Prix du premier roman du festival de Cognac en 2006, nominé au CWA Daggers International en 2014, «
Travail soigné » est le premier thriller de
Pierre Lemaître, « la star du polar français ». L'ouvrage signe l'ouverture de la trilogie Verhoeven, une trilogie composée de quatre romans, bien noirs et bien sanglants.
Dans «
travail soigné », le commandant Camille Verhoeven, officier de police à la Brigade Criminelle part en chasse contre un tueur hors norme qui le nargue et qui joue avec lui comme un chat avec sa souris. Mais vous n'êtes pas dans un jeu ordinaire : les meurtres sont particulièrement sadiques, pour ne pas dire « gores », épouvantables, déroutants et horribles, et ils ne répondent à aucune logique. Au départ, Camille Verhoeven (page 42 – « flic tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, gnome de la PJ, petit troll prétentieux et amoureux ») doit seulement résoudre avec son équipe une affaire de meurtre crapuleux, mais bien vite cette affaire s'avère particulièrement ardue, avec cette particularité qu'une certaine presse dévoile étape par étape et jour après jour les éléments de progression de l'enquête. Ceci ne manque pas de gêner et d'agacer notre enquêteur, lequel finit par y perdre son latin : il est vrai que les pistes sont nombreuses et conduisent malheureusement pour lui toutes dans des impasses. Il faudra beaucoup de courage, de persévérance et de chance à notre policier au grand coeur pour éviter les emmerdements (page 169 - « mise à pied pour manquement à la voie hiérarchique et dessaisissement pour manquement au secret de l'instruction ») et pour faire tomber « le romancier », cet assassin qui semble avoir tout prévu, et dans le moindre détail.
Mon constat ? Côté points positifs : plein d'actions, un suspense qui va grandissant, des retournements et des surprises, un côté « gore » présent sans être omniprésent, une intrigue originale, des personnages humains (Verhoeven n'est pas Rambo) et attachants (« Les bons personnages font les bonnes histoires, l'inverse est rarement vrai. Ce sont eux qui rendent l'histoire passionnante... »), des références à des écrivains célèbres avec quelques unes de leurs citations ("Mes parents, petits employés de bureau, sacralisaient la littérature »), un serial killer qui copie des crimes atroces mais inventés par de grands romanciers, une utilisation constante (ou persistante ?) des courriers écrits par l'assassin et adressés à notre officier de police, une atmosphère pesante, des doutes à toutes les pages, quelques coïncidences et une trouvaille, les écrivains étant des protagonistes de l'intrigue. La fin, tragique à souhait, survient après vous avoir longuement tenu en haleine. Côté regrets : une quatrième de couverture (dans l'ouvrage de 408 pages paru en Livre de Poche) qui en dit un peu trop, un style assez quelconque (assez proche de ceux des romans de gare), une approche trop sommaire des coulisses administratives de la police criminelle, des dialogues entre policiers qui ne sonnent pas toujours vrai et surtout un assassin réellement improbable : comment imaginer en effet un seul instant que « le romancier » soit notre psychopathe ? Rien dans son histoire personnelle ne le prédisposait à être cet exécuteur démoniaque ...
Pour cet ouvrage qui charrie de l'inhumain à l'état brut (page 209 - le tueur offre à sa victime un triomphe, à savoir celui « d'entrer dans une oeuvre d'art, la tirant d'une triste existence ou elle croupissait, élevant sa petite vie à la hauteur d'une destinée » ; page 210 - « tout a été parfaitement respecté. Au détail près. Et la scène que vous avez découverte est la figuration exacte du texte d'origine ») , pour cet ouvrage qui a été écrit par « un homme de méthode et de fièvre, communiquant avec tripes et cervelle » (Le Monde), pour cet ouvrage qui dénonce à demi-mots une humanité désespérante et sans illusion (page 290 – « une jeune femme de 25 ans qui avait eu des parents, des amis, des amants, des employeurs, un état civil, pouvait disparaître purement et simplement. Un mois pouvait passer sans qu'une amie s'étonne qu'elle ne l'appelle plus, une année entière pouvait fondre sans qu'un petit ami, pourtant si amoureux naguère, s'inquiète de ne pas la voir revenir de voyage. Peut-être, avant qu'elle disparaisse, avaient-ils déjà tous disparu à ses yeux »), pour cette tragédie urbaine faite de sadisme, de violence, d'injustices, de femmes battues et de meurtres sanglants, pour cet univers de tuerie où sévit un dingue difficilement identifiable (malgré la coopération établie entre services de polices européens), désespérément seul (page 308 - « c'est que je n'ai guère de monde à qui parler de mon travail ») et obnubilé par sa reconnaissance (page 309 - « Voyez comme j'ai été bien récompensé. Car aux ténèbres de cette période ont succédé les lumières de la révélation »), je mets trois étoiles (c'est dommage, moi qui envisageais de lire "
Alex") mais déconseille aux âmes sensibles.