Leonide Leonov n'a pas eu de son vivant le succès de certains de ses contemporains, y compris de ceux qui, disparus des radars pendant un temps, refont surface comme
Andreiev. Pour autant, son roman
Les Blaireaux, une oeuvre de longue haleine pour l'auteur comme pour le lecteur (650 pages), parue « après la tourmente » en 1924, année de la mort de
Lénine, est une véritable charnière entre les symbolistes parfois difficiles à suivre des années de révolution et le fameux « réalisme soviétique » que
Cholokhov réussira à porter au niveau du chef d'oeuvre avec
le Don Paisible (dont la publication démarre en 1928).
650 pages de la vie d'une bourgade, sur une trentaine d'années, avec le passage de la révolution et de la guerre civile, le tout sans perdre de vue que l'essentiel pour les moujiks est de savoir qui aura la jouissance du pré Zenka, la plus belle parcelle de terrain cultivable disputée par deux communes se jouxtant ! Il est notable que l'histoire démarre à la fin du XIXème siècle et que pratiquement la moitié du roman n'a aucun rapport avec l'agitation révolutionnaire et pourrait pratiquement se rattacher au Village de Bounine. du coup, les personnages et leurs évolutions en rapport avec le nouveau pouvoir bolchevik va mettre en valeur distance et incompréhension entre ville et campagne de la russie en 1917.
La foison de personnages « haut en couleurs » a parfois un coté pittoresque un peu outré et les anecdotes de village peuvent sembler nuire à l'unité du roman (« on ne comprend pas l'utilité de certains épisodes qui en eux-mêmes n'ont aucune valeur » dit
Vladimir Pozner de ce livre). Pour autant, j'ai ressenti le même plaisir de plonger pendant deux semaines dans la vie de ce village et de suivre les événements et les aléas sentimentaux et politiques qui parsèment la route des Semion, Pavel, Senia, Michka et cie.
Véritable roman social psychologique, «
Les blaireaux » est également un roman historique puisque le titre désigne ces déserteurs terrés au fond des forêts, plus ou moins anarchistes luttant à leur façon contre l'état bolchévique, représentatifs de ce qu'on a appelé les «armées vertes» de la guerre civile russe.
C'est la comédie humaine d'un village et une belle démonstration de la distance qui séparait la révolution bolchévique des villes des espérances des moujiks.
Certainement un écrivain injustement méconnu - et ça a peu de chances de changer car, malheureusement, un livre assez difficile à se procurer.