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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Un des premiers « Manuel de l'Inquisiteur », écrit en 1376 par Eymerich pour légiférer la torture et déjouer les astuces des hérétiques, utilise à la fois la véhémence « on les gardera dans une prison horrible et obscure », le pragmatisme, car les ruses de ces hérétiques sont cousues de fil blanc, et le cynisme « la condamnation à mort n'a pas pour but de sauver l'âme de ces damnés, mais de terroriser le peuple. »
Antonio Lobo Antunes reprend le titre, presque la pagination entre récit et commentaire ( appelés scolies au Moyen-Age) et sûrement l'esprit des inquisiteurs, en leur donnant la parole, cynique, brute de décoffrage, brutale , à propos du ministre Francisco, celui à qui Salazar demandait : « que fait-on pour l'Europe ? Que fait-on pour l'Afrique ? » -celui qui pouvait tout se permettre, décider de la prison ou de la mort, « suicider » son père, tuer ses chiens, demander à une petite paysanne à qui il dit « bouge pas poulette » et qui pense alors qu'il veut la vider comme un poulet pendant qu'elle se courbe pour qu'il la possède par derrière- .
Paroles –souvent ponctuées du : « Oui, vous pouvez le noter » des interrogés- du vétérinaire qui fait accoucher une « génisse », autrement dit, une petite violée, du fils, méprisé par le père, pas aimé de la première épouse, Isabel, qui a fui, de l'autre petite, que Francisco s'évertue à vêtir des dentelles moisies et des chaussures usées, en lui demandant « est ce que tu m'aimes, Isabel », de la gouvernante Titina toute puissante, épousant les pensées du maitre, de la belle famille du fils, persuadée qu'elle peut en toute bonne foi ruiner et le fils et le père, et , forte de la Révolution des oeillets, détruire le palais , les serres des orchidées, fusiller les oiseaux, et construire un centre de loisirs.
Avec des phrases longues, très longues, et cependant seulement descriptives, à la différence de Proust, seulement parlant de détails culinaires, décoratifs ou vestimentaires, Antonio Lobo Antunes nous présente une certaine société, celle de la dictature, puis celle d'après la révolution.
C'est l'histoire d'une chute, d'une déperdition, d'un déclassement de ces possédants qui ne se doutent pas du tout de ce qui est dit derrière eux. Ils croient que ce monde durera toujours, et la seule solution pour eux serait de mettre un peu d'ordre dans ce chaos, les pauvres ne demandant jamais autre chose que de ne rien faire, d'attendre et de mendier un peu de soupe. Les Noirs d'Angola n'ont eux aussi qu'une chose à faire, continuer d'applaudir pour remercier de mourir de faim.

Et pourtant :
La phrase : « Je fais tout ce qu'elles veulent, mais je n'enlève jamais mon chapeau de la tête pour qu'on sache bien qui est le patron », reprise maintes fois, est détournée de façon cynique : « le chapeau, pour qu'on ne voit pas les cornes ». (de plus, il ne fait jamais ce qu'elles veulent, pour lui ce sont des animaux.)

Et l'autre phrase « un petit pipi, je dois rendre mon autobus, vous n'allez pas mouiller votre pyjama »répétée maintes et maintes fois, nous fait mesurer la distance entre le « monsieur le ministre », cocu , certes, mais tout puissant dans son domaine, et le pauvre vieux incontinent qu'il est devenu, muet, soumis, inutile, humilié aux mains d'infirmières pressées.
Ai-je aimé ce roman ? Non, je dois l'avouer, malgré l'écriture enthousiaste de Chystèle. Beaucoup trop long, avec ce tic de répétition de la même phrase qui m'a plus paru un jeu stylistique qu'une nécessité, ces descriptions qui veulent symboliser la politique, comme si nous avions besoin d'un chat en porcelaine pour comprendre le changement définitif accueilli par le Portugal, enfin l'Angola n'étant que profilé de loin.

