Marie d'en haut

Là, c'est en me regardant qu'il a souri. Même dans son sourire, on distingue une faille, un truc qui va de travers, comme s'il y avait des fils à l'intérieur des joues, qui retiennent le coin des lèvres. Et qui ne veulent pas céder. Et puis, il y a une risette sur la bouche et de la tristesse dans les yeux. Le même genre de sourire que le SDF à qui vous venez de donner une pièce. Il est content mais ça ne changera pas sa chienne de vie. Ou le gars sur le quai de la gare qui dit au revoir à son amoureuse. Un sourire de clown triste. Sauf qu'il n'est pas clown. Il est lieutenant. Et peut être triste

Mémé me disait aussi qu'on ne peut pas refuser les excuses de quelqu'un, quand elles sont sincères. Il faut les utiliser comme une éponge humide sur le tableau noir et se laisser la chance de réécrire une autre leçon.

p.130 "J'ai fini par me barricader dans ma solitude. Bien haut le mur, pour que personne ne risque de le franchir. Je me suis rendu désagréable, pour me protéger des autres. Si personne n'avait envie de me côtoyer, personne ne me ferait de mal. Une logique implacable."

On aime avec les tripes, pas avec la tête.
Et jusqu'à nouvel ordre, les tripes ne réfléchissent pas.

Après son départ, en touillant mon café, j'ai cherché comment définir l'impression qu'il m'avait faite. J'ai cherché longtemps. Il me faisait penser à un parpaing fourré à la frangipane. En apparence, un mec gris, dur, rugueux, mais dont l'intérieur est riche. Limite indigeste.

Nous nous sommes assis l’un en face de l’autre, pour prendre l’apéritif. On s’est un peu observés en silence, sans trop savoir par où commencer. Sourires gênés, les yeux qui se baissent. C’était la première fois que je prenais le temps de le regarder vraiment. Il avait les yeux verts, des cheveux châtains, légèrement ondulés. Visage carré. Le front large, le nez fin, et les lèvres bien dessinées. Il avait une cicatrice assez prononcée sur le menton qui lui donnait un côté un peu rebelle, et qui me permit de rompre le silence qui allait indubitablement commencer à devenir pesant.
- D’où vient cette cicatrice sur votre menton ?
- Un sombre accident, quand j’avais six ans. Un virage dans ma vie. Ce qui a déterminé ma présence ici, ce soir.
- A ce point ?
- Le théorème du papillon. Un battement d’aile en Ariège et un ouragan en Chine. Moi, j’ai commencé par l’ouragan. Et aujourd’hui, je dîne avec le papillon.

Au bout du chemin, un panneau en bois : « Chien lunatique. »
–C’est quoi, un chien lunatique ? je demande à Gauthier.
–Un jour, il vous renifle l’entrejambe en remuant la queue, et le lendemain il vous mort dans les roubignoles.
–C’est une blague ?
–Non, une image. Il n’est pas méchant, mais il garde la ferme.
Allons bon ! Une fermière caractérielle, un chien lunatique ! Et ses vaches, elles sont schizophrènes ?!

- Tu m'aimeras toujours ?
- Toujours.
- Et si j'ai les seins qui tombent ?
- Je les relèverai.
- Et si j'ai de la peau d'orange sur les cuisses ?
- Je t'éplucherai.
[...]
- Et si je tombe malade ?
- Je te soignerai.
- Et si je meurs avant toi ?
- Je te survivrai.

Vous n'allez pas m'aimer.
Il y a de quoi. Je suis flic, seul et antipathique. Seul, mais en permanence accompagné de mon ange immaculé sur l'épaule droite, qui me saoule avec ses bondieuseries et ses bonnes manières, me suggérant que je pourrais être plus engageant, un peu chaleureux et un minimum courtois, et mon diable écarlate qui le contredit sur l'autre épaule et dans tous les cas, me susurrant à l'oreille que j'ai bien raison d'être un sale type, que les autres ne méritent pas mieux que mes yeux durs et mes aboiements. Oeil pour oeil, dent pour dent, la vie. Il serait plus simple de me débarrasser de l'un d'eux. N'importe lequel, pourvu qu'ils arrêtent de se chamailler. J'en ai mal au crâne.

Il faut une sacré dose de confiance en soi pour se moquer complètement de ce que les autres disent de vous. Parce qu'on a sans cesse besoin de se rassurer, de se sentir aimé.