Il est dit ici que « jamais illustre crime n'avait intrigué davantage les esprits. » Je n'en ferai pas mystère ici, j'ai adoré ce classique du roman criminel.
le Mystère de la chambre jaune m'a tenu en haleine de la première à la dernière page.
Le 25 octobre 1892 un crime affreux a été commis au Glandier, sur la lisière de la forêt de Sainte-Geneviève, au-dessus, d'Épinay-sur-Orge, chez le professeur Stangerson. Il s'agit de la propre fille du professeur, Mathilde. Il travaillait tous les deux sur des recherches scientifiques autour de la dissociation de la matière.
On ne dira jamais ô combien il est prodigieux que les méthodes scientifiques les plus poussées permettent aujourd'hui d'élucider les crimes les plus incroyables ou les plus crapuleux. J'en veux pour preuve les recherches en ADN bien sûr, mais aussi les téléphones portables qui bornent, -ou justement qui ne bornent plus au moment où ils devraient le faire... Bref ! Il est désormais devenu plus facile qu'auparavant aux enquêteurs de rechercher et trouver les assassins d'un crime, ce qui n'enlève rien par ailleurs à leur efficacité professionnelle. Mais qu'en est-il de la littérature criminelle qui en a pris dès lors un sérieux coup sur le plastron imaginatif ?
Que seraient devenus
Edgar Allan Poe,
Conan Doyle,
Agatha Christie à l'heure où l'ADN fait des miracles ? Que deviendraient leurs oeuvres revisitées dans le prisme des prouesses de la science ? Mais on pourrait aussi retourner la question. Que sauraient produire les « cadors » d'aujourd'hui plongés deux siècles plus tôt avec pour seule matière de subtils éclats de finesse et la dérision comme seule arme pour trousser les coupables ? Machin, bidule, truc, enfin vous savez, il suffit de regarder le Top cinq des auteurs de polars français... J'évite d'être méchant en cette trêve des confiseurs, en citant des noms. Vous en avez lu un, vous en avez lu dix, c'est pratique... Enlevez des hectolitres d'hémoglobine, des sensations fortes « téléphonées » à chaque fin de chapitre, des clichés répétitifs dignes d'un crachin breton sur la rade de Brest, - euh ! je dis ça hein mais bon..., tout cela pour cacher une écriture aussi insipide qu'un verre de grenadine ; pas sûr qu'il en reste de quoi alors publier quelque chose d'une épaisseur suffisante pour appeler cela un polar ?
Au registre du panthéon des romans criminels classiques figure cet auteur atypique qu'est
Gaston Leroux et son personnage non moins original, un certain
Joseph Rouletabille, jeune reporter de dix-huit au journal L'Époque, inspiration d'un futur Tintin...
L'affaire, on la connaît presque de renom. Comment l'assassin de Mlle Stangerson a-t-il pu s'enfuir d'une chambre fermée de l'intérieur ? Alors, laissez-vous enfermer à double-tour dans cette chronique, maintenant que vous y avez pris pied. Je ferme la porte à double-tour...
Ici dans ce roman et durant toute l'intrigue c'est l'intelligence qui fait loi autant que le « bon bout de la raison », devise de notre jeune héros.
Ce Rouletabille a le don autant de fasciner que d'exaspérer. Il est tour à tour espiègle, facétieux, agaçant, intuitif, fin limier, prétentieux, percutant.
Tous les ingrédients sont réunis pour poser l'atmosphère idéale, un vieux château perdu dans une campagne mystérieuse, un lieu ou une certaine Sainte-Geneviève arrêta l'invasion des Huns, menée par Attila. Les nuits sont ébranlées par les cris d'une bête dont on prétend qu'il s'agit peut-être d'un chat.
Les recherches autour de la dissociation de la matière auraient-elles joué sur la dissociation de l'enquête, la dissociation du criminel, du coupable, pardon, du présumé innocent qu'on peine à retrouver ?
Où est-il ? Qui est-il ? Par où est-il entré ? Par où est-il sorti ? Quand est -il sorti de cette fameuse chambre jaune ? Autant de questions insolubles qui font voir rouge, vert ou bleu les enquêteurs.
Mais au fait, pourquoi cette chambre est-elle jaune ? Car enfin, on pourrait se poser plusieurs questions. N'est-ce pas déjà un crime que de tapisser la chambre d'une jeune femme dont on prétend qu'elle est d'une beauté rare, d'une couleur aussi laide ? Et si cette chambre n'avait pas été tapissée en jaune, aurait-elle suscitée ce crime ? Moi je dis qu'il faut toujours chercher à qui profite le crime. A-t-on d'ailleurs recherché qui était l'artisan-peintre qui a tapissé cette chambre ? Peut-être aurait-il fallu commencer l'enquête par cela, qu'en pensez-vous ?
Un juge d'instruction, un chef de la sûreté, un inspecteur, Un avocat, un journaliste se retrouvent sur les lieux du crime. Une jolie brochette pour faire un tarot...
Ici les personnages ont de la classe. Ils ont des rouflaquettes, des moustaches en guidon de vélo, porte agréablement la canne à la main, ont des chapeaux, prennent des trains de banlieue pour venir enquêter ensemble. Quand ils se parlent, qu'ils se contredisent volontiers pour les besoins de l'enquête, ils le font avec l'élégance des mots, et peut-être aussi du coeur. Qu'est-ce qui les a fait tous vibrer dans cette enquête apparemment banale ? Ici il est question de l'honneur d'une femme.
Ici la réputation jugeant parfois à tort le roman policier comme un art mineur est tordue, ce roman rejoint les lettres de noblesse de la littérature classique.
Il y a une adresse, une grâce, une poésie qui ici triomphent ici de la résolution d'une énigme a priori insoluble.
Roman criminel atypique, étonnant, où la fin se révèle surprenante, divulgâchant l'intrigue qui nous a tenu en haleine. Mais alors, où est Mystère de la chambre jaune ? Eh bien, sans doute ailleurs que dans son dénouement, ailleurs peut-être, dans l'intelligence d'une écriture inventive reléguant parfois l'enquête policière au second degré, reléguant certains auteurs de polars contemporains à de pâles griffonneurs.