.
Le jeune garçon, le narrateur, est en admiration devant ce professeur qui l'initie à la poésie, à la musique, à tout ce qu'il peut lui transmettre sans sortir de sa chambre. C'est un enfant curieux, observateur, qui préfère essayer de comprendre le monde qui l'entoure plutôt qu'aller jouer avec des gamins de son âge. Il étouffe, seul avec sa mère, et se lance en catimini à la recherche des secrets du professeur.
Tout se passe pendant la triste époque des Duvalier et leurs sinistres Tontons Macoutes. J'imagine que Dany Laferrière a mis un peu de lui dans ce jeune garçon en manque de référence paternel.
Le dernier texte de Dany Laferrière est très court, beaucoup trop court. Je ne me lasse pas de son écriture ciselée et j'aurais bien aimé rester plus longtemps à Haïti.
#Lenfantquiregarde #NetGalleyFrance
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L'enfant qui regarde est le premier texte de Dany Laferrière que je découvre. Je m'attendais à une littérature créole, riche en couleurs, marqué par cette île de Haïti et par son destin.
Rien de tout cela en fait, ou si peu. le décor est d'ailleurs assez secondaire, juste esquissé par quelque détails.

L'auteur nous offre un texte beaucoup plus universel, poignant. Il nous restitue dans une très belle langue le regard qu'un enfant (le narrateur, qui ne connait pas son père) peut porter sur autrui (Monsieur Gérard, mystérieux enseignant qui écoute Wagner et récite Baudelaire), avec ce détachement que seul permet l'inexpérience de l'enfance. Un regard curieux, qui cherche à comprendre, mais ne juge pas, un regard qui accueille sans enfermer les évènements dans cette classification des situations que nous sommes tentés d'établir à l'âge adulte en raccordant les événements les uns aux autres.

Un texte magnifique sur le regard.