"Si plusieurs travailleurs travaillent à l'habit d'un seul homme, beaucoup d'autres hommes n'auront pas de quoi se vêtir."
MontesquieuJack London est un homme impressionnant : à l'heure où ses contemporains jouissent de bien durement - ou non - acquis, lui se refuse une telle oisiveté. Nous sommes en 1902,
Jack London a 26 ans et est reconnu ; bien qu'il n'ait pas encore le succès que lui apportera L'appel de la forêt, publié en 1903. de passage en Angleterre, il décide d'aller vivre dans l'est End Londonien. Il y restera 86 jours.
Si l'est End est maintenant un haut lieu culturel au coeur de Londres, son histoire n'était pas si glorieuse au début du siècle dernier. L'endroit était réputé comme le plus pauvre de la ville, un coin d'enfer au sein de "l'empire le plus puissant de la planète". Pour vous situer, c'est dans l'un de ses quartiers (Whitechapel) qu'a sévit Jack the Ripper en 1888.
Pourtant,
Jack London se confrontera à la vie de ces miséreux, agonisants par centaines de milliers dans des quartiers surpeuplés et trop étroits, parmi la vermine, les malades, l'alcoolisme et même les cadavres ; entassés parfois à 8 ou 9 dans des chambres pas plus grandes que celle d'où j'écris ces lignes. Il essaiera "l'asile de nuit", ersatz de baraquement militaire où l'on peut avaler quelques miettes et coucher sans intimité contre une journée à casser des cailloux (ou autre travail de forçat). La plupart des pauvres préfèrent quand même la rue à ces piètres logements, n'y allant que de temps en temps pour se reposer, et avoir assez de force pour chercher du travail.
Jack London ira jusqu'à "porter la bannière", ce qui consiste simplement à marcher toute la nuit, attendre l'ouverture - vers 5h du matin - d'un parc bien connu des habitués pour se reposer, enfin, et éviter ainsi les policemans qui vous réveilleraient autrement (en ce début de 20ème siècle, il est tout bonnement "interdit" de dormir dans la rue). Tout ça au milieu de bourgeois outrés de trouver un gueux ronflant au milieu de la pelouse, en pleine matinée. Bon, ça a l'air sympa, quoi.
Ce livre n'est pas un roman mais un essai ; j'ai beau apprécier l'homme et respecter la démarche : je me suis plutôt emmerdé.
Si le début du livre présente une narration agréable et intéressante, la seconde s'attarde sur moult analyses, tableaux et extraits de rapports que
Jack London pioche consciencieusement.
Il fait un compte rendu précis des moyens financiers dont jouissent (ou, pour être exact : ne jouissent pas) les ouvriers anglais ; trop précis. J'ai beau comprendre que ces pauvres bougres n'ont pas un rond, les échelles se contextualisent en l'an 1902 et n'ont pas été actualisées depuis. Résultat : difficile de se rendre vraiment compte. Là où le quotidien des gueux de l'East End décrit jusqu'alors me parlait : les chiffres, eux, me sont muets. Impossible d'imaginer quel pouvoir d'achat conférait un dollar à l'époque ; une livre, un shilling ou un pence avec la seule lecture de cet essai. Il nécessiterait des recherches annexes pour vraiment s'en faire une idée. Donc, à ce niveau là c'est raté.
Aussi, j'ai trouvé beaucoup d'informations redondantes, et ai eu l'impression d'entendre sans cesse la même ritournelle.
Alors voilà, j'aurais pu largement me passer de la seconde partie et des stats. Mais la richesse des recherches de
Jack London en fait probablement un essai réussi ; mais plus dans notre contexte historique.
Bref, si vous voulez vous enjailler, passez votre chemin : ce livre est triste, déprimant chiant et trop difficile à contextualiser aujourd'hui ; surtout pour moi, homme blanc cis-genre, doté d'un foyer et bien (trop) nourri.
Toutefois, s'il vous prend l'envie de vous confronter à la pauvreté dans ses aspects les plus sordides, libre à vous de tenter l'aventure ! Je ne doute pas que les conditions décrites puissent parfois faire écho au sein même de notre propre empire.
Bisous
"Je ne veux pas que l'on sacrifie le travailleur au produit du travail. Je ne veux pas que l'on sacrifie le travailleur à mon bien-être et à mon orgueil ni à ceux de mes semblables, tous gens de qualité. Je préférerais du coton moins bon et des hommes meilleurs."
Emerson
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