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Suis tellement confus de classer en "pense-bête" ce qui convoque l'intelligence.
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Annie le Brun est une révoltée, une « mécontemporaine » comme la qualifiait Judith Perrignon dans Libération. Elle a connu André Breton et a pris part aux dernières années du surréalisme. Née en 1942, cette femme écrivain, poétesse et critique d'art, a publié cet essai en 2018.
Lors d'une interview, elle expliquait que « ce qui n'a pas de prix, ce sont les choses qui nous font vivre, le rêve, la passion, l'attention, la profondeur... » Ce qui est dans sa ligne de mire de cette réflexion, c'est « un certain » Art Contemporain, qui à ses yeux constitue le « nouvel enlaidissement du monde » et la marchandisation de l'art, à travers la collusion avec la haute finance. On assiste dit-elle à la marchandisation de tout, même du « sensible, qui avait été longtemps épargné. » C'est l'Art officiel, celui des milliardaires, avec l'active complicité des artistes contemporains, tel que Jeff Koons qui s'approprie des objets de consommation et cherche à les glorifier. Ce mouvement représente pour l'auteur de la manipulation. Ces oeuvres se caractérisent par leur gigantisme qui ne cherche que la sidération. Cette démesure paralyse la parole, l'émotion, la réaction. Ce serait là finalement « l'art des vainqueurs ».
Dans le même esprit, l'auteure est scandalisée de constater que le plasticien britannique Anish Kapoor puisse se payer en 2016 l'utilisation exclusive du noir absolu, le Vantablack, pour un usage artistique. Quel cynisme de pouvoir ainsi obtenir le monopole d'une couleur, qui plus est d'un noir !
J'ai pris énormément de plaisir à lire cet essai. J'ai appris, j'ai été obligé de m'informer en amont et en aval, et j'ai apprécié ce regard pétillant et sans concession sur ce microcosme élitiste. C'est évidemment un livre socio-politique, une critique à tiroirs très subtile.
J'émets toutefois trois critiques à ce livre. D'abord, Annie le Brun nous parle d'un « certain art contemporain » sans suffisamment le cerner. Au fil des pages, j'ai eu souvent l'impression qu'elle glissait et parlait finalement de tout l'art contemporain, ce qui serait une aberration. D'autre part, elle nous parle souvent du « beau » tout en précisant qu'il est impossible de le définir. Pourtant, elle l'oppose à « la beauté d'aéroport », celle qui s'est uniformisée et a été domestiquée. Bien-sûr, on peut deviner à travers ses lignes ce qu'elle considère comme beau ou pas, mais c'est ajouter de la subjectivité à la subjectivité. Enfin, son manque de nuance total sur internet qu'elle juge tout d'un bloc comme néfaste et comme étant une forme de censure par surabondance est un peu déraisonnable et subjectif.
Ce qui ne m'empêche pas de vivement conseiller ce livre à tous les amoureux de l'art, et à tous ceux qui, comme moi, se posent des questions sur ces plasticiens modernes surcotés.

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« Ce qui n'a pas de prix », bien entendu, c'est la beauté. Et la thèse de cet essai est que le capitalisme contemporain, et plus particulièrement le néo-libéralisme, à travers l'art contemporain qualifié de « réalisme globaliste », est en train de mener une guerre d'enlaidissement et de domination tous azimuts. Les mânes de la critique des effets du capitalisme sur l'art portent le nom d'Arthur Rimbaud, de William Morris, de Walter Benjamin... Mais aujourd'hui, alors que les enchères des oeuvres d'art se chiffrent en millions d'euros, que le volume du marché relatif a décuplé en trois décennies, que la fusion et confusion entre ce dernier et l'industrie du luxe sont consommées, que la critique joue un rôle de censure tyrannique, l'envergure de l'entreprise de l'enlaidissement généralisé et globalisé dépasse largement le seul milieu des arts pour atteindre des dimensions proportionnelles à celles de l'invasion du capital dans les existences. Ainsi, il est question, outre que d'arts, de politiques culturelles, d'installations, d'expositions et de mode, également d'aménagement du territoire et d'urbanisme, d'exploitation post-coloniale à travers les arts dits premiers, de manipulation et récupérations de l'identité des habitants des quartiers populaires, de trafics et de blanchiment d'argent...
