Pente d’herbe
Souvent, pour la joie animale
de me sentir emporté
comme pour mourir
je dévalais la colline
à contre-courant des mouvements herbeux
et mes jambes étaient tout puis plus rien
mes jambes étaient d’air
et ce pommier pourquoi se mettait-il à courir ?
Oui, plus bas
quand la pente avaleuse
me rendait mes jambes de géant
j’aurais voulu mourir
m’abattre au fond
dans la vallée
m’y étendre
mon corps occupant tout le lit du fleuve
l’écluse et les péniches dans le creux de ma main.
Ma vie s’envaste
Extrait 3
Oui, je suis bien dans l’été de mon âge.
Les êtres, les choses m’envahissent, me bousculent.
Je les étreins, je les défriche, je les renverse.
Je ne me cherche plus, je me disperse.
Je déborde comme un fouillis de viorne et de lierre.
Je sème ; le grain lève, fragile et rose ;
déjà je suis ailleurs. Et qu’importe
si la récolte se fait sans moi.
Mes pensées filent comme le liseron.
Mes actes éclatent comme des fruits mûrs
Les forêts, les prés, les oiseaux, les hommes
me montent à la tête.
TERRE, TERRE, comme il fait bon s’étendre à travers toi.
Des seaux de fleurs
Nous avions moissonné tant de fleurs ce jour-là
que la pièce était une palette sauvage
et que la nuit venue
les murs s'enflammèrent.
La maison comme saoule sembla quitter la terre,
emportant avec nous le chien
la poule et le coq nains collés à la fenêtre
la table boiteuse, le quignon de pain ;
nos richesses,
tandis que nous allions
muets d'amour,
la tête pleine de parfums,
l'œil balloté par les couleurs.
Les poussières du temps jonchant le sol,
liés de joie nous étions
lumière et chant :
le couple ailé qui s'élève et flambe.
Ma vie s’envaste
Extrait 2
Je vous aime mouchoirs de terre, cordes de lumière,
ventre des nuages, rivières à blé.
Je vous aime chevreaux électriques, tendres salades,
folles allumettes et vous aussi bouteilles de vin, vieux
arrosoirs, lampes à pétrole, clous rouillés et j’en passe.
Je vous aime amis fidèles et infidèles dans vos habits
de toujours vivants.
Je t’aime ma femme aux longues jambes, plus que tu
ne le supposes, et vous aussi enfants à têtes d’anges.
Je t’aime brouette trop lourde de mon cœur et toi
aussi rat de ma tête, même quand je cogne, quand
je tue à coups de bêche, parce qu’il faut bien quand
même veiller au grain.
Je vous aime tous je vous assure et je ne sais si j’en vis,
si j’en crève, vous êtes parfois si imparfaits, mais de
vous à moi la musique est tellement, tellement belle.
…
Poème d’un instant
L’automne peu à peu investit le feuillage ;
le soleil discret de septembre teint en jaune
les peupliers. Derrière je vois l’orme encore vert,
le bras rose de la route, la courbe nuancée des prés.
Au loin repose le voile bleu de la brume
qui ce soir descendra
comme une toile d’araignée.
Un vent léger se lève, découvre la face argentée
des feuilles qui un instant miroitent
comme un vol de vanneaux. Un court instant
la beauté passe et se suffit.