Dépoussiérages.
En Histoire, la période allant environ de 250 à 700 après Jésus-Christ est longtemps restée mal étudiée et, de ce fait, mal comprise. Considérée à tort comme une époque de déclin, de décadence voire de crises permanentes, elle faisait bien pâle figure par rapport à la période précédente considérée comme l'apogée de l'Empire romain, tant dans son expansion géographique que dans sa maîtrise artistique, son architecture, son droit écrit et sa capacité à influencer les modes de vie des peuples colonisés (son « soft power »). Ainsi, on a longtemps qualifié, avec un brin de condescendance, voire souvent de mépris, de « Bas-Empire » les trois siècles qui terminaient l'Antiquité. Bernard Lançon s'applique à réhabiliter cette transition entre l'Antiquité et le Moyen-âge que les historiens ont redéfinis tant dans l'espace que dans le temps et qu'ils nomment actuellement Antiquité tardive.
Cette période est caractérisée par l'extension maximale de l'Empire romain et donc par des empereurs cherchant à améliorer l'administration et la défense de ces territoires. L'Histoire a retenu avec raison les noms de Dioclétien, de Constantin, de
Théodose II et de Justinien qui ont bravement affronté les défis colossaux qui se présentaient.
L'essor du christianisme date aussi de cette époque. Il devient en Europe et dans tout le bassin méditerranéen une religion avec laquelle il faut compter et, même si les païens restent majoritaires, leur suprématie s'émousse, l'élite urbaine se christianise majoritairement (à l'image de Constantin) et chacun se situe par rapport à cette nouvelle religion. Cependant, il ne fut pas voir le christianisme comme un bloc dogmatique figé une fois pour toutes. D'une part, Il ne s'impose qu'en utilisant certaines usages du paganisme et en donnant à leurs manifestations une visée, une coloration chrétienne. Il est constitué de syncrétismes autant que d'apports purement originaux. D'autre part, les hérésies fleurissent très rapidement : nicéens, aryens puis nestoriens, monophysites sont sources de bien de conflits ayant des implications politiques directes.
L'Antiquité tardive n'est pas l'âge obscur que beaucoup d'historiens ont décrit, souvent en rapport avec des préoccupations qui leur étaient contemporaines mais n'ont rien à voir avec l'étude historique. En effet, malgré des difficultés croissantes, la vitalité artistique et intellectuelle est demeurée puissante. On peut en juger par la qualité de la transmission de textes anciens et la création d'un corpus de textes originaux, par la construction de vastes ensembles architecturaux (Constantinople) et l'entretien des monuments de Rome, par la qualité des peintures, des sculptures et des arts figuratifs (tardivement reconnus et appréciés). C'est aussi de cette époque que date le livre cousu (codex) que nous connaissons encore et qui remplaça peu à peu le rouleau (volumen). En Occident, les structures de l'Empire romain se dissolvent (ce qui explique sa réputation postérieure) mais il reste très présent comme passé mythique et culture de référence dans le mode de vie quotidien autant que dans la langue couramment utilisée. En Orient, l'Empire romain se maintient mais en s'hellénisant et en s'éloignant encore davantage de son berceau romain.
Bernard Lançon nous fait partager cette nouvelle façon de considérer cette partie de l'Antiquité dans un style agréable et très accessible. Jamais de jargon, ni de certitudes assénés doctement mais toujours le sentiment d'une histoire en évolution ; ce qui est assez rare pour être souligné. Une vulgarisation conforme à l'esprit de la collection Que sais-je ? avec un plaisir de lecture qui ne gâche rien.