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Je ne lis pas de témoignages. Si j'ai souhaité lire le lambeau, c'est uniquement parce que je savais que ce texte avait une dimension littéraire. J'ai besoin du filtre de l'art pour m'intéresser au réel. Cela dit, je n'ai jamais pensé que l'art rendait le réel supportable. Bien au contraire. Au fond, ce que je recherche, c'est une lecture, une interprétation de ce réel à l'aune des événements vécus. Quels qu'ils soient. le monde doit se trouver incarné, sans cela, il ne m'intéresse pas.
J'ai donc commencé à lire le lambeau. J'ai peu dormi la première nuit. Je n'arrivais pas à me débarrasser de l'état de stupeur dans lequel le récit m'avait plongée. J'en parlais à des amis. Ils m'assuraient qu'eux ne liraient jamais ce texte. Je voulais aller jusqu'au bout mais j'avoue que les cent premières pages furent terribles. J'ai craint de ne pouvoir poursuivre.
J'ai eu alors l'idée de « croiser » le lambeau avec un autre texte que je possédais et que je n'avais pas encore lu : À contre-courant d'Antoine Choplin. C'est le récit d'une marche le long de l'Isère, de son point de confluence avec le Rhône jusqu'au glacier où elle prend sa source.
J'aime cet auteur, il m'est très familier, je me sens, avec lui, sur la même longueur d'onde. Dans ce récit, il raconte sa marche qu'il rattache à l'acte d'écrire, commente le paysage et les lumières changeantes qui l'enchantent.
J'ai donc, lâchement peut-être, régulièrement, c'est certain, abandonné Philippe Lançon dans sa chambre d'hôpital pour progresser auprès d'Antoine Choplin sur les sentiers longeant l'Isère.
Et en fait, contrairement à ce qu'on peut imaginer, plus j'avançais dans le livre de Philippe Lançon, moins je ressentais la nécessité de m'en échapper.
Était-ce parce qu'on allait vers la « cicatrisation des plaies », vers la « guérison » ?
Non, pas du tout.
Si je restais auprès de Philippe Lançon, c'est uniquement parce qu'il s'était tellement mis à nu que dorénavant, par extraordinaire, rien de ce qu'il disait ne m'était étranger, à moi qui n'avais évidemment jamais rien vécu de semblable. Car au fond, au-delà des événements dont il est question (ai-je le droit de dire « au-delà » dans la mesure où ils sont de l'ordre de l'expérience fondatrice, à l'origine même de ce qu'est devenu l'auteur), c'est la capacité même qu'a Philippe Lançon de se mettre à nu qui m'a saisie. Après de tels événements, on ne peut plus mentir ou se mentir. de la même façon, on fuit les paroles inutiles, le jeu social. Bas les masques. On est au-delà de la mascarade. Comme il le déclare à Proust dans une vigoureuse interpellation : «Mais arrête de jouer au plus fin, tu ne sais pas de quoi tu parles dans ta cage dorée, il te manque quelques degrés dans l'échelle du désastre pour arriver au moment où, sans être artiste, on ne ment plus ! »
Donc, plus je découvrais toute l'humanité de cet homme nu, parlant avec une sincérité absolue, moins je souhaitais le quitter. Non seulement je comprenais ce qu'il disait, mais il devenait un ami : je pleurais à l'évocation de sa douleur et de ses peurs (que faire d'autre?), j'avais envie de serrer dans mes bras et de consoler le petit garçon qu'il était redevenu, parfois même, je dois l'avouer, il m'exaspérait.
Tout en comprenant ses peurs, j'aurais aimé l'entraîner sur les bords de l'Isère, auprès d'Antoine Choplin, le sortir de là. Je les imaginais tous deux marchant et devisant sur l'art, goûtant ici et là l'envolée majestueuse d'une grue ou le spectacle des pentes escarpées d'une montagne.
C'est donc un homme nu que j'ai rencontré dans le lambeau, un homme comme on a rarement la possibilité d'en rencontrer, un homme, comme dirait Rousseau dans le préambule de ses Confessions, « dans toute la vérité de la nature » (même si Rousseau, on le sait, ne s'est pas gêné pour arranger cette nature, mais y a t-il rien de plus humain que cela ?)
Les Confessions s'ouvrent en effet sur une épigraphe tirée de la Satire III du poète latin Perse : « Intus, et in cute » (intérieurement et sous la peau). Il m'a semblé que, autant Rousseau échouait dans son projet de se révéler (mais on lui pardonne, on l'aime tellement), autant Philippe Lançon jouait le jeu - peut-être, sans en avoir vraiment le choix : « comment pourrais-je créer la moindre fiction alors que j'ai moi-même été avalé par une fiction ? »
