L'airain des vieux clochers avait sonné six heures ;
Et déjà les remparts, les arbres, les demeure?,
Comme dans un manteau, se drapaient dans la nuit.
J e sortis. Il neigeait, et la neige avec bruit
Tourbillonnait dans l'air et fouettait les fenêtres.
En marchant je songeais à tous ces pauvres êtres
Qui grelottent, serrés contre un foyer sans feu,
Et que semble oublier la charité de Dieu.
Je marchais à grands pas comme c'est ma coutume.
De loin, à la clarté du fanal qui s'allume,
J e vois, dans le brouillard, un jeune couple heureux
S'avancer en riant sur le trottoir poudreux.
Au bras du cavalier, comme une vigne au chêne,
La femme est suspendue ; et ses cheveux d'ébène,
D'un turban de velours s'échappant à demi,
Effleurent, parfumés, les lèvres de l'ami.
Deux jeunes amoureux ont cent choses à dire ;
Bien gaiement ils causaient ; et leurs éclats de rire
Comme lés blancs flocons s'éparpillaient au vent.
Je souffrais, leur bonheur me partit insolent.
Pourtant ne faut-il pas que la jeunesse chante ?
Le monde est ainsi fait : Près d'une âme méchante
Une âme pure exhale un parfum de vertu ;
Près d'un riche superbe un pauvre est demi-nu :
Un bouton s'ouvre encor près d'une fleur qui tombe,
Et le berceau sourit à côte de la tombe !