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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Antonio Lobo Antunes c'est avant tout une plume unique, stupéfiante, d'une élégance folle, qui le place parmi les auteurs nobélisables. Une plume à nulle autre pareille, reconnaissable entre toute. Lobo Antunes, c'est la phrase qui court sur des pages et des pages, voire un chapitre entier, la phrase qui entremêle le passé et le présent, qui entrelace pensées brutes sans filtre, souvenirs, rêves, faits et gestes du moment dans un mouvement de vient et va incessant donnant au déploiement de la phrase la fluidité, le rythme et les rondeurs d'un ruban lancé au vent, d'un ruban tour à tour claquant ou caressant ; Lobo Antunes ce sont certaines phrases répétées, mantras hypnotiques et métronomiques, ritournelles révélant failles, amertume, malaise, part de folie ; Lobo Antunes c'est une prose sublime qui mêle détestation de la dictature Salazarienne et nostalgie de l'enfance, qui fait se conjuguer faits passés crus, violents et radicaux, et poésie sensorielle et bucolique, prose au charme suranné liée aux souvenirs. Voilà pourquoi Lobo Antunes aura le Prix Nobel, doit avoir le Prix Nobel, et comme il vient de sortir un nouveau livre, « La dernière porte avant la nuit », aux fameuses éditions Bourgois, je ne peux m'empêcher de penser que c'est peut-être pour cette année. Pour bientôt. La dernière porte avant le Graal. Boa Sorte Antonio !

Le passé et le présent, l'avant et l'après, pour Lobo Antunes se résume très souvent à l'avant et l'après Révolution portugaise des oeillets d'avril 1974 renversant la dictature, et par là même le pouvoir de toutes les personnes gravitant autour de Salazar. La dictature par opposition à la démocratie. Avec au milieu cette fracture béante qu'a constitué la guerre coloniale en Afrique, en Angola en particulier. Antonio Lobo Antunes y a servi vingt-sept mois, entre 1971 et 1973, comme jeune médecin militaire. Il y amputait les blessés à la scie. de cette expérience terrible va émerger un écrivain unique. Qui sait à la fois crier les horreurs, dénoncer la société portugaise, ses inégalités, son patriarcat, son racisme envers les africains, dire clairement sans détour ce qui est, tout en étant d'une sensibilité extrême à la beauté.

« C'était le mois de juillet et les vagues si bleues si bleues si bleues, vous n'imaginez pas combien elles étaient bleues, d'un bleu plus intense que ce chemisier, jamais au grand jamais, ni en Sicile ni en Grèce, je n'ai vu un bleu pareil, ça donnait envie d'être pauvre et d'habiter dans une cabane rien que pour le bleu de la mer, quel dommage que ces gens, par manque de sensibilité, n'apprécient pas la nature et préfèrent à une vue de rêve les cinq premiers escudos venus, je ne comprends pas comment fait Dieu dans le ciel pour traiter avec ces gens sans manières, quelle corvée… »

Cet avant et après Révolution est témoin d'une évolution radicale de la société : le Portugal passe d'une société de castes, une société patriarcale où le pouvoir est détenu par une poignée d'hommes sans foi ni loi, à une société plus démocratique. Je suis le fruit de cette société. La petite-fille d'un dominant ayant abusé d'une femme pauvre. La petite fille d'une union hasardeuse entre un maitre tout puissant et une servante qui n'a jamais osé protester. La fille d'un batard. D'un père biberonné au « fils de pute » répété à l'envi. Ce livre a fait vibrer mes racines qui ont même réussi, en forçant douloureusement à bourgeonner, légèrement, du terreau de mon âme.

« Je fais tout ce qu'elles veulent mais je n'enlève jamais mon chapeau de la tête pour qu'on sache bien qui est le patron ».