Il lui fallait, afin de ne pas rester seul sur sa rive et rejoindre lentement le monde de ceux du dehors, analyser le nouveau rapport qu'il allait entretenir avec les autres en tentant de trouver un chemin qui ne pouvait passer que par une introspection, une réflexion vraie et sincère sur ce que les événements avaient fait de lui.
En effet, Philippe Lançon raconte la façon dont il a vécu cette rupture entre le monde d'avant et celui d'après, sa volonté de se protéger du monde du dehors et de rester, sans télévision ni radio, confiné dans sa chambre-cocon de l'hôpital « la chambre était mon royaume et nous y vivions hors du temps », avec une déesse veillant sur lui : sa chirurgienne Chloé, ses anges infirmières et ses gardes armés. Serge, l'infirmier anesthésiste, capable de trouver la veine où piquer et l'infirmière surnommée « La Marquise des anges » assez douée pour refaire clandestinement le VAC (Vacuum Assisted Closure) prennent dans la vie de l'auteur les premières places. le reste du monde est ailleurs, ce sont des étrangers.
Le jour de la grande marche, Philippe Lançon « n'est pas Charlie, [il est] Chloé ».
Quant aux autres, il s'en protège. « La vérité était que tout ce qui n'était pas présent dans cette chambre, là, sous mes yeux, s'éloignait. Je n'attendais rien de ceux qui n'étaient pas là. » « J'avais tissé mon cocon de petit prince patient, suintant, nourri par sonde et vaseliné autour d'un frère, de parents, de quelques amis et des soignants. Je ne voulais plus sortir du cocon, je m'en sentais incapable. La seule idée de quitter l'enceinte de l'hôpital m'effrayait. Ce n'était pas le lieu où j'étais tout-puissant ; c'était le lieu où mon expérience était vivable. »
Il fallait écrire pour dire la douleur, la souffrance, ne rien oublier de ce qui avait été vécu avant, récupérer tout ce qui était récupérable. Les souvenirs, les voyages, les rencontres. Les objets aussi. Si le téléphone portable, le petit sac noir, le bonnet rouille et le vélo vert étaient définitivement perdus, Blue note, le gros livre de jazz, serait retrouvé, abîmé, certes, mais là, et les souvenirs du monde d'avant reviendraient eux aussi, par bribes, pièces isolées d'un immense puzzle impossible à reconstituer à l'identique mais dont les bords finiraient un jour ou l'autre par coïncider, plus ou moins.
De toute façon, l'homme avait changé.
Le monde aussi d'ailleurs, et ce qui faisait rire une bande de grands potaches facétieux devenait presque tabou.
C'était comme ça.
Maintenant, tout ce qui serait vécu par l'auteur n'aurait de sens que par rapport à cette « expérience » terrible à laquelle il lui faudrait trouver un sens. Pas la comprendre. Comment peut-on comprendre l'incompréhensible ? Non, comprendre l'implication qu'elle aurait dans sa vie, l'orientation qu'elle lui donnerait. « Ce qui échappe à mon expérience, ce qui ne peut être traité par elle, ne m'intéresse pas : je n'ai rien à dire ni à penser de ce que je ne peux directement éprouver et décrire. »
Et un jour, peut-être, finir par l'accepter comme faisant partie de soi.
J'ai rencontré un homme. Désormais, rien de ce qu'il dit ne me fait plus peur.
Sa voix va me manquer comme celle d'un ami avec lequel on a passé du temps et qui a fini par rentrer chez lui. Je chercherai maintenant cette voix dans la presse, j'aimerais pouvoir la retrouver aussi dans la littérature et qu'il me parle encore de ses voyages, de ses lectures, des expos qu'il visite avec la sincérité, la sensibilité et la magnifique écriture qui est la sienne.
Ce serait bien de cheminer de nouveau à ses côtés.
Et de le retrouver.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Là je me suis dit « As-tu vraiment envie de lire ça ? »
Une "chronique chirurgicale" de 500 pages.
Un parcours de plusieurs mois entre blocs opératoires, chambres d'hôpitaux et salles de rééducation.
Le point de départ d'une reconstruction, celle de l'auteur lui-même, chroniqueur pour Charlie Hebdo, miraculeux rescapé d'un certain 7 janvier… une partie du visage dévastée par les balles de kalachnikov.

