Loin des automatismes propres à un environnement familier, le voyageur est soumis en permanence à l’étonnement de voir, de goûter, de toucher, de sentir, d’entendre et de plonger même dans d’autres dimensions sensorielles relevant de perceptions qui lui étaient inconnues.
Ce qui importe ce n’est pas le chemin mais ce que le marcheur en fait.
Remise en ordre du chaos intérieur, la marche n'élimine pas la source de tension, mais elle la met à distance, favorise les solutions.
La promenade est une autre manière de se rassasier, de se nourrir du monde tout en s’allégeant des soucis du jour.
Il faut parfois accomplir un long détour pour retrouver son chemin.
Le monde n’est pas avare de ses offrandes ni le voyageur de les recevoir. Tout voyage est un cheminement à travers les sens, une invitation à la sensualité. Une foule de sensations heureuses justifie mille fois d’exister et surtout d’être là à ce moment. Le don de présence des évènements n’est pas moins prodigue que la fringale du voyageur qui s’efforce de faire une large provision des perceptions glanées çà et là. La marche est d’abord un art des sens. La disponibilité à l’instant amène à des sensations vives, plus mémorables. Un marcheur est un homme ou une femme qui se sent passionnément vivant et n’oublie jamais que la condition humaine est d’abord une condition corporelle, et que la jouissance du monde est celle de la chair, et d’une possibilité de se mouvoir, de s’extraire de ses routines.
Porter la main sur le sol pierreux ou la plonger dans l'eau froide d'un ruisseau nous fait sentir une respiration qui n'est plus de ce monde. Présentes à l'origine, bien avant toute forme d'humanité, produits de la fusion des éléments, les pierres sont toujours là, les mêmes sur lesquelles trébuchait le chasseur du néolithique gênent encore les pas du marcheur aujourd'hui. Elles seront encore là dans la succession des éternités à venir.
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Le chemin relie le fil infini des générations.
Ce qui importe dans la marche ce n’est pas son point d’arrivée mais ce qui se joue en elle à tout instant, les sensations, les rencontres, l’intériorité, la disponibilité, le plaisir de flâner… exister, tout simplement, et le sentir.
Le marcheur est un artiste des occasions.