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Critique de Henri-l-oiseleur


Pour nous, lecteurs prisonniers du bagne matérialiste, privés d'espérance, de passé et d'avenir, la lecture de ce roman de Sébastien Lapaque risque d'être difficile, à cause des malentendus et des contresens que nous risquons de commettre. C'est le récit à la première personne d'une libération intellectuelle et spirituelle du héros, qui passe par les trois temps théologiques, l'enfer d'avant la Loi émancipatrice (de Moïse), dans le monde Immonde, le temps de la Loi incarné par un personnage juif qui revient à ses sources, et le temps de la grâce, le temps chrétien, l'enracinement des hommes au ciel et sur terre. Structuré comme La Divine Comédie, le roman nous conduit vers une sorte de fin heureuse.

On risque donc de se tromper en lisant ce livre. Déjà, le titre laisse attendre une espèce de "roman doudou", de livre coach, et les fautes de langue et de style qu'on y trouve montrent que le romancier ne s'est pas entièrement dégagé de la langue de notre époque, celle de "l'Immonde". Heureusement pour eux, les habitués de cette sous-littérature ne poursuivront pas la lecture, et trouveront le roman "trop catho" ("trop catho" est le commentaire d'un Babeliote sur les Pensées de Pascal).

Un autre piège, inverse, attend le lecteur sensible aux auteurs antimodernes, aux dénonciateurs du règne de l'argent, de la machine et des bons sentiments. Souvent, avec les écrivains qu'il affectionne, ce lecteur prend tout son plaisir littéraire aux outrages faits au monde tel qu'il est, l'Immonde du roman. Cette attitude de constante révolte, de constant dégoût, nourrie aux essais de Philippe Muray et incarnée aujourd'hui par Michel Houellebecq, Patrice Jean, Bruno Lafourcade, nous place dans une relation de haine envers le monde, aussi stérile que le conformisme idiot des progressistes. Lazare, le héros de Sébastien Lapaque, découvrant que notre monde est proprement l'Immonde, ne reste pas prisonnier de cette révélation, il ne se plaît pas à le haïr ni à l'accabler d'imprécations. Il va au-delà, entraîné par la grâce divine vers une seconde révélation, celle de la beauté du monde créé par Dieu, préservé et cultivé par certains hommes, non encore assassiné par les manieurs d'argent, le tourisme et les forces de progrès. Ce personnage semble toutefois se convertir au christianisme, à la vie, à la fraternité et à l'ordre chrétiens, plus qu'au Christ lui-même, peu présent, un peu évanescent dans le livre.

C'est là que le bât blesse. On sait bien que l'Enfer de Dante est un poème plus intéressant que son Paradis. Il faut un génie poétique et littéraire hors pair pour rendre la Grâce, la beauté et le bonheur attirants en littérature, surtout quand on s'adresse à des lecteurs privés d'espérance, sceptiques et cyniques. Il n'est pas certain que le talent de Sébastien Lapaque suffise. Son roman contient de belles intuitions et de belles pages, des scènes lumineuses de Paris, de la Bretagne, de la forêt et de la ville pleines d'oiseaux, mais souffre aussi de lourds défauts : le récit à la première personne empêche tout jeu et toute distance critiques du narrateur et du personnage ; de longs passages à thèse maladroitement insérés dans le récit, développent les idées de l'auteur ; les scories linguistiques et stylistiques de la langue immonde encombrent sa prose ; enfin il n'est pas suffisamment armé contre les clichés de l'Immonde, ses abstractions moderneuses, ses "paysages absolus" et autres niaiseries. Sébastien Lapaque rappelle le second Huysmans, celui des romans de la conversion : devenu catholique, ayant l'ambition de participer au renouveau de l'art chrétien, il est resté marqué par les tares littéraires et idéologiques de son ancien maître Zola. Il n'a pas converti sa langue et son art, et cela se voit. Sébastien Lapaque est encore trop peu inactuel.

Malgré toutes ces réserves, "Ce monde est tellement beau" est un beau livre, imparfait, maladroit mais intéressant : un essai d'art chrétien. On lira avec beaucoup de profit l'interview que Sébastien Lapaque a accordée à Jacques de Guillebon et Jérôme Besnard, du magazine L'Incorrect de janvier 2021. Sans la recommandation de ce journal, je n'aurais jamais ouvert ce livre au titre alarmant.
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