« Ouchhh… t'as vraiment envie de lire ça ? »

C'était sans compter le pouvoir de persuasion de ceux qui m'ont prêté ce bouquin (merci les copains), et en dépit de l'évocation injustement réductrice que je viens d'en faire, "Le lambeau" n'a rien de voyeur ou rébarbatif, bien au contraire. Rythmé bien sûr par le concret des étapes chirurgicales, ce texte incroyable n'en révèle pas moins et surtout le bouleversant périple intérieur de son auteur.

Il y a tant à dire sur ce récit hors normes. Sur la délicatesse de l'hommage qu'il rend au personnel soignant. Sur cette lumière intime de l'art qui sauve, musique et littérature qui sans trêve soutiennent le fragile survivant sur son chemin de résilience. Sur l'intelligence, la douceur et la dignité de ses réflexions pourtant lucides ou de ses divagations sous antalgiques. Et sur les mots justes et puissants qui domptent l'enfer pour mener au mieux cette construction d'un ouvrage sur la reconstruction d'un visage.

Je n'irai pas plus loin. Ceci est un grand, très grand bouquin.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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" J'ai substitué à l'ineffaçable de la cicatrice l'effaçable , le raturable de l'écriture " disait Michel  Foucault- que Philippe Lançon cite dans le Lambeau. 

Mais ce faisant, rajoute Philippe Lançon : "comment faire pour ne pas devenir "vendeur " de cette expérience? Comment ne pas l'utiliser comme un hochet, une marque, un produit d'appel ou un signe de reconnaissance, mais au contraire pour la détacher de moi-même ?  La seule solution était non pas de rabâcher cette expérience, mais d'isoler ce qui, en elle, prenait forme, jusqu'à en déposséder celui qui l'avait vécue- ou subie" .

L'expérience dont il parle, chacun la connaît,  elle nous a tous ébranlés,  secoués,  ravagés,  mais Lançon est un des seuls, avec deux malheureux collègues de Charlie , à l'avoir éprouvée dans sa chair- et ce sont les termes qui conviennent, car la chair ici n'est pas une métaphore- : il s'agit du massacre de l'équipe de rédaction de Charlie le 7 janvier 2015 par deux fanatiques allumés que, comme Lançon, je ne nommerai pas.

Je n'aime pas les livres qui reviennent sur des faits violents et raniment vainement  les peurs, les angoisses, les haines. Je me méfie des témoignages, plus utiles à  ceux qui les écrivent qu'à ceux qui les lisent,  rarement bien écrits et n'offrant, trop souvent, qu'une vue courte sur l'événement, et une  réflexion peinant à  en dégager la portée individuelle... sans parler d'un sens collectif.

On l'aura compris à ce préambule déminant d'emblée  les préventions qui pourraient être les vôtres, comme elles ont été les miennes:  le Lambeau ne se chauffe pas de ce bois racoleur ou sensationnel. 

Il est remarquablement écrit, pensé. Il va à l'essentiel, tout le temps, patiemment,  urgemment.  Il est d'une force , d'une authenticité, et d'une puissance que j'ai rarement lues.

Il faut le lire parce qu'on en sort réparé. Nous - et surtout lui, Philippe, le survivant.

Réparer le survivant, pour parodier un titre célèbre.

Réparer le temps, réparer le lien entre des mondes qui semblent, après l'attentat,  définitivement disjoints. Réparer  la mémoire. Réparer le coeur.

Réparer le corps.

Réparer le lecteur aussi, accessoirement, tout secoué par sa lecture.   Retrouver un sens et même un sens commun à cette épreuve individuelle unique et particulièrement barbare.

 Même si le parcours n'a rien d'une balade de santé, c'est bien de santé qu'il s'agit.

De greffe, suite à  une vraie "blessure de guerre" , d'un morceau de son propre péroné "habillé" d'un "lambeau" prélevé sur la cuisse , pour remplacer le trou béant de sa mâchoire arrachée par les balles. Lecture difficile aux âmes sensibles. La quatrième de couv', très  cash, donne le ton.

 Comme la plupart des autres lecteurs, passé le début, que j'ai lu d'une traite-  un compte à rebours  terrible, haletant, à la fois fractionné, fulgurant  et fonçant inexorablement vers son issue fatale et connue de tous, après ce début, donc, j'ai dû  prendre, littéralement, mon mal en patience.

Ou plutôt  le sien : 17 opérations et trois mois de séjour à la Pitié -Salpêtrière,   au service de stomatologie de Chloé, chirurgienne et fée marraine de son nouveau visage et de sa nouvelle vie. Suivis de sept mois en rééducation à l'hôpital des Invalides,  sous la tutelle de Denise grimacière de génie!

Deux hôpitaux parisiens. Deux havres hors du monde. Deux repaires pour se refaire.

 Cette partie-là du livre , la plus longue, je n'ai pu la lire qu'à petites avancées, à la fois sidérée et fascinée, dans une souffrance physique et morale que j'ai rarement éprouvées. 

Mais quel hommage , quelle déclaration d'amour et de confiance à notre système de santé et à  notre médecine hospitalière publique si critiquée! Quel message d'amitié, quel abandon , quelle confiance de ce "patient" qui jamais n'a si bien mérité son nom dans ceux qui, avec obstination, acharnement, compétence, le soignent!

Desormais, Philippe Lançon n'est plus pour moi un nom d'auteur. C'est quelqu'un que j'ai le sentiment de connaître. Je sais ses souffrances, ses doutes, ses sensations,  ses peurs. Je connais ses amis, ses maîtres, sa famille...

J'ai fait aussi, grâce à lui, quelques découvertes fondamentales.
 
