Lucas Dorinel est appelé à reprendre du service au Bastion, au "36", après deux ans d'un exil (un exode, une retraite, etc.) en Bretagne. le mystère autour de cette parenthèse est bien orchestré et définit tout de suite le flic comme un personnage très humain. On n'aura pas affaire à une machine, un peu le travers des polars ces derniers temps. le reste de son équipe à la crim' parisienne est à l'avenant. Son alter ego, Gabriel, a lui aussi à faire face à un drame récent.
Première affaire, un homme retrouvé mort, le corps massacré, dans une malle. La boîte de Pandore est ouverte sur une enquête qui va accumuler les pistes, toutes plus ténébreuses (voire alléchantes) les unes que les autres : le vampirisme, les sectes sataniques, les néonazis, les skinheads, les survivalistes, les amateurs d'orgies sexuelles, l'art macabre, les nécrophages et buveurs de sang, le black metal, les adorateurs de tueurs en série, les exégètes tordus des Saintes Ecritures, les gothiques, les amateurs de sacrifices humains... l'un n'excluant pas l'autre, branches dissidentes bienvenues - et pardon à tous ceux qu'on aura oubliés ! Un "joyeux" mélange de gens qui se prennent tous très au sérieux, hélas. Mais l'auteur, pour moi, relève le défi. le risque de la dispersion est pourtant grand chez le lecteur avec une toile aussi gigantesque. On se demande simplement pourquoi un Black nommé M'Bélé se retrouve à défendre la grandeur aryenne, cette invraisemblance nous a questionné. Pour le reste, on a gardé l'esprit très ouvert et pas oublié que le polar est aussi un divertissement. le lecteur qui est là pour s'encanailler sera ravi et particulièrement satisfait par une enquête menée à un train d'enfer, entre Paris et Pondichéry - c'est vrai qu'on avait oublié les intouchables et les confréries secrètes indiennes dans notre tour d'horizon des potentiels criminels.
L'intrigue nous emmène entre-temps dans une boîte de nuit sulfureuse, chez les psys, au cimetière du Père-Lachaise, un charnier dans une forêt, un monastère, un manoir champêtre abritant des parties fines... Les lieux d'enquête reflètent la même diversité et le même parfum de poudre que la galerie de personnages suspectés du crime initial, et de tant d'autres atrocités.
Pas le temps de s'ennuyer dans cette histoire qui nous a fait penser à du
Jean-Christophe Grangé des débuts. Flics torturés et empathiques, frustration devant une enquête aux ramifications si foisonnantes, belle exploitation de l'univers des ténèbres et du sang, et un final qui se déroule en Inde, là où nous conduisaient de multiples chemins, et où nos flics parisiens seront confrontés, sombre ironie, aux même maux qu'en France : violence gratuite, marchandisation des corps, hiérarchie de fait entre humains, selon que vous soyez puissants ou misérables, air connu. La corruption et l'incompétence de la police locale, le sort réservé aux enfants des rues, le peu de cas fait pour l'être humain en général, sont très bien mis en avant, en une poignée de chapitres qui viennent clore assez efficacement une enquête démarrée dans un banal appartement parisien. Point commun : l'universalisme de la bêtise et de la violence.
Après
le singe d'Harlow, l'auteur confirme un réel talent pour ce type de polars sombres et foisonnants : vivement le prochain !
Merci à NetGalley