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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Epigraphe
« C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. Pierre Soulages »

«Chantiers » beau titre pour ce recueil de textes qui n’en forment qu’un, celui du chemin de l’auteur vers l’écriture qui commence par « cette fille » qui étudie le grec et le latin, qui s’attellera à l’écriture à l'âge de 34 ans.

« Il a fallu du temps, beaucoup de temps encore, et de savants détours, et des méandres tenaces avant d’oser un autre travail, contigu à celui de la lecture, le travail de l’écriture ; avant d’oser se mettre à l’établi des mots, de la phrase, du texte ; avant d’oser empoigner cette viande-là, viande c’est vivenda, de vivere, c’est ce qui sert à vivre, c’est le vivant, la matière même du monde, avec les arbres, l’échelle, la grand-mère, le rôti, le pré gras, la fille le garçon, les beaux fruits, la ferme louée, la balançoire, le vert le bleu, la Sorbonne, le pensionnat, l’espalier, et tout le reste. »

Et surtout elle nous fait descendre avec elle au coeur du volcan là où se forme et jaillit la lave de ses récits, en nous faisant « entrer dans les coulisses du mot » puis la naissance de la phrase.

« …ça travaille tout le temps, ça fermente tout le temps, aux jointures, aux articulations, surtout du côté de la ponctuation, virgule, point-virgule, point, absence de virgule ; la coulée textuelle n’en finit pas de s’extraire, de se mouvoir, d’avancer sourdement, elle pourrait ne pas se fixer. »

Marie-Hélène Lafon dépiaute les mots, les mets à nu sans leur enlever leur substance, pour que le lecteur en tâte la chair et vive de l’intérieur toutes les affres de la création
Elle manduque, triture, fait se tordre les mots sous nos yeux, les dissèque, les broye, les bouscule.
C’est parfois sanglant et souvent flamboyant.
Plaisir, jouissance, on salive.
Jouissance quand elle a trouvé le bon mot lui a fait rendre tout son jus et réussit « à faire danser la phrase »
Chantiers montre son corps à corps avec le texte et à travers le texte avec le lecteur :
« Le tamis du corps ne suffit pas, il faut dire le tamis des corps, parce que le corps du lecteur est aussi en jeu ; la phrase est tendue et travaillée pour lui rentrer dedans, pour rentrer dans les lecteurs, leur faire perdre et chercher, perdre ou chercher, rechercher, recouvrer leur respiration, et leur souffle. La phrase est faite pour leur passer dessus, au travers, pour les caresser pour les broyer les caresser les consoler les acculer les empoigner les débusquer les pousser dans leurs retranchements les plus embroussaillés les consoler les caresser. La phrase est faite pour danser. »

Un éblouissement.
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"Chantiers" est l'ouvrage que publie Marie-Hélène Lafon à l'occasion de la rentrée littéraire de Septembre 2015. Sans Céline que je remercie infiniment pour sa chronique qui m'a littéralement convaincu, je serai passé à côté de ce livre. Cela aurait été dommage tellement c'est une pépite! Chantiers est un vrai bijou de lecture pour les amoureux de l'écriture, pour ceux qui préfèrent la forme au fond.

« C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche - Pierre Soulages »

Commençons ce billet par un avertissement. Ce livre n'est pas comme les autres. le fond importe moins que la forme, l'écriture est âpre, la lecture pas simple et rarement fluide. Je pense que certains arrêteront en cours de route tant cela peut paraitre indigeste et difficile à ingurgiter. A l'instar de Réparer les vivants de Maylis de Kerangal par exemple, le style est très riche, les phrases longues, certains mots sont peu habituels, on peut rapidement friser l'overdose.

« On le devine enseveli et enfoncé, comme on le serait dans une vaste robe de chambre en poil de chameau, cossue et enveloppante, enseveli et enfoncé dans, douillettement calé au creux d'une nébuleuse amicale, ancillaire, familiale; je me démêle pas tout, je vois passer des noms, des prénoms, des noms de lieux, des façons de dire et de nommer. On donne des nouvelles, on en reçoit, on en attend, on s'inquièterait presque, on s'inquiète, on a des attentions et on est entouré d'attention. Flaubert est un homme entouré; niché en ses entours. »

Cet opus est un chef d'oeuvre littéraire: écriture, mots, (souvent l'auteur nous fournit racine, origines latines ou grecques et explication du sens de ces derniers, quel délice!), phrases, grammaire, alternance des temps de conjugaison... de la belle et grande littérature comme on les aime et comme il se perd. On a l'impression d'être en cours de Lettres. Marie-Hélène Lafon joue au Professeur, celui qu'auraient aimé avoir tous les amoureux des lettres comme l'écrit si justement Céline dans sa chronique.