- Que la médecine d'urgence, la chirurgie réparatrice est un sport de combat et que ses héros sont les chirurgiens, mais aussi les panseuses- Notre Dame des Langes!- les infirmièr(e)s de jour, de nuit, les brancardiers, les ambulanciers,  les filles de salle, tous sont d'un extraordinaire dévouement et s'ils acceptent de faire ce métier et y mettent tant de passion souvent pour un si piètre salaire c'est qu'ils se savent partie prenante d'une aventure humaine qui, en redonnant  vie à leurs patients, donne du sens à leur vie. Que ce sont là de beaux métiers et de belles personnes.

- Que se reconstruire est une longue patience et demande courage, exigence, lucidité, mais aussi  humilité et confiance. Et qu'elle se nourrit et se conforte d'amitiés- la présence efficace, tendre et fidèle du frère de Philippe à ses côtés m'a beaucoup touchée.

- Que les policiers peuvent être des anges gardiens, grands lecteurs et d'une vigilance de nounou.
 
- Que la culture est un antidote puissant contre le découragement, la perte, les déchirures dans le tissage fragile de notre temps humain.

-Qu'on peut rire de soi avec Kafka, apprivoiser le réel avec Thomas  Mann et relire 17 fois la mort de la grand-mère chez Proust -17 fois!..autant de fois que Philippe Lançon est descendu sur le  "billard"- qu'on peut même se permettre d'engueuler gentiment cette choutrelle de Marcel qui parle si bien de la douleur et l'a si peu éprouvée. 

-Qu'on peut retrouver l'envie de retourner dans le monde des vivants grâce à la gueule  fraternelle et monstrueuse des bouffons de Velasquez et qu'un air de Herbie Hancock est un viatique réconfortant qui vaut toutes les doses de calmant...à l'exception de Sister Morphine...mais en bien moins dangereux!

- Qu'il y a un vrai salut dans l'écriture,  ..et que c'est bon à savoir pour "celui qui n'y croyait pas", comme disait Aragon en parlant du ciel.

J'aurais encore mille choses à dire sur ce très grand livre.

Je dis juste, encore une fois : merci, Philippe.  Je t'aime.
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Philippe Lançon, parce qu'il l'a vécue dans son corps et à la vue de celui de ses amis, victimes des balles terroristes, qu'il y met des mots, beaucoup de mots (trop parfois) qui ne peuvent que faire sens, nous confronte à sa souffrance, à la souffrance, sans échappée ni mise à distance possibles. Car ici l'homme se met à nu pour raconter. L'indicible violence de l'attentat, et sa peur. La mort de ses camarades devenue obsession. Sa reconstruction longue et difficile, aidé de ceux qui l'ont soigné et soutenu sans faille.

Une introspection obsédante, angoissante, traumatisante, qui nous met face à une réalité que l'on préfèrerait tenir éloignée. de peur d'avoir peur, de voir la menace du monde prendre le pas sur l'insouciance et la légèreté bienfaisantes de nos vies. Remettant les pendules à l'heure des valeurs vraies dont on s'éloigne pour des motifs futiles, une introspection dont la sincérité et la puissance lui confèrent le pouvoir de nous atteindre, individuellement.

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De l'intime à l'universel, car ce récit bouleversant nous ramène à notre fragilité , filigrane qui se laisse oublier si souvent dans le tourbillon de nos occupations aussi indispensables que dérisoires.

Les attentats nous ont tous atteints, par leur injustice, par la profonde débilité d'exécuteurs sous influence, par ces vies brisées pour rien.

Philippe Lançon, c'est Libé, c'est Charlie, c'est une carrière brillante, et un talent d'écrivain, maintes fois attestés par de prestigieuses récompenses.

C'est aussi un matin de janvier, de ceux pour lesquels on se souvient de ce que nous étions en train de faire. Les jambes noires sont venues accomplir leur tâche morbide, nous privant à jamais d'une bande de trouble-fêtes particulièrement nécessaires dans une société toujours plus bâillonnée.

Le propos n'est pas le pardon, ou l'absence de pardon. C'est une magnanimité ou une rancoeur inutiles. de ces ombres massacrantes, ne subsistent des cauchemars et des angoisses lorsque la configuration des lieux rend l'irruption possible. C'est le parcours d'un survivant, miraculé, mais ô combien atteint dans sa chair et dans son esprit. Trois mois de supplices pour la bonne cause dans un service de stomatologie qui doit inventer pour reconstruire ces plaies de guerre, là où la routine rafistole les séquelles des cancers. le doublement patient subit de nombreuses interventions, dans un univers qui lui deviendra familier et dont il adoptera jusqu'au lexique, et constate l'impact de ce drame sur sa place et son rôle que ce soit dans une sphère privée ou professionnelle. Au-delà du journaliste reconnu, c'est en tant que victime que l'on s'adresse à lui.

