La Belle et la Bête -
Madame de Villeneuve, 1740 -
Madame Leprince de Beaumont, 1756
De la tradition orale à leurs interprétations écrites successives, les contes, avec leur structure narrative codifiée, traversent les siècles, génération après génération, sans rien perdre de l'intérêt qu'ils éveillent. Quel plus bel exemple que celui de
la Belle et la Bête ?
Si ses origines sont mythologiques, la version de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont est de loin la plus connue, sur une reprise de celle de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve. Récits qui nous offrent l'élégance de l'appréhender dans cette belle langue du XVIIIème siècle.
Par sa fonction d'éducatrice,
Madame Leprince de Beaumont insiste lourdement sur l'aspect moralisateur de l'histoire, récompensant la vertu et punissant les « coeurs méchants et envieux » là où madame de Villeneuve, plus explicite sur l'origine des personnages, se montre clémente et un peu moins manichéenne. Il reste que la Belle, douce enfant parée des plus belles qualités, instruite, généreuse et modeste, prête à se sacrifier pour sauver la vie de son père, gagnera le plus beau des princes et un royaume d'avoir su préférer la beauté du coeur à celle des apparences. le thème a de quoi séduire mais ne peut expliquer seul l'engouement qui a fait le succès du conte et ses multiples adaptations. Il y a une dimension sexuelle dans le jeu de séduction que jouent
la Belle et la Bête, un regard troublant sur la bestialité. Dans la première formule, la Bête interroge la Belle tous les soirs :
- « La Belle, voulez-vous coucher avec moi ? »
On est encore loin des conventions d'une traditionnelle demande en mariage. La fascination que suscite la sauvagerie de la Bête ne se départira qu'à l'ultime transformation… peut-être avec le secret désir qu'elle n'ait pas complètement disparue. Cette dualité prend aussi une dimension spirituelle, en facettes opposées de l'âme humaine. Les protagonistes auront à faire un cheminement intérieur, véritable quête initiatique pour parvenir à l'amour unifié. de la même manière, le choix de la rose dans la simple requête de la Belle ne peut passer inaperçu. Ce serait oublier tous les symboles s'attachant à cette fleur, associée à la déesse Aphrodite pour représenter l'amour, mais également liée aux mystères et à la régénération. Plusieurs variantes de numérologie lui donnent des fonctions encore plus hautes et, suivant son nombre de pétales, vont jusqu'à l'intégrer au grand art de l'alchimie. Modeste, la rose ? Sûrement pas, puisque cela vaut de mettre sa vie en jeu pour elle !
Un modèle de conte, donc, cette Belle et sa Bête, avec son accès au Merveilleux, le seul genre des lectures de l'imaginaire qui ne s'embarrasse d'aucune explication dans son passage au rêve. Si la Belle s'endort dans un lit pour se réveiller dans un autre, pas besoin de savoir ni pourquoi, ni comment… Si la Bête parle le langage humain, ce n'est pas un problème ! le Merveilleux, comme dans les récits mythologiques ou la Légende Dorée, nous livre une magie sans contrainte. Une des raisons de de sa pérennité ?
La Belle et la Bête aura inspiré un grand nombre d'illustrateurs, du XVIIIème siècle à nos jours. de cinéastes aussi. Il est regrettable que le film d'animation de Disney fasse plus référence, à l'heure actuelle, que le chef d'oeuvre de
Cocteau. Aussi, pour rendre honneur à ce film exceptionnel et pénétrer les enchantements du conte, il faut s'imaginer à cheval comme la Belle, se penchant sur l'encolure de l'animal fée, et lui réciter à l'oreille :
- « Va où je vais, le Magnifique, va, va, va... »
La Belle et la Bête est un conte-type 425C (Classification Aarne-Thompson).
Chronique parue dans Gandahar n°17 "Cités du Futur".