Mais quelle drôle d'histoire ! Tout est improbable, mais tout fonctionne, et ce n'est pas le moindre des miracles de la littérature !
Ce narrateur, d'abord… On imagine bien les ressorts psychologiques qui se dissimulent derrière cette situation poussée à l'extrême. le déséquilibre provoqué par la mort de la mère, cristallisé dans un isolement extrême, est en effet intéressant à explorer. Et comment se rebeller face à un parent – ici, le père – qui vous fait un chantage en mode « je ne supporterais pas qu'à ton tour il t'arrive quelque chose ». C'est évidemment à la fois la plus profonde angoisse de tout parent, que quelque chose arrive à son enfant… mais heureusement, la plupart n'en viennent pas à l'abstraire de la vie pour l'en protéger.
Florimont, le libraire – je ne l'ai pas évoqué, mais le libraire à qui il achète
La Tentation de Saint Antoine, bradé va également avoir un rôle central dans cette histoire -, pour sa part, est une merveille de personnage. Il ressemble au départ à un ours bourru, que l'entrée d'un client dans sa librairie dérange au plus haut point, mais il accepte finalement assez facilement d'alimenter l'intérêt naissant du narrateur pour les livres, puis, même, de le loger. Pourtant, il joue un rôle trouble : lui aussi, d'une certaine manière, s'est retiré de la vie. Ayant beaucoup lu, il accepte de se laisser écraser par les livres et, convaincu de ne pas pouvoir égaler ses maîtres, décide finalement de se mettre en retrait. Il vit donc en tentant de se dissimuler derrière les mots et les livres (y compris lorsqu'ils sont encore en cartons).
Le coiffeur, troisième personnage de ce trio, semble être le plus équilibré des trois. Il s'intéresse aux livres, aux auteurs, mais il ne s'est pas laissé écraser. Il est dans l'action, dans son domaine – toujours une paire de ciseaux à la main. Et, justement, la proposition du narrateur de venir proposer des cours / conférences lui donne l'occasion de conjuguer l'action et la culture.
En quatrième de couverture, l'histoire est décrite comme « inclassable ». Et, en effet, le terme est bien choisi. Cela ne ressemble à rien que j'ai eu l'occasion de lire avant. C'est à la fois érudit – le libraire, caché derrière ses auteurs fétiches, ne s'exprime souvent que par citations – et très facile à lire. Il y a des idées folles – les lettres à
Gustave Flaubert ou à
Jean-Jacques Rousseau sont assez jouissives ! -, et des fulgurances. Bref, un véritable OLNI !
J'ai également envie de revenir sur le titre de ce livre. Qui est à la fois précis, flou, ouvert.
le Salon, cela peut évidemment désigner prosaïquement
le salon de coiffure dans lequel se déroule une part du récit. Mais cela peut également faire référence au « salon littéraire » en lequel notre narrateur transforme
le salon de coiffure. Et puis l'intérieur bourgeois du père de notre narrateur, personnellement, je l'ai visualisé comme un de ces salons un peu pompeux d'un notaire de province. Enfin, l'ensemble de ce livre ressemble à un salon de curiosités… avec de drôles de bocaux dans lesquels flottent nos personnages…
En revanche, si je devais avoir un bémol, je n'ai pas l'impression que le twist final s'imposait. Alors que, jusqu'à ce (tout dernier) stade du livre, l'ensemble était d'une grande légèreté, là, on a l'impression tout d'un coup de quelque chose de très démonstratif, d'assez appuyé. Et qui, surtout, n'apporte, à mon sens, pas grand-chose à l'histoire.
Mais que cela ne vous retienne pas de faire, avec notre narrateur, cette découverte de ce que la littérature fait à la vie…
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