Mots de l'auteur :
Je travaille sur
Johnny a tué mon père (Le prochain roman) depuis onze ans. Depuis la mort de mon père, qui est parti sans prévenir de façon très brutale, je questionne la mort. Je m'interroge sur le rapport que nous avons à elle, notamment en Occident, et sur la posture du père dans le déroulement et la construction d'une vie, d'une identité. Si la mort de mon père m'a plongée dans une tristesse profonde à laquelle je n'aurais jamais pu me préparer, j'ai également vécu cette disparition comme une délivrance à laquelle j'étais encore moins préparée. le jour de sa mort a été le pire jour de ma vie, enfin, de mon ancienne vie, aussitôt relayé par une vérité troublante, le jour de sa mort est devenu le plus beau jour de ma nouvelle vie.
Ce constat, à la fois inexplicable, indigne et malvenu, m'a forcée à creuser la question de la mort que je n'avais abordée jusqu'à présent que de manière très superficielle. Des lectures philosophiques, puis dans un deuxième temps, plus spirituelles, m'ont aidée à comprendre les sentiments ambivalents qui m'habitaient. Je culpabilisais d'être heureuse, de me sentir libre, de me réjouir de la mort de mon père mais de n'avoir rien de concret à lui reprocher. Ni actes de violence, ni abus sexuels, ou problèmes d'alcoolisme. Rien. de telles problématiques auraient pourtant été de bonnes raisons me permettant de légitimer mon sentiment de joie lié à sa mort, surtout socialement. Mais je n'ai rien vécu de tout ça, j'ai simplement vécu sous une emprise paternelle banale, avec la volonté classique de souhaiter rendre mon père heureux et fier. Mais j'ignorais que ce système fonctionnait au détriment de ce qui pouvait me rendre vraiment heureuse. J'ignorais que j'étais aliénée. le décalage social et l'ambivalence de mes émotions m'empêchaient de partager ce que je ressentais. Je vivais dans une sorte de silence et me suis retrouvée malgré moi face à un tabou : a-t-on le droit de se réjouir de la mort d'un parent ? de surcroît, un parent aimant ? Mon deuil a été long et douloureux, et je pense qu'il me faudra toute ma vie pour m'en remettre. Cependant, même si la blessure reste ouverte, j'aborde cette expérience comme la plus édifiante qui soit et bien que mon constat reste rare, voir tabou, je souhaite le partager.
Dans
Johnny a tué mon père (Le prochain roman), après de longs travaux pour chercher comment aborder et romancer cette thématique qu'est la mort, et pour trouver la bonne distance avec du vécu, j'ai décidé de corréler la mort d'un illustre anonyme (Bernard Langlois, le père de Louise) à celle d'une personnalité (
Johnny Hallyday) afin de ramener tout un chacun au destin commun qui nous est promis. le texte s'articule autour de la confrontation d'une idole à sa propre idole : le décès d'une star, libre, fantasque et décomplexée, versus le décès d'un proviseur, fonctionnaire dans l'âme, rigide et stricte. Ces deux mondes s'opposent dans leur rapport à la vie, dans leur quotidien, dans leurs priorités, mais face à la mort, tout ceci disparaît. Les obsèques restent le dernier moment de dyslexie entre deux individus aux vies opposées, au point où le décès d'une star laisse souvent penser que celui d'un inconnu a beaucoup moins d'importance.
Dans la société telle qu'elle fonctionne, et particulièrement avec l'arrivée d'Internet et des réseaux sociaux, je ressens de part et d'autre, une volonté, voir un besoin, plus fort que jamais, d'exister. Même si ce n'est que virtuellement, il faut exister, sans forcément vivre. Je pense que si notre rapport à la mort était plus simple et frontal, notre société ne fonctionnerait plus de la même manière. Faire un déni permanent de notre condition, cacher les personnes âgées et les morts, me paraît être la meilleure des façons de ne jamais entrer en contact avec l'essence même de la vie. Et ainsi continuer de traverser l'existence de manière futile, et marcher à côté de soi.
La mort fait peur, en parler déprime. La mort d'un parent bouleverse, la saluer choque ou transcende. Aborder cette problématique dans un roman sur un ton léger et décalé, me permet de poser un constat simple sans flirter avec le pathos : un jour on naît, un jour on meurt. On ignore quand et comment, mais on ne peut pas ignorer pourquoi. On meurt parce que l'on naît. Et parfois, la vie nous offre des surprises : on renaît. Dès lors qu'on accepte cette simple réalité « un jour je vais mourir », et dès l'instant où l'on vit avec, plutôt que de la fuir et de la craindre, je crois que nos passages respectifs sur Terre deviennent infiniment plus intéressants, joyeux et édifiants. Dans certaines cultures, la mort est une fête, célébrée au même titre qu'une naissance. Si changer notre rapport à la mort socialement me semble compliqué, en revanche, inviter chacun à mieux apprivoiser sa condition d'humain me paraît accessible.
Le message de ce livre, s'il y en a un, est le message le plus banal mais le plus compliqué à mettre en oeuvre : profiter de l'instant présent. À mes yeux, se rappeler aussi souvent que possible que notre passage est éphémère et que nous allons mourir, ne peut que nous permettre de vivre davantage.