La seconde guerre mondiale est terminée depuis quelques années, mais à Bordeaux, elle n'en finit pas de déclencher des répliques sismiques dévastatrices.
La ville de Papon, de Poinsot, zélés collaborateurs des forces nazies, est toujours gangrénée par ces policiers opportunistes, fascistes de la première heure, et les malfrats ordinaires qui conservent, au-delà de l'Occupation allemande, des relations et les moyens de faire fructifier leurs affaires.
Le commissaire Albert Darlac, cynique et pourri à souhait est de ceux-là. Il semble régner sur la ville comme un despote omnipotent. Rien ne lui échappe. Jusqu'au jour où surgit du monde des morts celui-là même qu'il avait envoyé en déportation avec son épouse, et que tout le monde croyait mort, Jean Delbos, le modeste délinquant qu'une époque révolue où le goût du jeu, des femmes et de l'argent facile avait détourné des saines valeurs…
Jean Delbos, sorti d'entre les morts, vient à Bordeaux pour venger la mort de sa femme aimée, Olga, et régler ses comptes avec Darlac. C'est compter sans la présence de son fils Daniel, embarqué dans la guerre d'Algérie et ses horreurs.
Roman ambitieux,
Après la guerre, déborde largement le cadre du genre policier ordinaire.
La ville de Bordeaux y est magnifiée tant par ses beautés que par ses laideurs. Cet hommage appuyé est un élément important de l'ouvrage qui accumule les descriptions d'une cité maintenant oubliée avec ses bistrots, ses rues sombres, ses bateaux à quai, ses odeurs de vin déplaisantes par leur insistante présence.
La guerre d'Algérie tient également une part importante. Les évènements qui y sont relatés sont forts et d'une vérité dérangeante. L'auteur y parle souvent de cette lumière crue du soleil qui exalte les couleurs et les ombres, trouvant là un point de raccord avec l'oeuvre magistrale d'
Albert Camus,
l'Etranger.
La dimension humaine et psychologique n'est pas de reste.
Hervé le Corre soigne ses personnages. Ils ont de la texture, du volume. Leurs états d'âme semblent réels, pas préfabriqués comme de pâles clichés.
L'humanité forte des personnages, voulue par l'écrivain, est souvent mise en avant. Mais ce corps qui est humain devient tas de viande quand il meurt. J'ai été frappé par cette comparaison qui revient souvent : la viande de ces corps annihilés dans les camps d'extermination, la viande de ces corps exécutés en temps de guerre. Les descriptions de cette viande est détaillée, minutieuse, comme si on nous prenait à témoin : vous voyez bien, ami lecteur, ce corps n'est plus qu'une viande froide et sanguinolente… Elle a perdu de ce fait toute son humanité…
Néanmoins, le roman souffre de ses propres longueurs. La première moitié du roman semble un peu décousue. Personnellement, j'ai peiné à comprendre la mise en scène qu'on devinait sans pouvoir la saisir. le narrateur est extérieur et parfois, c'est Jean Delbos, au début prénommé André qui s'exprime au travers de ses cahiers. Ses premières interventions avec une double identité sont nébuleuses et ne favorisent pas la compréhension.
C'est peut-être un choix délibéré, afin de ménager l'intrigue ? Les évènements algériens décrits longuement augmentent cette confusion dans la mesure où, très longtemps, on ne comprend pas le lien avec l'intrigue bordelaise, puis, quand on l'a compris, elle parait hors de proportion avec les nécessités de la dramaturgie.
Malgré toutes ces remarques, la seconde partie du roman est captivante. Il aura fallu au minimum trois-cents pages pour que le lecteur s'installe confortablement dans l'histoire racontée après s'être installé, contraint et forcé, dans l'Histoire avec un grand H.
C'est mon premier roman d'Hervé le Corre. Cet ouvrage a reçu une récompense en 2014. C'était justifié à mon humble avis.
Hervé le Corre ne se contente pas d'écrire une aventure policière. Il prend le temps de décrire le contexte, de donner corps à ses héros, de brosser le décor. Il n'est pas loin d'égaler un écrivain comme
Pierre Lemaitre et son prix Goncourt.
Michelangelo 7/3/2019
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