20.
L'art de prendre son temps : Essai de philosophie politique
Jean-Paul Jouary
4.50★
(13)
Une réflexion où la question de la conception du temps en relation avec la question de la démocratie, de l?Antiquité à nos jours, occupe une place centrale.
« L'Art de prendre son temps réunit une série de conférences prononcées en 1993 au Collège international de philosophie. Jean-Paul Jouary reprend la phrase terriblement révolutionnaire de Diderot : « Hâtons-nous de rendre populaire la philosophie ! » Et c'est le même sillon qu'il creuse en reprenant à un autre niveau les réflexions qu'il avance dans son essai de philosophie politique qu?est L'Art de prendre son temps. Levons tout de suite une ambiguïté que pourrait faire naître ce titre. On est pressé. L'auteur aussi. Il écrit, en fait, qu'il faut prendre son temps dans tout son concret pour ne pas le perdre et en gagner. La précision n'est pas aussi elliptique qu'elle en a l'air. Il s'agit ici de travailler autour de la façon « explicite ou implicite d'inclure certaines conceptions du temps dans la réflexion politique ». En gros, de se plonger dans son temps pour construire notre futur. Un réflexion déjà portée par l'auteur dans d'autres ouvrages.
Point de départ : une nouvelle visite dans la caverne de Platon, cette allégorie célèbre où le sujet enchaîné n'a de perception du monde réel que le reflet projeté sur la paroi des ombres de ceux qui sont au dehors. Généralement, dans les ouvrages scolaires de philosophie, l'extrait de texte proposé à la lecture s'arrête là. Mais la « République » de Platon va bien plus loin et questionne sur le prisonnier qui a été libéré, qui a vu le monde, et revient dire aux autres prisonniers ce qu'il est. Ceux-ci, se fondant sur leur expérience, sur leurs sensations, ne peuvent le croire. C'est ce moment qui interroge l'auteur. La question est directement politique, par le fossé infranchissable dressé entre celui qui a vu (et cela peut être dit d?une vision du futur d?une société) et celui dont l'expérience contredit cette vision. D?où peut naître la pensée d'une société future et les moyens d'y parvenir ? Chez Platon, il faut des rois philosophes. D'autres ont pensé qu'il fallait des « Lumières » pour guider le peuple. Jean-Paul Jouary, dans cet essai, montre l'évolution de ce questionnement à travers plusieurs penseurs, dont Galilée, Darwin, Lacan, Rousseau et Marx. Il critique ceux pour qui la transformation sociale proviendrait de « valeurs universelles, qui s'imposeraient partout sans même avoir été portées par des pratiques populaires », ou encore ceux qui pensent que la révolution technologique est d?elle-même porteuse de révolution sociale.
Pour Jean-Paul Jouary, il faut en revenir à Marx et son « introduction de la pratique dans la position même des problèmes théoriques », avec l'idée qu'il n'est pas de plus haute existence de la théorie que celle qui inscrit ses créations dans le creuset des potentialités en acte dans les pratiques populaires. « L'avenir est toujours quelque part dans le présent, et, à l'ignorer, on s'expose à chercher l'avenir loin devant soi, alors même qu'il nous rattrape, nous dépasse, nous sème en se riant des plans que nous avions tiré sur lui ». »
Bruno Peuchamiel