Dans le manuel des inquisiteurs, le narrateur, Joao, est le fils d'un tel homme de pouvoir, un personnage proche du dictateur Salazar, un quasi ministre ou député, on ne sait pas trop, gouvernant en secret, pouvant décider d'un coup de téléphone l'emprisonnement ou la libération de n'importe qui, propriétaire dans la ville de Palmela d'un magnifique domaine, une vaste demeure aux escaliers flanqués d'anges de granit, aux jacinthes poussant le long des murs, a la magnifique serre d'orchidées, aux eucalyptus murmurant dans le marais, croissant et diminuant suivant la respiration des algues, aux effluves de rose-thé.
Le décor est aussi sublime que le personnage est haïssable. Un homme au sans-gêne incroyable, à l'impudence inouïe, renversant sur la table de l'office, du bout de ses bottes crasseuses, les servantes muettes sans même prendre la peine d'ôter son chapeau de la tête, jugeant les femmes, leur hanche, leurs mensurations, comme on juge une génisse, s'achetant pour quelques mensualités une jeune fille pétrifiée de peur qu'il déguise en épouse de notable, buvant le thé en compagnie de Salazar et d'un amiral à la poitrine blindée de médailles, tout en distribuant ses conseils sur le gouvernement du monde. Un homme odieux, dangereux, marqué du sceau de l'oppression, du mépris de classe, du mépris pour les femmes, de l'arrogance, du pouvoir tout puissant. Mon mystérieux grand-père fut, à un degré moindre, un tel homme.

« Je fais tout ce qu'elles veulent mais je n'enlève jamais mon chapeau de la tête pour qu'on sache bien qui est le patron ».

Aujourd'hui cet homme (l'homme du livre, concernant mon aïeul inconnu, je ne sais pas) est un vieillard sénile placé dans un institut, un vase de nuit glissé entre ses jambes squelettiques, atteint de la maladie d'Alzheimer. le tout puissant « transformé en un mikado de tibias, en une paire de narines dilatées, en un fantoche sans mérite ». Nourri comme un petit enfant, changé comme un nourrisson. Décrépitude d'un homme au pouvoir bref, chute vertigineuse, le fils Joao raconte avec amertume, avec haine comment fut ce père, ce qu'il a vu et entendu alors qu'il était haut comme trois pommes, et ce qu'est devenu ce père haï. Il raconte comment, de façon concomitante, avec le déclin de son propriétaire, le domaine a également sombré laissant une maison éventrée, dévorée par son marais avec ses eucalyptus monstrueux, aux conduits d'irrigation obstrués par le chiendent, aux hêtres et aux cyprès dépouillés par les corbeaux, aux tableaux éparpillés au sol, aux tapis décolorés, à la chapelle envahie par des plantes grimpantes et à la piscine dans laquelle l'eau est en train de pourrir...Intimidante majesté décrépite des moulures dorées en miette sur le sol. Décadence d'un homme, décadence d'un lieu avec l'arrive de la démocratie.

Des chapitres intercalés laissent parler les personnages qui ont gravité autour de cet homme, notamment de nombreuses femmes, toutes humiliées, depuis la jeune servante abusée de façon odieuse par le père, en passant par la belle-fille qu'il ne ménage pas, ou encore la vieille nourrice Titina qui a élevé ce fils sans repère, ce fils devenu presque le sien, mais on entend aussi la voix de quelques hommes comme le vétérinaire se transformant parfois en accoucheur des pauvres femmes que cet homme a engrossé.

« Je fais tout ce qu'elles veulent mais je n'enlève jamais mon chapeau de la tête pour qu'on sache bien qui est le patron ».

Le côté choral du livre permet de se placer tour à tour dans les pensées et les sentiments des opprimés et des oppresseurs pendant la dictature, au moment du renversement et après la dictature. Ce fut passionnant et intéressant de voir les prises de positions des uns et des autres, leurs craintes, leurs croyances. Mes racines plongent dans ces deux camps extrêmes, ce fut pour moi perturbant.