L'autrice, qui est d'abord poétesse et spécialiste de poésie, ne procède pas à une véritable démonstration, ne s'attarde jamais sur des données quantitatives, mais elle fait référence à l'actualité de l'univers artistique contemporain avec autant d'expertise qu'à la pensée philosophique et politique passée et actuelle. Par de fulgurantes formules, elle avance de façon rhizomatique dans une critique très acérée de l'emprise de l'argent sur « tout ce qui a un prix » et qui guerroie contre tout ce « dont aucune valeur n'est à extraire ». Parfois ses assauts contre l'art contemporain peuvent passer pour du passéisme de mauvais aloi, mais son affiliation au mouvement surréaliste ainsi que ses références démontrent que c'est la domination de la finance qu'elle vise en réalité.
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La beauté, c'est « ce qui n'a pas de prix ». L’œuvre d'art, qui elle a un prix, c'est tout autre chose. Ce pamphlet s'en prend à cette tentative d'esthétisation du monde qui s'acharne à tout transformer en objet d'art. Travail de sape qui ouvre des abysses d'insignifiances dont le pouvoir sidérant n'a d'égal que les sommets vertigineux de la spéculation financière sur le marche de l'art. Cette esthétique de la sidération, Annie le Brun la nomme « réalisme globaliste ». C'est l'esthétique du pouvoir financier mondialisé et triomphant. Exit l'Internationalisme et son réalisme socialiste ; exit le futurisme fasciste; à chaque tyrannie son esthétique, la philosophie du beau envisagée ici comme masque exaltant les vertus du tyran.
Je ne résumerai pas la démonstration (dont la matière est développée en quatre chapitres) qui s'acharne à démonter ce projet de colonisation de la beauté ou autrement dit, d'asservissement des consciences. Je me contente de signaler qu'elle mobilise les critiques déjà anciennes de penseurs précurseurs comme William Morris (L'âge de l'ersatz, 1894), Elisée Reclus (1830 – 1905) ou Walter Benjamin (1892 – 1940) mais aussi des travaux très contemporains dont les titres suivants ; la Domestication de l'art (Laurent Cauwet, 2017), Enrichissement. Une critique de la marchandise (Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, 2017), Sauvons le beau. L'esthétique à l'ère numérique (Byung-Chul Han, 2016), le Paradigme de l'art contemporain (Nathalie Heinich, 2014), l'Esthétisation du monde. Vivre à l'âge du capitalisme artiste (Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, 2013), Subversion et subvention. Art contemporain et argumentation (Rainer Rochlitz, 1984).
Il ne serait charitable pour son lecteur de laisser celui-ci seul devant l'étendue d'un désastre, certes mondial, sans le rappeler à sa conscience, c'est-à-dire à sa capacité à résister. C'est dans ce cinquième chapitre qu'Annie le Brun ouvre une voie qui mérite d'être méditée ; celle du facteur Cheval (et de son palais idéal) mais aussi (et là, la proposition est aussi audacieuse que pertinente), la voie de Victor Hugo ; non pas celui des Contemplations et des Misérables, mais celui qui réinventa « au cours de son exil de dix-neuf ans à Guernesey, en faisant de sa demeure de Hauteville House, la plus folle tour de guetteur entre ciel et mer, pour sonder qui est en lui et qu'il sait aussi être celui de l'univers. »
C'est le principe de l'écart absolu qui poussa Christophe Colomb à poursuive son rêve vers des confins où personne n'avait osé s'aventurer. Pour bien comprendre en quoi cette règle de l'ECART ABSOLU (qu'Annie le Brun propose) rassemble l'auteur universellement célébré du « Promontoire du songe » et cet obscur autodidacte qu'on nomme le facteur Cheval, j'invite à lire la citation que je recopie ci-dessous. Ne serait-ce aussi que pour dissiper toute confusion avec l'art brut cher à Jean Dubuffet.
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Oh Annie le Brun que vous me faites du bien!
Peut-être parce que vous analysez et mettez des mots (dans votre style tellement divagant parfois) sur des images intuitions ruminées depuis mes études d'histoire de l'art.
Donc je bois vos écrits.
Et suis d'accord sur tout : sur la rampante neutralisation de l'art, sur le rapt des images rachetées par un système.
