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Citations sur Ce qui n'a pas de prix (16)

7. Injonction conclusive : « Seulement, cette fois, il ne s'agit plus de s'en prendre à la colonne Vendôme mais à la gigantesque pièce montée d'une corruption intellectuelle qui s'empare de tous les prétextes pour célébrer ses accommodements avec la domination, jusqu'à en faire le grand spectacle de ce temps.
Assez de ces expositions-phares dont les commissaires, à l'instar des DJ vedettes, mixent le passé et le présent pour empêcher que le futur ne soit jamais autre ! Assez du double langage festif accueilli de toutes parts, sans qu'on y reconnaisse le meilleur agent de maintien de l'ordre ! Assez de ces capitales européennes de la culture qui exproprient la vie des quartiers et des villes pour accélérer la domestication de tous !
Pour l'heure, c'est à chacun de trouver les moyens d'en instaurer le sabotage systématique, individuel ou collectif. » (p. 168)
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6. Deux cit. d'Élisée Reclus, Du Sentiment de la nature dans les sociétés modernes et autres textes, 1866 :
a) « La question de savoir ce qui dans l’œuvre de l'homme sert à embellir ou bien contribue à dégrader la nature extérieure peut sembler futile à des esprits soi-disant positifs : elle n'en a pas moins une importance de premier ordre. »
b) « Une harmonie secrète s'établit entre la terre et les peuples qu'elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s'en repentir. Là où le sol s'est enlaidi, là où toute poésie a disparu du langage, les imaginations s'éteignent, les esprits s'appauvrissent, la routine et la servilité s'emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort. » (pp. 121-122)
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5. « Qu'il s'agisse des industries du luxe ou de l'art contemporain, le message est le même : l'important est d'en être, autrement dit de ne jamais risquer d'être exclu ou expulsé de ce monde où tout a un prix. Convergence essentielle qui explique pourquoi "l'art des vainqueurs" est de plus en plus financé, promu et propagé par les détenteurs des industries du luxe.
En dépend en effet l'issue de la guerre entre ce monde où tout a un prix et celui, chaque jour plus fragile, dont aucune valeur n'est à extraire. C'est une guerre féroce, où la moindre manifestation de ce qui n'a pas de prix doit être immédiatement neutralisée, sinon détournée, pervertie, voire annihilée. » (p. 96)
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4. « La dépossession que l'art contemporain a initiée concernant l'existence collective, la mode la poursuit parallèlement concernant l'existence individuelle. Car même si la mode a depuis toujours influé sur les attitudes et les comportements, le cynisme de la prédation aujourd'hui à l’œuvre consiste à en faire le plus redoutable véhicule de l'esthétisation comme facteur d'enlaidissement.
C'est précisément sur ce principe que prospère depuis des années ce que j'appellerai la "beauté d'aéroport", qui règne sur toutes les zones franches du monde. Elle est au luxe, dont elle serait l'expression internationale, ce que sont depuis longtemps aux arts traditionnels des pays lointains les objets fabriqués en série, qui constituent ce que l'on a nommé "l'art d'aéroport". Il est remarquable que le mépris qui aura toujours été de rigueur pour cette pacotille d'inspiration populaire ne se soit jamais exercé sur les sacs, montres, bijoux, foulards... portant le logo de quelques couturiers et parfumeurs prestigieux comme d'une dizaine de marques mondialement reconnues.
[…]
On ne sera pas surpris qu'il n'y ait que les fondations et les musées d'art contemporain pour exhiber pareille monotonie. Ainsi, d'une métropole à l'autre, sont exposés les mêmes artistes, tout comme d'un aéroport à l'autre on retrouve les mêmes boutiques offrant les mêmes produits. Et le parallèle pourrait être poursuivi jusque dans l'absence de toute critique à l'égard de ce qui est proposé dans un lieu comme dans l'autre. » (pp. 92-93)
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3. « Loi du genre si naturellement admise que presque personne n'a trouvé à redire à ce phénomène, au cours duquel "le discours sur l’œuvre s'est incorporé à l’œuvre elle-même", de sorte qu' "émettre des doutes sur elle, la contester, la commenter conduit à une aporie du jugement, inéluctable comme échec et mat". Inutile d'être pour ou contre, quelle que soit votre réaction, "elle est incluse dans le travail de l'artiste, elle est son objet même".
[…] Faut-il même dire que ces modes d'emploi bannissent tout le surprenant, le risqué voire le bouleversant, qu'on pouvait attendre de la rencontre avec une œuvre ? En réalité, obligé d'en passer par là, à moins de se sentir exclu de ce qu'il est venu contempler, nul ne se rend compte à quel exercice de soumission il consent à se livrer. Au point de se demander qui a seulement pris conscience que, sous prétexte de nous éclairer sur l’œuvre exposée, voilà des années que l'on nous fait participer à des protocoles de perception manipulée par tétanisation critique. » (pp. 50-51)
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2. « […] Si l'immense mérite de Wolfgang Ullrich est d'avoir établi comment l'art dans lequel se reconnaissent ces vainqueurs est d'abord celui de se soumettre au pouvoir de l'argent pour tout lui soumettre, il importe aussi de prendre la mesure de ce qui en résulte. À savoir que c'est en investissant le domaine sensible, et en y investissant des sommes énormes, que cette violence de l'argent est en train de s'attaquer à ce qui, depuis toujours, a donné aux hommes leurs plus folles raisons de vivre. » (p. 44)
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1. « […] Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la laideur a eu la voie libre.
D'autant qu'au cours des vingt dernières années, cet enlaidissement semble avoir été accompagné sinon devancé par une production artistique (arts plastiques et arts du spectacle confondus) dont les innombrables formes subventionnées ou sponsorisées à grands frais auront abouti, sous le prétexte de plus en plus fumeux de subversion, à substituer à toute représentation l'envers et l'avers d'un avilissement continu. Et cela, tandis que cette fausse conscience était étayée par la fabrication parallèle d'une beauté contrefaite par l'esthétique de la marchandisation, dans laquelle certains auront reconnu la marque d'un "capitalisme artiste". » (p. 11)
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C’est cette irréalité qui nous fait riches de ce que nous ne sommes pas. C’est cette irréalité qui nous offre la liberté de l’espace intermédiaire qui s’y découvre, accessible à tous mais où chacun est alors à même de trouver le passage par lequel il peut se réapproprier le monde. (…)
Aby Warburg, part en quête de ces passages qu’il voit apparaître dans le vertige des formes. Sa vie durant, quitte à le payer de son équilibre, il en cherche le secret qu’il découvre dans l’extraordinaire courage de l’imagination affrontant, à travers les siècles et les civilisations, la peur qui assiège chacun au cœur de sa pensée, la peur de voir surgir la forme qui ouvre sur le néant qui nous habite.
Et peut-être avant tous, Dante en est si conscient que, dès les premiers vers de La Divine Comédie, il dit le danger de la forêt obscure « qui ranime la peur dans la pensée ». Cette « peur dans la pensée », c’est elle qui empêche de regarder ailleurs, c’est elle qui empêche cette continuelle métamorphose pour rencontrer nos rêves et dont, pour Aby Warburg, certaines images sont capables de conserver et transmettre, d’une époque à l’autre, l’énergie émotive. Cette « peur dans la pensée », c’est encore tout ce contre quoi Victor Hugo combat, en s’exclamant dans Le Promontoire du songe : « Allez au-delà, extravaguez ! »
     
