Après la guerre est un roman noir d'un souffle et d'une puissance rares avec une écriture flamboyante; le livre a reçu plusieurs prix.
Le roman se situe à Bordeaux vers 1958, à une période charnière de la France, treize années après la SGM et le début de la Guerre d'Algérie. La noirceur de l'histoire déteint jusqu'au paysage urbain car la ville baigne en permanence dans le crachin qui se reflète jusque dans les pavés luisants. C'est le retour pour quelques rescapés de la Shoah, aussi le retour à la « normale » avec les collabos qui se sont recyclés tranquillement et un conflit algérien qui commence pour les hommes en âge de s'enrôler.
L'histoire tourne autour de trois personnages : le commissaire Darlac, un ripou sanguinaire, Jean Delbos et Daniel Delbos.
Darlac faisait partie de la police à Bordeaux et faisait la pluie et le beau temps du temps de l'Occupation allemande; il naviguait entre les occupants et la pègre locale. Jean Delbos était un petit malfrat marié avec Olga qui était d'origine juive et communiste. Alors qu'ils se croyaient protégés par Darlac, ils seront envoyés en camp de concentration où Olga mourra dans les chambres à gaz. Leur fils Daniel sera sauvé car ils le cacheront sur le toit de leur immeuble lors de la rafle, puis il sera élevé par des amis.
Dix années après, Jean Delbos revient des camps de la mort tel un fantôme et jure de se venger de Darlac qui est devenu un flic tout puissant dans sa ville. Des crimes seront commis et rapidement Darlac saura qu'il est perdu si Jean Delbos l'attrape. La traque commence, impitoyable jusqu'au dénuement final.
Après la guerre, parfois la guerre continue. C'est toujours la guerre qui baigne dans un désespoir absolu : pour Jean Delbos qui veut se venger, pour Darlac qui sent tourner le vent, pour Daniel qui s'engage en Algérie et connaît les atrocités de la guerre mais aimera faire cette guerre et la vivra comme une aventure capable de donner un sens à sa vie.
Et le décors est Bordeaux et ses secrets politiques, ses compromissions sordides, les retours de veste et les opportunistes de tout cran. C'était à ce qu'il paraît une ville avec une police très zélée et à la solde de l'occupant, avec des gens enrichis par des biens spoliés aux juifs et une résistance affaiblie par les dénonciations.
Les descriptions de la guerre d'Algérie sont aussi un moment fort dans ce livre avec cette scission si marquée entre un monde à l'occidentale et une Algérie profonde, crade et d'un niveau archaïque.
Le langage du livre est très soigné avec deux styles : celui de la pègre locale, cru et savoureux, qui nous rappelle les films de Jean Gabin puis un autre style avec une prose lyrique incroyable pour nous décrire les lieux ( et qui me rappelle celle de
Franck Bouysse).
Mais Bordeaux est aussi la ville du bon vin et le livre abonde en réminiscences des crus bordelais (page 440): Darlac renifle, ferme les yeux, se concentre. Traque les arômes. Un jour, un maître de chai lui a expliqué qu'on trouvait dans un vin les senteurs qu'on voulait y trouver. Ou qu'il y en avait toute une gamme dans laquelle on pouvait piocher et procéder ainsi par élimination. Un peu comme un flicard qui ne trouve rien de solide et finit par fabriquer des preuves. Depuis, Darlac se méfie du baratin des amateurs de vins.
Un livre qui nous hante, bien après l'avoir refermé.
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