« La fille, cette fille, a étudié le latin et le grec. Elle a appris l'étymologie de humilié. Elle sait que humilié, étymologiquement, veut dire qui est au sol, à terre, humus le sol en latin, comme dans inhumer et exhumer, et posthume; au sol, sur la terre, dans la terre, planté dans la terre comme un arbre. Depuis toujours, depuis qu'elle a pris conscience d'être, elle se sent comme ça, plantée en terre comme un arbre, comme l'érable dans la cour de la ferme; »

L'auteur nous conte son rapport à l'écriture, son corps à corps avec elle. Les phrases sont recherchées, travaillées, argumentées, très détaillées et avec de très nombreuses incises.

« Écrire serait une affaire de corps, de corps à donner, pas donner son corps, quoique, mais donner corps à, incarner, donner chair. LE verbe s'est fait chair. C'est une vieille histoire, on a déjà entendu ça quelque part, on s'en souvient dans un coin de soi, coin ombreux et confiné des enfants et du catéchisme, on l'a vu, on se souvient des messes, ceci est mon corps ceci est mon sang, buvez et mangez-en tous. »

Elle nous explique la genèse de ses livres, leurs chantiers: leurs origines, leurs difficultés d'écriture, les contraintes qu'elle se fixe, ses maitres à penser, son rapport à la nature, le rôle de la musique, ... mais aussi son éducation catholique, la ferme de ses parents, sa soeur, son enfance... C'est un pur régal.
On retrouve ainsi Gustave Flaubert, Claude Simon, Pierre Bergounioux, Richard Millet, Bill Viola, mais aussi la Callas et Bach.

« Aujourd'hui la cantate BWV 80, Ein feste Burg ist unser Gott, Notre Dieu est une forteresse, est la plus lancinante de mes musiques d'établi. J'appelle musiques d'établi, ou de travail, celles qui, faisant barrage contre le monde, le bruit des autres et des choses, le temps, les pensées et préoccupations parasitaires, favorisent, et amorcent l'émission du texte, sa production matérielle sur le papier ou sur l'écran, l'accompagnent, ou l'ont au moins précédée, préparée. »

Ce court texte (112 page) se lit, se relit lentement. On l'accapare, on s'en imprègne, on se perd dans la beauté, on ne peut qu'aimer et passer un superbe moment. Ce fut assurément mon cas et je ne peux que vous recommander de lire Chantiers, la quête et l'attente, dans le silence des jours, de ce qui n'a pas encore été lu, de ce qui n'a pas encore été écrit comme conclu magistralement l'auteur. J'en redemande!

5/5 COUP DE COEUR!


