je me suis assise dans l'herbe et je ferme les yeux pour éprouver cette immensité au fond de moi. Il a les gens que j'aime. Et seulement eux. Parce que c'est ça l'immensité intérieure. C'est la beauté des gens qu'on aime et qui nous aiment avec respect. Leur image au fond de moi recoud les lambeaux les uns des autres.
Il n'y a aucun hasard dans la vie, aucun. Le destin est tracé pour nous et pour de bonnes raisons.
C'est tout au fond de soi,
dans l'obscurité des failles profondes,
que l'on trouve parfois la force
de se battre pour la lumière.
L'amour sans respect n'est pas l'amour.
En prendre conscience et le fuir ne constitue
ni un échec ni même une défaite,
mais une grande, une très grande victoire.
Elle nous supplie à genoux de sauver son fils.
Je suis en première ligne, je n'ai pas le choix, je dois y aller. Ce n'est même pas une question de choix, mais d'honneur, de dignité. C'est pour ça que je fais ce métier.
Il s'agit d'une vie humaine, là, tout de suite, celle d'un enfant, l'enfant de cette femme à terre. L'action ne souffre aucune hésitation.
L'appartement en feu se situe au huitième étage. La cage d'escalier est inaccessible. La mère, terrorisée, hurle que son fils se trouve là-haut, seul dans l'appartement. Partie faire une course pendant qu'il dormait, l'attroupement était déjà constitué à son retour, en raison de l'épaisse fumée noire qui se dégageait des fenêtres. Elle nous implore en joignant ses mains et se balance d'avant en arrière. Je ne sais pas si c'est le signe d'une folie passagère ou un bercement à la recherche d'un impossible apaisement. Les deux peut-être. C'est une femme noire, en boubou sous un blouson informe, usé aux poignets et qui s'ouvre sur un ventre énorme annonçant la venue d'un bébé, des tongs aux pieds malgré le froid de ce mois de février. La voir ainsi à genoux, désespérée, me rend dingue.
P-S : Avez-vous noté que je suis tombé de mon échelle depuis un balcon du huitième étage ? Avouez que pour un Roméo, c'est quand même un comble...
J'évolue dans cet état d'esprit en acceptant l'idée, parfois difficile, et pourtant indubitable, qu'une grande partie de notre existence ne nous appartient pas. Les rencontres, les amours, les occasions, les au revoir ou les adieux, les petites joies et les grandes peines, les petites peines et les grandes joies. Chacun y participe à son échelle, mais finalement c'est le destin qui décide.
Un arc en ciel d'amour de coeur à coeur avec les les gens qu'on aime, qu'ils soient ici ou dans l'infini.
Je m'appelle Roméo Fourcade, j'ai vingt-cinq ans et je suis pompier professionnel. Sergent-chef d'agrès EPA, la grande échelle dans le langage courant.
En intervention, j'avance comme le soldat au front, en essayant d'aller le plus loin possible au milieu des obus. La rage au ventre. La peur aussi. Il en faut un peu pour rester en vie.
- Sergent, sauvetage par l'extérieur au moyen de l'EPA, exécution !
J'obéis. Je monte dans la nacelle et fixe le mousqueton au harnais sous ma veste, juste avant qu'elle ne décolle du sol. J'ajuste la bouteille d'air comprimé sur mes épaules puis le masque sur mon visage. Le Roméo des temps modernes. Plus pratique pour grimper au balcon.
Si seulement c'était vers ma Juliette que je montais...
Tu parles !
L'espace d'un instant, je repense au SMS que j'ai reçu ce matin de Carine. Elle me quitte.
« Je m'en vais, je ne t'aime plus, désolée. »
Elle me quitte par SMS. La honte ! Elle est désolée, c'est déjà ça. La honte quand même ! Mais au-dessus du vide, du vrai vide, face à cet immeuble, je dois me concentrer. Un gosse m'attend là-haut, et sa maman me supplie au sol. Alors sans plus penser à rien je regarde vers la fenêtre transformée en cheminée. Arrivé à mi-hauteur, je distingue une voix derrière le bruit de ma propre respiration qui résonne sous le masque. Il est encore vivant. Les fumées noires qui se dégagent de la fenêtre laissent deviner la violence des flammes à l'intérieur. Je ferai tout pour le sauver. Tout.
"Je n'ai pas dit qu'on avait toujours la réponse. Parfois, elle est évidente, parfois elle arrive plus tard. Et parfois, elle ne vient jamais".
Elle s'est délicatement posé sur la vie, comme une plume qui jusque-là a été prise dans une zone de non-turbulence (218)