Effondrement global ou pas, le défi est incommensurable. Nous voilà devant une piste d’atterrissage défoncée sur laquelle il faut poser un avion surpuissant mais hors d’âge, le tout le plus doucement possible. Ce défi « va brutalement secouer la démocratie, nos dogmes économiques, certaines convictions religieuses, les acquis sociaux, bref tout ce qui est né dans le monde en croissance qui a été le nôtre pendant huit générations, mais qui commence à s’estomper sous nos yeux, écrit Jean-Marc Jancovici. Et pourtant, il faut transformer tout cela en projet d’espoir.»
À l’heure où je boucle l’écriture de ce livre, une pandémie chamboule la planète. Les cours de pétrole se sont effondrés, tout comme la demande d’or noir. L’économie entre dans une violente récession. Le spectre du chômage de masse hante les populations. Et la misère menace les plus précaires. Ce cataclysme confirme-t-il les sombres prévisions des collapsologues, les penseurs de l’effondrement de la civilisation industrielle ? Nous verrons.
La pandémie de coronavirus a le mérite de montrer la fragilité de nos sociétés mondialisées et ne rend que plus pressante la nécessité de faire face à d’autres périls, susceptibles d’exterminer la vie sur terre à brève échéance. Il est probable que la demande de pétrole repartira à la hausse une fois la crise derrière nous. Et, par conséquent, que nous nous précipiterons plus vite vers le chaos climatique et le pic pétrolier.
Comment anticiper ces dangers ? Comment vivre sans pétrole et se passer des énergies fossiles qui soutiennent notre civilisation industrielle ? Ce livre tente de répondre à ces questions en dessinant les contours d’un avenir plus durable. Mais, parce que les idées ne suffisent pas à montrer l’ampleur des bouleversements à venir, il faut créer de nouveaux imaginaires. Ce livre contient donc une fiction à la suite d’un essai. L’essai nourrit la fiction, et cette fiction raconte un avenir possible. Un parmi des milliards.
Cet imaginaire émane de la vision forcément subjective de son auteur, espérant qu’elle contribue, à sa bien modeste mesure, au renouvellement de l’imaginaire collectif.
Ces machines surpuissantes et dévoreuses d’hydrocarbures nous ont offert le confort matériel. Dans cette société de consommation, frigos, écrans, jouets, tubes de dentifrice, médicaments, produits cosmétiques ou ménagers, équipements pléthoriques et objets courants prolifèrent jusqu’à s’entasser dans un coin de nos maisons ultra-chauffées, toujours plus grandes, où tout sent bon le plastique et les produits synthétiques dérivés du pétrole. Quand chaque Français disposait d’environ 23 mètres carrés en 1970, il dispose aujourd’hui de 40 mètres carrés en moyenne. Merci les grues, pelleteuses, concasseuses, perceuses, camions, bétonneuses… Le confort, c’est l’espace qui s’étire également à l’extérieur. Avant l’ère de l’or noir, la majeure partie des humains naissaient, vivaient et mouraient dans un périmètre assez restreint, souvent de quelques dizaines de kilomètres. Désormais, nous vivons, travaillons, voyageons à l’autre bout de la France ou du monde.
Le fléau du plastique.
Non contents de coloniser absolument tous les milieux terrestres, allant jusqu’à s’infiltrer sous forme de microparticules dans l’eau du robinet, massacrant animaux marins et polluant massivement, les plastiques envahissent nos corps et les rendent malades. Sources majeures d'exposition aux perturbateurs endocriniens, des substances capables d’altérer notre fonctionnement hormonal, les plastiques sont suspectés de provoquer un grand nombre de pathologies en progression : troubles neurocomportementaux et cognitifs, obésité et diabète de type 2, cancers hormono-dépendants, infertilité, maladies thyroïdiennes. Les contenants en plastique nous contaminent tous. Chacun de nous ingère environ cinq grammes de particules de plastique chaque semaine, soit l’équivalent d’une carte bancaire.
Tout commença par une histoire d’obscurité et de baleines. Au XIXe siècle, les chasseurs baleiniers n’arrivent plus à satisfaire la demande d’huile. Elle sert à éclairer les humains quand vient la nuit. Mais nos ancêtres ont tué trop de baleines. Le prix de l’huile du mammifère grimpe. C’est là que la production de pétrole décolle. Transformée en kérosène par un scientifique canadien, Abraham Pineo Gesner, l’«huile de roche» éclaire pour un prix dérisoire des intérieurs longtemps restés obscurs.
Le pétrole sert aussi de lubrifiant pour les machines à vapeur, dont le nombre explose. La demande de pétrole continue sa folle ascension. À peine utilisé par quelques Grecs anciens pour fabriquer des armes incendiaires et par une poignée de Mésopotamiens, le pétrole devient l’or
noir au XIXe siècle. L’humain industriel a tiré le pétrole d’un long sommeil souterrain. Comme le charbon et le gaz, il a dormi pendant des millions d’années dans le ventre de la terre. Seule cette éternité a pu lui donner sa puissance, qui a enfiévré Homo sapiens. En seulement un siècle, environ
1000 milliards de barils sont partis en fumée.