Aussi comment ne pas voir que la marchandisation du monde mise absolument sur cette « peur dans la pensée », produisant des millions de faux-semblants comme autant de leurres qui cadenassent l’horizon ? Comment ne pas voir que cette « peur dans la pensée » est à l’origine de toutes les démissions ?
     
Sinon aurait-on oublié la beauté que Victor Hugo évoque comme « l’infini contenu dans un contour » et qui pourrait bien se confondre avec le but de la « lente flèche de la beauté », que Nietzsche se plaît à imaginer comme celle « qu’on emporte avec soi presque à son insu et qu’un jour, en rêve, on redécouvre, mais qui enfin, après nous avoir longtemps tenus modestement au cœur, prend de nous possession complète, remplit nos yeux de larmes, notre cœur de désir ». (Humain, trop humain, 1878)
     
(pp. 164-167)
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Bien sûr, il s'agit de Victor Hugo, doté de tous les prestiges. On ne peut imaginer plus grande dissemblance de moyens, de destin avec ces bâtisseurs autodidactes [tels le facteur Cheval]. Pourtant la quête est la même. Comme eux, il a prêté attention à "la bouche d'ombre" pour savoir que "tout dit dans l'ombre quelque chose à quelqu'un". Et il en ressort que l'insistance de Jean Dubuffet à refuser d'inclure sous la dénomination d'Art brut toute expression, qui ne serait pas le fait de personnages "indemnes de culture artistique" (Jean Dubuffet, in L'Art brut préféré aux arts culturels, Galerie René Drouin, 1949), fausse la perspective. Que se manifeste alors "la seule fonction de l'invention, et non celles constantes dans l'art culturel, caméléon et du singe" (ibidem) tient moins de l'inculture des auteurs de ces oeuvres, comme le prétend Dubuffet, que du décentrement, conscient ou non, que ceux-ci opèrent, non pas seulement par rapport aux "poncifs de l'art" mais par rapport à la vie empêchée qui les génère. Qu'elle est la différence entre le facteur Cheval qui déclare: "D'un songe, j'ai sorti le rêve du monde", et le duc Gianfrancesco Vicino Orsini qui, aux alentours de 1560, entreprit de métamorphoser le paysage environnant son château de Bomarzo, en y faisant surgir des monstres, sirènes et dieux de pierre, pour ajouter au blason des Orsini, cette inscription: "Que Memphis et toutes les autres merveilles du monde cèdent le pas au bois sacré qui ne ressemble qu'à lui-même"? (cité par Gilles Ehrmann, Les inspirés et leurs demeures, 1962)
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Voici venu le temps où les catastrophes humaines s'ajoutent aux catastrophes naturelles pour abolir tout horizon. Et la première conséquence de ce redoublement catastrophique est que sous prétexte d'en circonscrire les dégâts, réels et symboliques, on s'empêche de regarder au-delà et de voir vers quel gouffre nous avançons de plus en plus sûrement.(...)

Trop d'objets, trop d'images, trop de signes se neutralisant en une masse d'insignifiance, qui n'a cessé d'envahir le paysage pour y opérer une constante censure par l'excès.

Le fait est qu'il n'aura pas fallu longtemps pour que ce "trop de réalité" se transforme en un "trop de déchets". Déchets nucléaires, déchets chimiques, déchets organiques, déchets industriels en tous genres, mais aussi déchets de croyances, de lois, d'idées dérivant comme autant de carcasses et de carapaces vides dans le flux du périssable. Car s'il est une caractéristique du siècle commençant, c'est bien ce jetable qu'on ne sait plus ni où ni comment jeter et encore moins penser.

De là, un enlaidissement du monde qui progresse sans que l'on y prenne garde, puisque c'est désormais en-deçà des nuisances spectaculaires, que, d'un continent à l'autre, l'espace est brutalisé, les formes déformées, les sons malmenés jusqu'à modifier insidieusement nos paysages intérieurs.
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