« Les vitres brisées de la serre, les châssis fracassés, les vases en morceaux, les orchidées aux pétales dilatés pendillant en longues lèvres violacées » métaphore de ce qui s'est passé…un tesson de miroir vert-de-gris ce livre qui fait comme une coupure de laquelle s'écoule une « tristesse mielleuse comme lorsqu'il arrive de pleuvoir un après-midi de septembre » …Le manuel des inquisiteurs, c'est la tentative douce-amère de se construire lorsqu'on hérite de cette histoire...un chef d'oeuvre.
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Un titre étrange donné à un roman hors-norme, époustouflant, (conseillé par Chrystèle, Hordedu Contrevent, une référence chez Babelio! )

Ce roman se passe au Portugal dans les périodes de la dictature de Salazar puis de la révolution de 1974 et de ses suites.
Il m'a fait penser à une fresque ou à une galerie de tableaux, peints plutôt à la manière de Goya, tableaux qui sont des variations sur la vie d'un ministre de Salazar, un homme de pouvoir brutal et inhumain, sur sa déchéance politique puis physique, et sur celles de personnes qui l'ont côtoyé, famille, subalternes, la plupart ses victimes; mais aussi apparaissent dans cette galerie, souvent sordide, celles et ceux qui sont liés de plus loin à l'histoire de cet homme.

Et tout cela est raconté par chacun ces personnages dans des chapitres successifs intitulés successivement récit et commentaire.
Et c'est à chaque fois une longue litanie proférée par un personnage différent, un monologue lancinant par ses répétitions, dont le sens se dévoile peu à peu, ainsi que le lien avec d'autres chapitres.
Et la chronologie est chamboulée au profit d'un temps psychologique qui tire les fils du roman, et tient en permanence l'attention du lecteur.

Cette façon de raconter est unique, sans équivalent dans toutes les oeuvres littéraires que j'ai lu (mais il est vrai que je ne connais pas toute la littérature mondiale d'hier et d'aujourd'hui!).
Au début, j'avoue avoir été décontenancé par ce mode de narration, mais très vite, cette façon fiévreuse, quasi hypnotique, façon derviche tourneur, vous emporte dans son tourbillon.

Et puis, j'ai été saisi par le pessimisme de ce roman.

Se mêlent brutalité, désarroi, désillusion, méchanceté, cupidité, déchéance physique, sans qu'aucune lumière de bienveillance, d'espoir, n'apparaisse.
Ainsi ce ministre est à la fois violent et grossier avec celles et ceux qui lui résistent, méprisant à l'égard son fils puis sa belle-fille, ignoble avec ses servantes qu'il agresse sexuellement et de façon bestiale, perdu dans son délire de vouloir faire revivre la femme qui l'a quitté avec une femme de substitution. Mais aussi, on le verra perdre tout, suite à la révolution, entraînant dans sa chute toutes celles et ceux qui sont de près ou de loin à son service.Et on assistera au spectacle pitoyable de sa déchéance physique et mentale.
Et c'est aussi dur pour celles qui l'entourent, victimes parfois consentantes, je pense par exemple à sa servante Titina, vivant dans un hospice espérant toujours que son maître ou le fils de son maître viendront la chercher, ou encore à la jeune Mila qui accepte d'être affublée des vêtements moisis d'Isabelle, la première femme du ministre.
Et enfin, à côté des nombreuses victimes il y a les quelques gagnants, tels la belle-fille Sofia, l'oncle de Sofia, des bourgeois cupides et racistes, méprisant les «pauvres », sans aucune bonté.

Mais de cette boue humaine, l'auteur tire un prodigieux objet littéraire, fascinant, et qui s'imprime en vous.
Après tout, Baudelaire n'a-t-il pas écrit: « Tu m'a donné ta boue et j'en ai fait de l'or ».
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L'un des meilleurs livres de Antonio Lobo Antunes, qui est par ailleurs l'un de mes auteurs préférés. L'écriture de cet auteur est de plus très particulière et originale : de longs paragraphes courant sur plusieurs pages, entrecoupés par les obsessions des personnages qui reviennent comme des leitmotivs rythmer le roman de leur angoisse insondable devant une réalité qui les submerge. L'on ne ressent aucune sympathie pour ces personnages : Antunes décrit dans ce roman la condition humaine sur le versant du réel, celui d'une bête sanguinaire et égoïste. de la très grande littérature, à lire absolument.
Lien : http://www.babelio.com/ajout..
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J'ai lu ce livre à voix haute sans m'arrêter.
Je ne comprendrai jamais pourqoui cet auteur n'a pas encore reçu le prix Nobel de littérature.
Ses livres sont d'un abord difficile. Il faut commencer par ses chroniques et puis se laisser aller au ravissement.
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