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Critique de Fabinou7


“I'm not my father's son. I'm not the image, of what he dreamt of”. Cette chanson, composée par Cyndi Lauper pour la célèbre comédie musicale « Kinky Boots » pourrait illustrer la relation père-fils racontée dans ce livre.

En réalité, il y a deux livres en parallèles dans cet ouvrage.

“Chez ceux qui ont tout, je n'ai jamais vu de famille aller voir la mer pour fêter une décision politique, parce que pour eux la politique ne change presque rien. (…) un gouvernement ne leur cause jamais de problèmes de digestion, un gouvernement ne leur broie jamais le dos, un gouvernement ne les pousse jamais vers la mer. (…) Ça aussi c'est étrange, c'est eux qui font la politique alors que la politique n'a presque aucun effet sur leur vie. »

Le premier est résolument politique. Mais au lieu de s'appesantir sous le ciel des Idées, l'auteur normalien part du singulier pour rejoindre le général. Il démontre un fait très simple : l'intime est politique et le politique est intime. Il n'y a pas de muraille de Chine, ni de poste de télévision interposé entre notre quotidien et les décideurs politiques. Il n'y a aucun lieu qui soit hors d'atteinte, hors de portée d'une décision politique (sauf peut-être pour ceux qui font les règles du jeu).

“La profession est plus forte que l'homme” écrivait Aragon. Les mesures économiques, les choix faits en matière de santé publique, de fiscalité, dans les couloirs feutrés des hôtels particuliers de la République meurtrissent dans sa chair un quinquagénaire picard et chaque décret participe à l'érosion de son espérance de vie.

Chaque prime de danger, de pénibilité ça veut dire en clair que le métier peut vous bousiller. Mais il faut retourner travailler, remettre son réveil pour défendre « à coup de dents ton lopin de monde pour t'endormir d'un samedi à l'autre” comme l'écrivait le poète Tristan Tzara. Comme un fait exprès, le nouvel âge pivot de départ à la retraite correspond à celui de l'espérance de vie…en bonne santé.

Ainsi, en économie, il n'y a pas de « meilleur équilibre » pour tous, comme le dénonçait Bernard Maris, le « gagnant-gagnant » est un « attrape nigauds » pour reprendre le mot de Régis Debray.

Là où François Bégaudeau pointe une classe bourgeoise dans un système de domination, Edouard Louis fustige les politiciens, élus du peuple, pour lui les responsables politiques sont par définition « responsables » et doivent être tenus comme tels.
Serait-ce à affirmer, d'une part le libre arbitre total des politiques et d'autre part l'absence d'un rapport de force entre les politiques qui parfois voudraient, et le monde économique qui finance la vie politique et qui décide aussi de la marge de manoeuvre qu'il accorde aux politiciens ? Pour l'auteur, dans une position assez Sartrienne, les politiques sont ou se disent libres d'agir et donc ils devraient (dans le meilleur des mondes, celui de Candide, voire de Dora l'exploratrice…) en assumer les conséquences.

« Il y a ceux à qui la jeunesse est donnée et ceux qui ne peuvent que s'acharner à la voler. » L'auteur, désormais « transclasse » se revendiquant de Bourdieu, Foucault et Eribon, ne délivre pas là un scoop, mais il est borné, têtu : il répètera sans relâche les noms des décideurs politiques, les dates, les coupables… mais une fois qu'on a dit, ça que propose l'auteur ?

***

Chemin vers la tolérance. Puis il y a une seconde histoire. Une histoire de famille. Celle d'un père qui peine à se raconter à son fils et d'un fils qui cherche l'amour de son père. C'est l'histoire d'un père qui n'a pas choisi son fils et d'un fils qui n'a pas choisi son père « and they can't get over it. »
L'homosexualité du fils Edouard Louis, me rappelle les difficultés de l'homosexualité du père, Christophe Honoré, racontée dans « Ton Père » mais là où le père homosexuel subit des agressions extra-familiales, l'enfant homosexuel lui est attaqué par ses propres parents, son propre foyer.

L'ouverture d'esprit n'est pas une fracture du crâne. Plus largement, l'auteur y accuse le poids des préjugés sur la masculinité, ce qu'être un homme. Ainsi les préjugés de ces populations paupérisées autour de ce qui « fait homosexuel » comme être investi dans ses études, s'intéresser à la culture etc peuvent les conduire vers l'impasse et la prison sociale “ta vie prouve que nous ne sommes pas ce que nous faisons, mais qu'au contraire nous sommes ce que nous n'avons pas fait.”
“Familles, je vous hais” écrivait André Gide, pour Edouard Louis il y a désormais l'amour comme moteur de la transformation de cette relation père-fils : “un de mes amis dit que ce sont les enfants qui transforment leurs parents, et pas le contraire. »

Ce livre a ici fait couler beaucoup d'encre numérique. Pour ma part, ce qui m'as dérangé c'est peut-être un problème de classification. Je n'ai pas trouvé de langue particulière. Pas de style littéraire qui puisse me faire dire, c'est un romancier. Pas de jeu avec la langue, au détriment de la langue. Cela relève davantage du récit que du roman. Mais comme le disait Maupassant, invalidant mes bêtises : « le critique qui ose encore écrire : « ceci est un roman et cela n'en est pas un » me parait doué d'une perspicacité qui ressemble fort à de l'incompétence » …aussi il faut aller voir et entendre Edouard Louis au théâtre de la Ville à Montmartre car son bouquin, c'est encore lui qui en parle le mieux !

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