Coucher d’oiseaux
Certains soirs du mois d’août,
après que la voisine ait rentré ses volailles,
une nuée d’étourneaux fonce vers les prairies.
Brusquement leur vol se cabre dans l’air
comme s’il heurtait un mur invisible.
Pendant quelques secondes un cri multiple
et perçant embrase l’espace tiède,
puis d’un seul coup cette cymbale d’oiseaux
s’abat sur les taillis
en faisant le vacarme d’un grand chêne qui tombe.
Le silence alors est total.
Il ne reste dans l’air qu’une vague odeur de menthe
La paix du soir descend dans tout mon être.
Je m’abandonne à cette douceur infinie.
Pente d’herbe
Souvent, pour la joie animale
de me sentir emporté
comme pour mourir
je dévalais la colline
à contre-courant des mouvements herbeux
et mes jambes étaient tout puis plus rien
mes jambes étaient d’air
et ce pommier pourquoi se mettait-il à courir ?
Oui, plus bas
quand la pente avaleuse
me rendait mes jambes de géant
j’aurais voulu mourir
m’abattre au fond
dans la vallée
m’y étendre
mon corps occupant tout le lit du fleuve
l’écluse et les péniches dans le creux de ma main.
Ma vie s’envaste
Extrait 3
Oui, je suis bien dans l’été de mon âge.
Les êtres, les choses m’envahissent, me bousculent.
Je les étreins, je les défriche, je les renverse.
Je ne me cherche plus, je me disperse.
Je déborde comme un fouillis de viorne et de lierre.
Je sème ; le grain lève, fragile et rose ;
déjà je suis ailleurs. Et qu’importe
si la récolte se fait sans moi.
Mes pensées filent comme le liseron.
Mes actes éclatent comme des fruits mûrs
Les forêts, les prés, les oiseaux, les hommes
me montent à la tête.
TERRE, TERRE, comme il fait bon s’étendre à travers toi.
Des seaux de fleurs
Nous avions moissonné tant de fleurs ce jour-là
que la pièce était une palette sauvage
et que la nuit venue
les murs s'enflammèrent.
La maison comme saoule sembla quitter la terre,
emportant avec nous le chien
la poule et le coq nains collés à la fenêtre
la table boiteuse, le quignon de pain ;
nos richesses,
tandis que nous allions
muets d'amour,
la tête pleine de parfums,
l'œil balloté par les couleurs.
Les poussières du temps jonchant le sol,
liés de joie nous étions
lumière et chant :
le couple ailé qui s'élève et flambe.
Ma vie s’envaste
Extrait 2
Je vous aime mouchoirs de terre, cordes de lumière,
ventre des nuages, rivières à blé.
Je vous aime chevreaux électriques, tendres salades,
folles allumettes et vous aussi bouteilles de vin, vieux
arrosoirs, lampes à pétrole, clous rouillés et j’en passe.
Je vous aime amis fidèles et infidèles dans vos habits
de toujours vivants.
Je t’aime ma femme aux longues jambes, plus que tu
ne le supposes, et vous aussi enfants à têtes d’anges.
Je t’aime brouette trop lourde de mon cœur et toi
aussi rat de ma tête, même quand je cogne, quand
je tue à coups de bêche, parce qu’il faut bien quand
même veiller au grain.
Je vous aime tous je vous assure et je ne sais si j’en vis,
si j’en crève, vous êtes parfois si imparfaits, mais de
vous à moi la musique est tellement, tellement belle.
…