On peut dire par exemple, que Henri De Braekeleer nous initia, dans sa dernière manière, à un délice de lumière que nous n'avions point encore goûté. Avant lui, elle n'avait été qu'un procédé plutôt que la lumière même : on l'apprenait à l'école : elle portait un nom barbare où s'atténuait son essence même. Le clair obscur, pris à la cuisine de l'énorme Rembrandt, fut fait de plus d'ombre encore que de clarté, et ce qui manqua à la lumière, ce fut justement de demeurer cette nuance indécise entre l'obscur et le clair.
Un jeune homme, Henri De Braekeleer, la tête en boule, arrivait fréquemment en visiteur familier. Ensemble, avec des pointes de clou, le maître et lui grattaient, éraflaient, labouraient des cuivres, préalablement macérés et corrodés dans les acides. Les estampes qu'ils obtenaient ainsi et qui composèrent leur œuvre gravée sont d'une cuisine inexprimablement ragoûtante.
Quand je le connus, il était déjà un maître parmi les maîtres et il n'avait pas quarante ans. Il était gras, soufflé, le masque ictérique et barbu, mangé par les disques de ses yeux comme de grosses prunelles de chat. Elles semblaient déborder des orbites et se projeter en lumières lourdes, rétractiles, magnétiques. Une fois qu'on les avait vues, on ne pouvait plus les oublier.
Certes Henri De Braekeleer n'eût point songé à formuler à son sujet de telles rencontres d'idées. C'était pourtant un esprit studieux, nourri d'un petit nombre de lectures, mais substantielles, et que, maintes fois, j'entendis s'exprimer solidement sur les matières qui concernaient son art.
Il est l'illustrateur de la vie : nous prenons connaissance de celle-ci à travers les images qu'il nous en donne. Elles sont belles, aimables, pathétiques ; elles nous obligent à voir d'une vision réfléchie ce que sans elles nous n'aurions pas vu.
Vidéo de Camille Lemonnier