C'est l'occasion d'une vibrant hommage aux équipes hospitalières, dont il saisit les limites humaines et celles que créent les restrictions budgétaires. Mais jamais malgré la douleur, la dépendance , les échecs, jamais il n'y aura d'hostilité dans les propos. Au contraire.

Le propos est dramatique, mais le ton général est loin d'être plaintif. Il s'agit avant tout de se reconstruire, au propre comme au figuré, sans s'éterniser sur un passé qui de toute façon ne demande pas la permission pour surgir au moment le plus inopportun, ni de se projeter dans un avenir incertain. Chaque jour se nourrit de ses échecs ou s'illumine de ses succès.

Deux alliés fondamentaux accompagnent Philippe Lançon de la chambre au bloc , en passant par les couloirs : Bach et la littérature, restreinte essentiellement à Proust, et Kafka :

« Bach et Kafka : l'un m'apportait la paix et l'autre une forme de modestie et de soumission ironique à l'angoisse. »

Lecture indispensable.

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Je m'étais fait la promesse de lire le lambeau, lorsqu'il serait sorti dans une édition de poche que je pourrai transporter avec moi partout, à chaque instant pour en avancer et en continuer la lecture.
Cette promesse ne m'a pas été difficile à tenir, tant le récit de Philipe Lançon m'a nourri et pénétré d'un éclairage essentiel… Et même si ce chemin avec le rescapé-mutilé d'une abjecte tuerie, a été long au rythme d'une lecture lente et appliquée. Lente, car ponctuée de pauses et interrompue d'autres visites moins graves.
Hier soir, 14 avril, j'ai donc quitté le lambeau et cette route d'aventure de Philippe Lançon.
Car, c'est une véritable aventure que m'a conté ce survivant : Une aventure avec ses héros, ses péripéties, ses retours et cette reconstruction de l'être en son âme et le miroir de son âme (le visage).
Puisque, le survivant Philippe Lançon va se faire réparer pour vivre, lui dont la mort n'a pas voulue.
Musiques des mots et des sons vont accompagner le journaliste défiguré, dans ses descentes au bloc, sortes d'ateliers d'un minutieux et obstiné travail d'orfèvres de la chirurgie. Travail qui ne va pas sans échecs, mais qui va sans renoncements : Tous ces professionnels de santé mettent un point d'honneur à retaper Philippe Lançon, comme ils le font d'ailleurs pour les autres patients du service de chirurgie reconstructive.
Amis et parents seront là, aussi, attentifs auprès de l'homme qui a survécu, survivra, vivra, revivra.
Il y aura des rencontres étranges, poignantes, parfois muettes.
… Et les scènes de la « vie » d'avant, qui reviennent.
« Ce qui ne me tue pas me rend plus fort »
Je ne sais si ce rude adage s'applique exactement à Philippe Lançon, tant l'évènement dont il fut la victime paraît monstrueux, hors-norme encore aujourd'hui… à cet instant présent où le chagrin me remonte en revoyant les morts de Charlie-Hebdo.
Mais, mais Philippe Lançon, survivant du cauchemar du 07 janvier 2015 nous fait le présent inestimable, précieux et reconnaissant de l'histoire de sa reconstruction, de sa vie entre parenthèses de rescapé.
Car la vie, dans ce qu'elle offre d'insoutenable, de cruel et de miraculeux ; c'est l'une des fortes leçons de ce livre d'une renaissance documentée. Une vie, au-delà de la mort d'amis chers et de l'abomination. Une vie qui constituera le meilleur pied-de-nez à ces assassins et leur idéologie mortifère. Assassins auxquels il est inutile et vain d'accorder un quelconque pardon.
… Et de cela, je suis extrêmement reconnaissant à Philippe Lançon.
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A sa sortie, « Le lambeau » a reçu un accueil critique exceptionnel tant de la part des journalistes que des lecteurs. Eloges et encensements sont pratiquement unanimes pour ce livre qui vient d'être édité deux ans après les évènements, certains parlent même de chef-d'oeuvre. Cette quasi-unanimité est-elle justifiée ou est-elle le résultat d'une absence de distance et d'esprit critique de la part de confrères encore sous le coup de l'émotion ?

La tragédie de Charlie Hebdo a marqué nos esprits, pourtant, le 7 janvier 2015, la France est loin d'être « Charlie ». Le journal satirique est depuis longtemps en perte de vitesse et à court de moyens. Ses journalistes se sont réunis comme chaque semaine pour la conférence de rédaction lorsque deux hommes vêtus de noir, cagoulés et lourdement armés, font irruption dans la salle de rédaction tirant sur tout ce qui bouge… Philippe Lançon est fauché par les balles qui emportent sa mâchoire et « sa vie d'avant », et quitte « le monde où la vie continue ».

Revenu d'entre les morts, Philippe Lançon nous raconte sa douleur dans son livre qui couvre la période de janvier à novembre 2015, durant laquelle il fut hospitalisé et a subi 17 opérations.

