Dire d'une personne que sa vie est un roman est un cliché complètement éculé. Concernant
Bill Graham, c'est vrai, sa vie est un roman, en plusieurs volumes tellement elle est remplie.
Wolodia Grajonca naît dans une famille juive de Berlin en 1931. En 1938 il est évacué en France, puis il fuit aux États-Unis où il est adopté par une famille newyorkaise en 1941, il ne reverra jamais certains membres de sa famille et ne retrouvera ses soeurs que des années après.
Sa scolarité est compliquée, il change de nom et devient
Bill Graham en 1951, participe à la guerre de Corée d'où il revient médaillé, prend un poste de serveur dans des hôtels de luxe et enfin un boulot de secrétaire dans une troupe de théâtre alors qu'il essaie de devenir acteur. Pendant ces deux cents premières pages couvrant une trentaine d'années, il n'est pas du tout question de musique, et encore moins de rock'n'roll, mais il ne faut pas passer à côté, le tragique y cotoie l'humour, l'insolence et une roublardise démesurée.
C'est quasiment par accident que
Bill Graham devient, ou plutôt créé son métier d'organisateur de concerts et de tournées.
Des premières soirées au Fillmore Auditorium puis au Fillmore West et au Winterland à San Francisco, à l'ouverture du Fillmore East de New York jusqu'aux énormes tournées pour
Amnesty International dans les années 80, et aux événements comme The Last Waltz ou le Live Aid, Bill Graham est incontournable.
Robert Greenfield, que l'on connait pour ses trois bouquins sur les Stones, a longuement interviewé B. Graham, ainsi que des membres de sa famille et de son entourage professionnel, des musiciens, des agents, etc, une grosse centaine de personnes. Il a découpé et assemblé ses interviews pour en faire cet énorme livre, "
Bill Graham présente–une vie rock'n'roll".
On découvre que Graham est un furieux combattant, il défend les gens qu'il apprécie ou qui travaillent avec lui, et surtout le public. C'est un acharné, irascible, parfois insupportable et pourtant je n'avais pas envie de le quitter au bout de ces presque huit cents pages. C'est réellement une personnalité captivante et attachante.
Le livre est traversé par de nombreux artistes, Grateful Dead et Jefferson Airplane, les Doors et Janis Joplin,
Jimi Hendrix et Otis Redding tous deux adorés par B. Graham. Bien d'autres encore,des Who à
Peter Gabriel, des Sex Pistols à van Morrison cet autre adorable teigneux.
Certains n'en ressortent pas grandis, c'est le cas de Crosby, Stills, Nash & Young : des divas pendant leur immense tournée de 1974 ;
Led Zeppelin et leur manager c'est bien pire, de véritables connards, je n'ai jamais aimé leur musique et ce n'est pas avec ce que j'ai lu que ça va changer.
Pour d'autre c'est assez conforme à l'image qu'ils renvoient : il est très souvent question d'argent dans ce livre, de très grosses sommes d'argent, pour les Rolling Stones il s'agit de montagnes de fric, la musique passe presque au second plan.
Certains passages sont assez drôles, parfois aux dépens des uns ou des autres. La manière dont il dégage Robert Stigwood, le manager de Cream, de la salle de concert illustre cet aspect du livre. le retard de Roger McGuinn des Byrds pour un concert au Fillmore West en 1967 raconté par Bob Weir est un autre exemple hilarant.
On découvre également l'émergence des hippies à San Francisco par les yeux de quelqu'un qui n'en est pas un mais qui les fréquentera de très près, parfois avec fracas.
Cette biographie orale se termine tristement,
Bill Graham meurt en 1991 à 60 ans dans un accident d'hélicoptère qui coûtera la vie à deux autres personnes. Il laisse un incroyable héritage, d'abord une manière très personnelle de travailler, et surtout ces très nombreux albums live enregistrés aux Fillmore, au Winterland ou ailleurs,
Jimi Hendrix, Taj Mahal, Peter Frampton, les Allman Brothers,
Miles Davis, John Mayall, le Band bien sûr, etc, etc. Liste à compléter selon les goûts de chacun