Pour positiver, ce serait, transposé littérairement, la fin d'un monde colonial et dictatorial dont, avec un plaisir évident Lobo Antunes nous fait partager les pensées
rétrogrades et répétitives donnant une idée du monde ancien révolu qui rabâche.
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Je sors un peu "sonnée" de la lecture de ce roman d'Antonio Lobo Antunes : le manuel des inquisiteurs et en proie à des sentiments contradictoires...
La première partie du roman m'a emballée, même si entrer dans l'écriture disruptive de l'auteur demande un temps d'adaptation. Mais j'ai aimé la peinture de ces derniers moments de la dictature militaire salazariste. Une époque de bruit et de fureur que l'auteur évoque et dénonce avec rage et un sens inégalé de la caricature. Dans ce récit qui ressemble à une toile d'araignée tant les fils de l'intrigue se croisent et s'entrecroisent, défile une galerie de personnages qui incarnent un des aspects les plus condamnables de ce régime. Francisco est un propriétaire terrien, au comportement de seigneur féodal. Il vit en rentier dans son domaine de Palmela et mène en parallèle une carrière politique dans l'orbite du pouvoir de Salazar, jusqu'au jour où la Révolution des oeillets en 1974 va petit à petit le faire basculer dans une forme de folie paranoïaque dont il ne sortira plus. A l'autre extrême, une bourgeoisie capitaliste déjà très experte dans le transfert de capitaux à l'étranger, est incarnée par un personnage de banquier, l'oncle de Sofia, l'épouse du fils de Francisco. C'est un voyou de haute volée et son cynisme ne le fait reculer devant rien, pas même le "meurtre arrangé" de son père qui le gênait dans ses affaires. L'auteur se livre à travers le personnage de Sofia et sa famille à une satire féroce des préjugés de classe et de la grande hypocrisie qui consiste à transformer en actes de charité, des comportements qui reposent sur un mépris de classe éhonté. Un empêcheur de tourner en rond dans ce " beau monde " Joao, le fils de Francisco, le prototype du fils de famille déchu, inconsistant, méprisé de tous et pour son plus grand malheur, parfaitement conscient de sa médiocrité et sa lâcheté !
Face à cette classe sociale, soutien sans faille du régime de Salazar : les "petites gens" , ceux qui vivent dans la pauvreté et la peur de perdre le peu qu'ils ont et ceux qui servent les puissants avec un dévouement et un auto-aveuglement déroutants, telle Titina, la gouvernante du domaine de Palmela, qui se dévoue corps et âme à son maître Francisco et qui malgré tout finira ses jours dans un hospice misérable ! Un personnage émouvant et qui d'ailleurs n'est pas la seule femme qui interpelle dans ce roman où elles sont nombreuses. Ce qui m'a frappée, c'est que, quelle que soit leur position sociale, elles sont victimes consentantes ou exploitées, telle Sofia, le prototype même de la courtisane ou la cuisinière du domaine qui, engrossée par son maître, sera séparée brutalement et contre son gré de la petite fille dont elle a accouchée.. Un univers féminin qui, aujourd'hui fait frémir d'indignation... La satire, la drôlerie féroce, on les retrouve également tout au long du roman dans l'évocation de la vieillesse, celle que va connaître Francisco, abandonné de tous dans un hospice où il va finir ses jours. Ce qui donne lieu à des scènes où le grotesque est tellement appuyé que le rire se transforme en grimace...
Jusque là, j'ai bien suivi l'auteur mais dans la deuxième partie du livre, j'ai "décroché". Je pense que c'est d'abord au niveau de l'écriture à laquelle j'avais adhéré dans la première partie car elle était pour moi porteuse de sens, au service de personnages très présents et d'une dénonciation vigoureuse du régime salazariste. Petit à petit j'ai perdu de vue les personnages principaux et le fil de l'intrigue, qui n'était déjà pas facile à suivre, s'est complètement délité... J'ai eu l'impression que l'on entrait dans une thématique de la destruction tous azimuts : celle de la phrase et du narratif pour ce qui est du récit, celle de la société, de la nature et de la psyché humaine pour le contenu. Pour illustrer mes propos, je donnerai deux exemples : la folie et la passion très présentes dans le roman sous formes de scènes hallucinatoires ou tragiques, conduisent inexorablement à la mort... le domaine de Palmela, presque un personnage dans le roman, une fois abandonné de ses habitants, fait l'objet d'une description apocalyptique où tout n'est que désordre et saccage. Un paysage de fin du monde...
Quant aux deux derniers chapitres, il m'ont laissé dans la plus profonde perplexité tant je me suis demandé quel message voulait faire passer l'auteur... Une sorte d'apothéose finale de cette thématique du chaos ?
Je ne sais pas...
Je ne regrette pourtant pas cette "aventure " littéraire qui m'a permis de mieux cerner mes limites de lectrice.
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