Le récit effleure à peine la « vie d'avant » et l'auteur consacre un seul chapitre à l'attentat, chapitre dans lequel il s'efforce de retracer les terribles instants dont il a été le témoin involontaire, avec des images qui viennent continuellement le hanter. Aucun détail n'est épargné au lecteur sur les deux minutes de folie puis celles interminables qui vont suivre. Lançon fait preuve d'une remarquable maitrise pour décrire l'insoutenable qui a fait de lui une victime pour toujours.

Les victimes du 7 janvier sont présentes tout au long du livre et ne cessent de hanter les jours et les nuits de Philippe Lançon. Cette terrible journée sera le point de départ des chapitres suivants qui sont consacrés à sa longue et douloureuse reconstruction. Ils sont le récit poignant de cette improbable reconstruction, celle d'un homme défiguré, dans lequel l'auteur rend hommage au personnel soignant qui met tout en oeuvre pour réparer les vivants. Alors même qu'il est pris en charge par le personnel de l'hôpital, et constamment entouré de sa famille et de ses amis, il survit dans une solitude absolue, accompagné de sa douleur physique et morale.

Lançon analyse jour après jour la difficulté de l’apprentissage de cette nouvelle vie et fait à la fois œuvre de journaliste et de romancier.
Un beau livre qui dépasse 500 pages et comporte parfois quelques longueurs ou répétitions. Toutefois, la qualité de l'écriture de Philippe Lançon et son lourd témoignage en font un des bons livres de ce début d'année 2018.
La valeur thérapeutique c'est de raconter les souffrances et de montrer que la vie ne s'arrête pas. J'ai été sensible à l'absence de dolorisme dans ce roman. Espérons que celui-ci ait un effet thérapeutique pour l’auteur qui ne condamne pas ceux qui sont à l’origine de l’horreur, et qui raconte avec force détails, sans se plaindre et sans jamais livrer un récit déprimant, alors que la douleur et la peur ne le quittent jamais.


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Considéré comme le chef d'oeuvre de l'année 2018, le Lambeau est un livre inclassable, indépassable, incontournable. C'est le récit d'une aventure vécue ; ou mieux, d'un parcours personnel ; peut-être même d'une élévation.

Gravement blessé et surtout défiguré après qu'une balle lui eut arraché le bas du visage lors de l'attentat contre Charlie le 7 janvier 2015, Philippe Lançon raconte… Avant, pendant, après...

Le fait fondateur de l'ouvrage – et du Philippe Lançon d'aujourd'hui – est bien sûr l'attentat lui-même. « Pendant » ! Une narration oppressante. le témoignage à contrechamp d'un homme immobilisé au sol. Blessé dès les premières secondes sans vraiment s'en rendre compte, il est presque ailleurs, son esprit désorienté percevant quelque chose de dramatique, mais sans en saisir complètement la nature. Dans son champ de vision, les jambes d'un tueur qui arpente les lieux pour donner le coup de grâce à ceux qui bougent encore, ponctuant chaque coup de feu d'un « Allah Akbar ! » fracassant. De quoi alimenter les cauchemars « après ».

Sans cet événement, qui se serait intéressé à la vie quotidienne de Philippe Lançon « avant » ? Peut-être même pas lui ! Dans les circonstances, j'ai aimé faire sa connaissance, celle de sa famille, de ses amis, de ses femmes, découvrir des images de son enfance, de ses expériences de reporter de guerre, puis de son activité de chroniqueur culturel à Libération et à Charlie Hebdo. Je ne connaissais pas son nom, bien qu'il me soit probablement arrivé de lire certaines de ses chroniques.

Au moment où il écrit, Philippe Lançon n'est plus l'homme qu'il était « avant ». Son regard est à la fois nostalgique et critique. Des recadrages sarcastiques parfois cinglants recèlent une part de mea-culpa, mais n'épargnent personne. La lucidité et l'honnêteté de l'auteur n'excluent pas l'humour et l'autodérision. On n'écrit pas dans Charlie par hasard.

« Après », dans les premières semaines, Philippe Lançon est un homme déconstruit, qui ne peut se consacrer qu'à sa souffrance et aux contingences organiques de ses blessures. Tel un enfant en bas âge, il est en dépendance fonctionnelle et affective de ceux qui l'entourent, ses proches, l'équipe hospitalière. Ne pouvant s'exprimer qu'en griffonnant quelques mots sur une tablette, il ne peut répondre aux attentes des autres, notamment à celles de la femme qu'il aime et qui l'aime. Est-il même encore capable de l'aimer ?