Et j'essaie de faire comme ces déserteurs, qui quittent le monde pour ne pas trahir le leur.
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Cet essai nous livre une critique de l'art contemporain et précisément de ce que l'art est devenu dans notre époque contemporaine notamment depuis les années 1990.
L'art contemporain est devenu l'art d'annihiler toute sensibilité en créant une réalité sans perspective, sur laquelle règne les magnats et les artistes contemporains qu'ils choisissent de promouvoir. La financiarisation et la marchandisation des oeuvres d'art a tué ce qui n'a pas de prix : le beau qui touche le sensible. (p33-42)
Le dialogue est empêché par les commentaires d'auteurs qui sont associés à ces oeuvres. (p53-54),
Il y a d'autre critiques, celle de la mode pourvoyeuse d'une identité de remplacement et de ce qu'elle récupère de la misère du monde (p104-108), du tatouage (p113) ou vêtement de sport (p111-112) la mode (ceux qui en sont ou en deviennent victimes) nous asservi; un parallèle est établi entre la fuite en avant de l'art contemporain, cherchant toujours à se renouveler et celle de la mode (p101). Dans tous les cas l'argent ne laisse pas de place aux valeurs authentiques car il cherche toujours à les récupérer.
La sensation forte associée à ces oeuvres (gigantesques voire monumentales pour certaines), qui provoquent effroi ou dégoût pour d'autres (cf. p74) quand ce n'est pas les deux à la fois, et qui n'est en fin de compte que du sensationnel qui remplace le sensible (p71) : « comme s'il ne suffisait pas de privilégier le sensationnel au détriment de la représentation, voilà que la sensation n'a plus pour seule mesure que le sensationnel » (p71).
Le livre dénonce aussi les horreurs de la marchandisation de l'art, je renvoie pour l'exemple le lecteur aux sacs Vuitton nés de l'imagination de l'artiste pop kitsch Jeff Koons (p131-133), quelle tristesse pour tous les amoureux de l'art pictural et de l'histoire de la peinture, c'est vraiment à croire que l'on tente de nous rendre insensibles en nous rendant idiots et blasés des belles choses, l'une des thèses défendues par l'auteur Annie le Brun… Qu'un sac ou même une collection de sacs prenne place dans un musée pour l'exemple passerait encore, et à chacun de se faire sa propre idée mais voir des chefs-d'oeuvre de la peinture reproduits sur des sacs de luxe, c'est du grand n'importe-quoi, ces chefs-d'oeuvre je les préférais encore lorsqu'ils étaient sur les anciennes télécartes (cartes à puce qui servaient à téléphoner), avec leur petit texte au dos au moins c'était plus populaire, ce n'était pas réservé à une pseudo-élite et ça brassait tous les genres…
Ceci étant dit (écrit), le livre est dense et n'est pas facile à lire car la réflexion se traduit par des phrases employant beaucoup de mots recherchés, avec des phrases à structure assez complexe, le tout sans chapitre clairement identifié, en bref, il faut suivre… J'aurais préféré davantage de clarté dans le découpage des chapitres avec des thèmes clairement annoncés plutôt qu'un texte qui donne parfois l'impression d'un enchevêtrement de réflexions s'enchaînant les unes après les autres, bien que tournant certes toutes autour du même thème : celui de l'art contemporain, de sa récupération par le monde de la Finance, ses magnats et les maisons de luxe qui a pour effet de nous asservir et d'éteindre en nous toute parcelle de sensibilité ou étincelle de contestations artistique, faisant de nous des troupeaux consentants malgré nous à la perte des valeurs et en particulier de « Ce qui n'a pas de prix », ce livre est une réflexion sur la beauté, sur ce qu'elle est devenue et sur l'urgence de nous la réapproprier en allant au-delà de la peur dans la pensée (p170), sur laquelle mise la marchandisation du monde pour annihiler l'inspiration, le livre se conclut avec une réflexion sur « L'Out-sider art » (p152-160), sur ceux qui, à l'instar du fameux facteur cheval, ont ignoré ces peurs, précisément parce qu'ils étaient en marge de la société et que c'est précisément en prenant de la distanciation que nous arriverons à nous réapproprier au plan individuel ou collectif la beauté et son authenticité contenue en chacun d'entre nous.
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