Il vente et pleut glacial sur le Bordeaux de l'après-guerre.
La "belle endormie" est grise de haines recuites et de stigmates de ruines.
Plus de dix ans après la fin de la guerre, des bouts d'existences s'entremêlent, des vies aigries, trahies, amputées, difficilement reconstruites. On a soldé les comptes officiels de la Libération mais dans les têtes, dans les tripes et dans les coeurs, il reste suffisamment de regrets pour alimenter un chaudron de rancoeurs et vengeance. Une sorte d'épuration à retardement flotte dans l'air pour les bons et mauvais salauds de la collaboration.
Dans le chaudron macèrent Darlac, commissaire ripou, rageur et cynique et aux méthodes musclées de truanderie, Jean, homme brisé revenu de nuit et brouillard, son fils perdu Daniel, jeune conscrit pour le bled algérien, et des petites gens de petits métiers pour de petites vies, des trafics dans le fond des bars à vins et des quidams en cavale dans les hôtels louches.
Le tout assaisonné de quelques ingrédients : prostitution, alcoolisme, spoliation de biens juifs, délation, camps d'extermination, meurtres en tous genres.
Dormez tranquilles, citoyens!
Après la guerre, c'est encore la guerre et la police veille au grain! Pendant que l'Etat travaille ferme pour un nouveau conflit, dans la chaleur et la poussière du djebel, regrettant tant le précédent.
Plus de 500 pages pour une magistrale histoire de vengeance, chargée d'émotions, dans laquelle la ville de Bordeaux joue le premier rôle, accompagnant le dernier acte des trahisons du passé. Et en filigrane, une plongée poignante dans les combats de la guerre d'Algérie, au plus près des soldats.
Un livre passionnant, addictif, à la construction brillante, qui aurait pu être plus concis mais sauvé par une plume brillante. L'écriture m'a vraiment ravie. Elle est puissante et poétique. Elle joue l'équilibre, virevoltant de formules choisies en dialogues fleuris. Les phrases sont longues, généreuses en vocabulaire imagé et en gouaille prolétaire. On dirait du Audiard littéraire. Elles inventent des scènes en noir et blanc de la télévision de papa. Et parallèlement le ton peut se faire lyrique, sensible, dans les introspections plus dramatiques.
Un auteur que je découvre et que je vais lire encore, assurément...