« Après », ce sont aussi les heures et les jours interminables de soins d'urgence, puis les semaines et les mois interminables de reconstitution d'une bouche où la mâchoire et la lèvre inférieure avaient disparu. Un processus auquel le patient doit collaborer activement, car la guérison, ou plutôt dans le cas présent, la reconstruction est à ce prix. Ne pas se laisser abattre par la lassitude et la lenteur des progrès, accepter l'incertitude des tentatives chirurgicales, accepter les traitements douloureux, accepter la discipline des soins, travailler sans relâche à sa rééducation post-opératoire. Et supporter les effets secondaires, ce qu'il appelle les « jacqueries des organes ». Toujours l'humour…

L'abnégation de ses parents et de son frère est émouvante. Des passages leur rendent hommage, ainsi qu'à quelques ami(e)s et à l'ensemble des soignant(e)s, toutes spécialités confondues. L'auteur témoigne aussi sa reconnaissance et son admiration pour la chirurgienne maxillo-faciale qui l'a opéré à plusieurs reprises. Une femme remarquable avec laquelle il échange musique, peinture, littérature.

La musique, la peinture et la littérature jouent un rôle essentiel dans la reconstruction de cet homme de culture. Par la musique, il échappe à l'angoisse des interventions au bloc. La peinture, grâce à la grande exposition Velázquez de 2015, lui offre un premier retour à la vie professionnelle. La littérature, avec Proust, Kafka et Thomas Mann, lui donne les clés de ce qu'il ressent. Sans oublier Houellebecq et son roman Soumission, que Philippe Lançon avait lu et apprécié avant sa publication avortée du 7 janvier 2015. Un livre qui fait déjà polémique juste « avant », et qui continuera longtemps « après ».

Pour supporter son état, Philippe Lançon décide de s'extraire de sa condition de patient, et d'écrire. Il devient le reporter, le chroniqueur de son cas de patient. Sa démarche n'est pas l'introspection, mais l'observation minutieuse et empathique d'un patient par un narrateur. Les romanciers ne s'y prennent pas autrement. Philippe Lançon a monté une marche. Il est devenu écrivain.

Dans son récit qui suit globalement une logique chronologique, il intercale de nombreux retours en arrière et autant de projections dans le futur. Cette construction anime la narration et lui donne une densité. Elle permet à l'écrivain de ménager des effets, de susciter la curiosité du lecteur, de l'inciter à la patience. De le contraindre à la lenteur qui s'impose à lui, patient, dans son parcours « après ».

Un livre difficile, puissant et sublime, sur lequel j'aurais encore tant à méditer et à commenter.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Le 7 janvier 2015, deux frères, deux terroristes entraient dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo pour massacrer toutes les personnes présentes.

Parmi elles, Philippe Lançon.

Entouré des corps de ses compagnons et amis assassinés, il comprend progressivement et lentement qu'il a survécu et que sa mâchoire a été pulvérisée.

Commence alors le long chemin de la rémission, morale, psychologique et physique.

Coincé dans un lit d'hôpital, privé de la parole et condamné à subir les nombreuses opérations de reconstruction (qui donneront un sens au titre de l'ouvrage) et les longues attentes en intervalles, c'est ce chemin que Philippe Lançon vous propose de suivre avec lui.

A mon avis :
On est souvent passionné par le récit de ces héros qui dépassent leurs limites et font parfois preuve d'une telle résilience face à la douleur physique, psychologique et aux difficultés de la vie, qu'ils en deviennent encore plus grands.

Le truc ici, c'est que Philippe Lançon est une victime sans doute, pas un héros.

Et de fait, nous n'avons pas de raison particulière de nous intéresser à sa vie privée.
Pourtant, si l'évocation de l'attentat et le déroulé des événements, de son ressenti, est riche et prenant, le restant de ce livre n'est qu'un long défilé de soignants, d'amis, de compagnes, de famille, qui permettent à l'auteur de faire de nombreuses digressions dans le passé ou le présent, mais qui n'offrent rien de plus au lecteur que les réflexions d'un journaliste après un choc émotionnel et physique intense.

Il faut sans doute à la fois occuper ces longs mois de convalescence et réaliser la catharsis de ce drame, mais quels que soient son importance et son impact (débordant bien au-delà du petit cercle journalistique directement concerné d'ailleurs), cela ne nous intéresse que peu.

Il faut cependant accorder un véritable talent d'écrivain à Philippe Lançon dont la prose est très agréable, mais le sujet, hormis l'événement lui-même, m'a ennuyé.


