Une fois n'est pas coutume, c'est d'un livre qui n'existe pas dont je vais parler.
Ou plutôt si, qui existe, mais à un "tirage" si limité que c'en est presque devenu une insolence d'avoir eu la chance de le lire.
Ce livre ne sort pas des presses d'une maison d'édition, si petite soit-elle.
Ce livre n'a pas été édité à compte d'auteur.
Bel objet, il a été façonné par l'épouse de l'auteur, dont la passion était de redonner une nouvelle vie à de vieux volumes cabossés par le temps.
Peut-on imaginer plus belle histoire d'amour que celle de ce livre.
"Souvenirs" est le récit d'un destin qui a croisé l'Histoire.
Il est raconté à la première personne.
L'auteur est né à Saint-Fiacre, près d'Auray.
Faisant preuve d'une vive mémoire et d'un sens aigu de l'observation, il raconte son enfance à la ferme de ses parents.
Son père le voit devenir instituteur.
En février 1936, avec la complicité de sa mère, il rejoint le 3ème dépôt des équipages de la flotte à Lorient pour s'y engager dans la Marine.
Il veut être fourrier ... Il sera commis aux vivres.
Il fixe, à Bizerte, son premier croc de hamac sur le mouilleur de mines "Castor" qui, durant la guerre d'Espagne, participe aux contrôles des bâtiments s'approchant du Maroc espagnol.
Il embarque, en 1939, à bord du contre-torpilleur "Bison".
Il est alors le plus jeune second-maître commis de la marine ...
C'est à partir de ce moment que le récit s'éloigne de l'anecdote personnelle et que l'Histoire vient se mêler aux souvenirs.
Au large de la Norvège, le 3 mai 1940, le "Bison" est atteint dans sa soute à munitions par une bombe allemande de trois cent kilos.
L'auteur sera porté disparu quelques temps malgré qu'il ait été recueilli, brûlé à la face et aux mains, d'abord par l"Afridi", un premier destroyer anglais puis par un second, le "Griffin" ...
Le récit est passionnant et ne s'arrête pas là.
Son auteur, à bord de l'aviso colonial "Dumont D'Urville", participe, en 1942, au sauvetage des survivants du paquebot "Laconia" coulé par l"U 156" allemand ...
Affecté, en 1950, à l'état-major de l'OTAN, il est chargé de l'approvisionnement en denrées fraîches du cuisinier personnel du général Eiseinhower ... et de mettre fin à un petit trafic de whisky et de cigarettes ...
Ce récit est passionnant, peut-être, l'ai-je déjà dit.
Il ferait, j'en suis sûr, le bonheur de bien des maisons d'édition.
Il est bien écrit, dans un style simple et efficace.
Le souvenir est précis et souvent rattaché à une fine analyse des événements.
La petite Histoire y voisine avec la grande.
Je suis fier d'avoir un peu connu l'auteur de ce livre.
Je suis fier qu'il m'ait dédicacé une "Histoire de la Marine française" de Claude Farrère où l'on peut voir la reproduction d'une peinture de Roger Chapelet, celle de la tragédie du "Bison".
Je le remercie de m'avoir raconté ses "Souvenirs" ...
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Le maréchal Pétain a demandé l'armistice.
Les allemands sont à Rennes et foncent sur Lorient.
Au port, c'est la panique.
Tous les navires présents ont reçu l'ordre d'appareiller et de faire route sur l'Angleterre ou l'Afrique du Nord.
Des avions allemands survolent la rade et lâchent des mines magnétiques dans la passe ouest.
Le lendemain, un grand morutier de Fécamp avec deux cent marins évacués saute sur l'une d'entre elles.
Il n'y eut que douze survivants.
Dans l'après-midi du dix-huit, la valise à la main, je me rends à la gare pour reprendre le train pour Auray.
Plus de train.
Je saute dans un bus qui s'y rend par la route côtière.
Arrivé à la Trinité-sur-Mer, le bruit court que les allemands sont à Vannes.
Il y a là, à quai, un chalutier armé en dragueur auxiliaire commandé par l'officier des équipages de réserve Leroux.
L'équipage est composé presqu'en totalité par les pêcheurs qui l'armaient en temps de paix, sous les ordres du même patron.
Je n'ai pas l'intention de me faire prisonnier des allemands.
Je demande donc à embarquer à bord du "Roz Braz".
Le commandant hésite un peu.
Je n'ai plus de papiers d'identité, mais à la vue de ma tenue de second-maître qui se trouve dans ma valise, il accepte de me prendre à bord.
Avant l'appareillage, je tente de téléphoner à Pluneret pour signaler mon départ, mais je ne réussirai qu'à me faire remballer par la standardiste.
Me volià reparti et vogue la galère !
Anne, à Lorient, pense que je suis à Pluneret et ma mère se dit, à Pluneret, que je suis à Lorient ...
Je suis né officiellement le 18 septembre 1918, mais baptisé le 17 si l'on en croit les différents registres d'état-civil consultés, ce qui est pour le moins curieux ...