Lien : http://alombredunoyer.com/20..
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Ce qui marque immédiatement l'écriture de Marie-Hèlene Lafon, c'est son activité néologique bouillante. On ne sort pas de ce livre sans avoir envie de pétrir, de modeler et de mettre en forme de la chair textuelle. L'auteure use de la phrase comme un chirurgien d'un bistouri. Elle hache la langue française pour en faire un met délicieux. Je m'en suis resservi à plusieurs reprises sans être rassasié.
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Ce "pas de côté", collection des éditions des Busclats, donne aux écrivains l'occasion de livrer un pan de leur jardin secret et de faire pénétrer le lecteur plus avant dans leur cabinet d'écriture. Avec "Chantiers" Marie-Hélène Lafon creuse le sillon de son écriture, s'y penche et examine la germination des mots sous sa main.
Dans l'intime de sa réflexion, elle montre le travail de la matière linguistique et de ce qui vient la nourrir et l'irriguer.
La force des mots qu'elle choisit, leurs agencements charnus et sensoriels nous plongent au coeur de la création littéraire, dans ce magma vivant qui fait naître les plus belles émotions et donne en partage des images intimes, mémorielles, universelles.
L'érudition n'est jamais sèche, ni cuistre, chez Marie-Hélène Lafon. La joie de s'engouffrer dans la langue, d'y découvrir des pépites, de jouer avec les sens et les figures de style est palpable, jouissive, énergique. le texte vibre de ce malaxage, de ce pétrissage du langage qu'accomplit l'auteur, à son "établi".
Comme le paysan et l'artisan s'attachent à leur ouvrage, tête, pensée et corps tout entiers engagés dans leurs gestes, dans l'action qui, d'un matériau brut, va extraire une nouvelle venue au monde, l'auteur travaille le substrat langagier, rabote les scories, chantourne les phrases, fore la syntaxe pour en faire émerger l'image juste, celle qui correspond à son rêve.
J'ai lu "Chantiers" avec le souffle coupé, envieuse de cette familiarité avec la langue, de cette jouissance à accoucher des mots, en totale admiration devant ce si petit livre, si puissant, si riche. Une merveille.
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Celle qui a quitté son pays et la ferme familiale car elle pouvait entreprendre des études et devait les réussir (condition sine qua non) a commencé à écrire à 34 ans et a été publié pour la première fois à l’âge de 39 ans. Avec chantiers, nous sommes avec elle à l’établi « in situ ; et c’est une place, une place dans le monde, un creux pour le vertige et la jubilation, ensemble, les deux, à fond à fond à fond », un lieu « où ça fermente, où je fomente ». « Nous y sommes, au corps à corps, au contact, jusqu’au cou avec les mots, la phrase et le phrasé, le récit ». Car Marie-Hélène Lafon explore les mots, les creuse jusqu’à l’os, matière vivante sous ses doigts qu’elle pose et repose sur l’établi. Un écrivain exigeant avec son travail qui nous enchante en parlant de grammaire (un pour régal), de ponctuation, de temps, de son amour pour Flaubert et qui a toujours en tête celui ou celle qui recevra ses textes. « la phrase est tendue et travaillée pour lui rentrer dedans, pour rentrer dans les lecteurs, leur faire perdre et chercher, perdre ou chercher, rechercher, recouvrer leur respiration, et leur souffle. La phrase est faite pour leur passer dessus, au travers, pour les caresser pour les broyer les caresser les consoler les acculer les empoigner les débusquer les pousser dans leurs retranchements les plus embroussaillés les consoler les caresser. La phrase est faite pour danser. » Marie-Hélène habite l’écriture, les mots « c’est toujours être dans la langue, l’habiter comme on habiterait une maison, la triturer, fourrager en elle, c’est toujours faire rendre gorge aux mots et les apprivoiser, l’un n’excluant pas l’autre, pour vivre mieux, si vivre c’est aussi dire ; car vivre, ce serait aussi dire, pas seulement, mais aussi ».

C’est beau, puissant, vivant, éblouissant, on fait corps avec ces chantiers. Un livre qui nous parle, nous enveloppe, nous transperce et prend possession de nous. Magnifique !

Lien : http://claraetlesmots.blogsp..
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Ce livre n'est pas un roman, mais un texte littéraire, un essai sur la littérature et le processus d'écriture. Marie-Hélène Lafon nous parle de sa jeunesse, de ses années d'étude, de ses lectures pour enfin se mettre « à l'établi » et commencer « les chantiers » que constituent l'écriture, ce qu'elle n'a fait qu'à la trentaine passée. L'écriture pour elle est un travail, comme le travail de la terre, des bêtes. C'est aussi une matière quasi religieuse dans lequel le corps de l'auteur est impliqué. Vraiment très intéressant. Elle revient sur ces auteurs préférés, comme Flaubert, Bergounioux, Michon et évoque aussi, pêle-mêle l'oeuvre de Bill Viola ou certaines chansons de Bashung... Ce livre, ainsi que la lecture de son recueil de nouvelles « histoires » me stimulent vraiment à écrire. J'aime son approche et suis impressionnée par la cohérence de son oeuvre.
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Se plonger dans un livre de Marie-Hélène Lafon, c'est se plonger dans la LANGUE, la LANGUE FRANCAISE, le FRANCAIS, les PHRASES, les MOTS, les RACINES, la GRAMMAIRE, la PONCTUATION…

« Chantiers » comporte seulement 112 pages, mais c'est un condensé d'écriture, de littérature à l'état pur !

Marie-Hélène Lafon, c'est Le Professeur qu'auraient aimé avoir tous les amoureux des Lettres…
Lien : http://www.arthemiss.com/cha..
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Dans cet essai, Marie Hélène Lafon explique pourquoi et comment elle s'est attelée à l'écriture. Fille de paysan dans le Cantal, elle n'a pas travaillé la terre, elle n'a pas fabriqué le fromage. Ce sont les garçons qui restent à la ferme. Elle, elle a travaillé les mots, fabriqué des livres , ses "chantiers". Elle évoque avec simplicité l'influence de son milieu, de son éducation en institution religieuse sur ses choix, ses goûts artistiques, son sens du travail bien fait. Et elle met à profit sa formation de lettres classiques et de grammairienne pour nous donner l'étymologie du mot, sa saveur, sa force. C'est d'une clarté admirable.
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