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J'ai mis beaucoup de temps à me décider à lire ce livre. Je viens de le refermer et je me suis demandé : faut-il attendre encore un peu, quelques jours, avant d'écrire quelque chose à son sujet ? Non pas une critique, j'ai l'impression que ce mot ici serait totalement déplacé, mais un billet, une chronique, une émotion qui rassemblerait quelques phrases éparses. Alors ce soir j'ai eu envie de vous écrire...
Chacun de nous se rappelle ce qu'il faisait le 7 janvier 2015, l'endroit où il se trouvait, les personnes avec lesquelles il était...
Ce jour-là j'étais en Ukraine, à Kiev auprès de ma future belle-famille. Je me souviens que nous fêtions le Noël orthodoxe. Plus tard, après la fête, je me suis connecté avec le monde et j'ai découvert alors sur un écran des visages, tout d'abord ceux de Cabu, Wolinski, Charb... Je n'ai pas compris tout de suite. Mais je me suis assis très vite, tout a vacillé, le Noël orthodoxe que je venais de célébrer était déjà très loin...
Le Lambeau, c'est le récit d'un homme, un journaliste présent le jour de l'attentat de Charlie Hebdo, qui y a survécu. Il s'appelle Philippe Lançon. Il nous livre ici les jours, les semaines, les mois qui ont suivi ce drame, sa reconstruction physique et mentale.
Peut-on revenir d'un tel drame, après y avoir laissé derrière soi des souvenirs, ceux d'une amitié collective, ceux des derniers instants aussi, les secondes qui ont précédé l'irruption des terroristes dans cette salle du journal, la fusillade, les balles partout dans les corps déchiquetés autour de Philippe Lançon, survivant entre les morts, le sang qui reste après cela, collé au sol, aux papiers, aux livres qui étaient là sur une table, peut-être des morceaux de chair ?
Peut-on être survivant ? Peut-on le rester ? Combien de temps faut-il pour réparer cette douleur ? Et puis je suis entré dans ce texte avec la grâce des mots de son auteur. Ici il n'était pas question d'entrer en empathie. Peut-on se mettre à la place de cet homme qui a touché la mort du bout des doigts et les morts autour de lui ?
Le récit est touchant, humble, parfois ironique. L'écriture est magnifique, d'une très grande justesse dans les mots choisis. Tout est écrit dans les détails intimes d'une reconstruction. La notion du temps prend ici toute son importance. Philippe Lançon convoque souvent Proust, dans cette recherche du temps perdu. Philippe Lançon dit que Proust a réussi à cheminer vers un temps retrouvé, tandis que lui évoque l'idée d'un temps suspendu depuis le jour de l'attentat, une sorte de puits sans fond dans lequel il dégringole depuis lors. le narrateur se souvient des choses d'avant, longtemps avant, mais aussi quelques minutes avant, juste avant... le regard de Bernard Maris, une blague de Charb et puis, brusquement, un silence froid qui recouvre tout cela...
Les survivants ressemblent parfois à des albatros maladroits lorsqu'ils parviennent à se poser sur le sol, un territoire inconnu, presque hostile.
J'ai été touché par cette façon d'aborder ce cheminement sans complaisance. C'est un chemin difficile forcément. Tous les détails nous sont partagés, mais dans une manière sobre et délicate qui ne cherche jamais à nous heurter.
Les personnages qui viennent peu à peu dans cette histoire sont tous très attachants, la famille, le frère qui revient comme s'il existait désormais plus que jamais dans cette histoire, les parents, son ex-épouse, sa compagne Gabriella, éloignée géographiquement, le personnel hospitalier, et parmi l'équipe médicale il y a ce magnifique personnage de Chloé dont le narrateur aura mille peines à s'en détacher.
Et puis c'est cruel de découvrir qu'un tel attentat peut aussi meurtrir l'amour qui était là, qui ne demandait rien que de continuer son petit bonhomme de chemin, mais voilà, des balles sont passées par là, des morts, du sang, et alors une forme d'incompréhension vient... Pourquoi ? L'amour qui était là avant peut-il survivre après cela ? Comment continuer de s'aimer lorsque le ciel qu'on partageait ensemble brusquement s'est fendu en deux.
Le temps est suspendu et nous aussi au-dessus du texte que nous survolons comme des oiseaux perdus dans ce ciel douloureux et en même temps émerveillés par la lumière qui se dégage du récit de Philippe Lançon. le texte est terrible dans l'effroi qu'il raconte, la scène d'horreur et puis ce qui vient après, mais ce n'est pas à nous d'avoir mal.
C'est le texte d'une reconstruction physique, un visage démoli qu'on reconstruit, avec des parties qu'on enlève ici pour les mettre là. C'est le récit d'une cicatrisation. C'est forcément une reconstruction morale, celle d'un homme qui doit tourner une page, cheminer ailleurs tout en portant cela...
Philippe Lançon est un homme qui ne lâche rien, qui doute parfois, qui a peur, qui espère, qui aime, qui attend, qui ressent la dépendance inéluctable des personnes qui le soignent, parvient avec difficulté à s'en détacher et puis se relève pour marcher vers le futur.
J'ai été touché par le style du récit, ce texte raisonne en moi comme le battement d'ailes d'un albatros, maladroit et fragile, cette manière d'apprendre à marcher de nouveau dans la vie quand tout a été démoli en vous et autour de vous.
Le récit de Philippe Lançon m'a donné envie d'écouter Bach, de relire Kafka, de regarder un tableau de Vélasquez, de lever les yeux vers le ciel et de chercher dans les nuages le visage de quelqu'un qui me manquerait par-dessus tout...
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