La vedette démarra, s'enfonça entre les arbres immergés ; les vitres frôlaient les branches couvertes de boue coagulée par la chaleur, de filament de vase verticaux ; sur les troncs, des anneaux d'écume séchée marquaient la hauteur extrême de la crue. Claude regardait avec passion ce prologue de la forêt qui l'attendait, possédé par l'odeur de la vase qui s'étend lentement au soleil, de l'écume fade qui sèche, des bêtes qui se désagrègent, par le mol aspect des animaux amphibies. Au-delà des feuilles, dans chaque trouée, il tentait d'apercevoir les tours d'Angkor-Wat sur le profil des arbres tordus par les vents du lac : en vain ; les feuilles rouges de crépuscule, se refermaient sur la vie paludéenne. La fétidité lui rappela qu'à Phnom-Pehn, il avait découvert, au centre d'un cercle misérable, un aveugle qui psalmodiait le Ramayana en s'accompagnant d'une guitare sauvage. Le Cambodge en décomposition se liait à ce vieillard qui ne troublait plus de son poèmes héroïque qu'un cercle de mendiants et de servantes : terre possédée, terre domestiquée où les hymnes comme les temps étaient en ruine, terre morte entre les mortes ; et ces coquillages terreux qui gargouillaient dans leurs coques, ignobles grillons... Devant lui, la forêt terrestre, l'ennemi, comme un poing serré.
Ce fut son dégoût, plus encore que cette mort, qui amena le déclin de la maison.
Il n'y a qu'une seule "perversion sexuelle", comme disent les imbéciles : c'est le développement de l'imagination, l'inaptitude à l'assouvissement.
La forêt s'était refermée sur cet espoir abandonné. Depuis des jours, la caravane n'avait rencontré que des ruines sans importance; vivante et morte comme le lit d'un fleuve, la Voie royale ne menait plus qu'aux vestiges que laissent derrière elles, tels des ossements, les migrations et les armées.
Perken continue : " Ce qui est étonnant, Claude, dans la présence de la mort, même...lointaine c'est qu'on saisit tout à coup ce qu'on veut, sans hésitation possible. " La mort est donc révélatrice ?
Ce n'est pas pour mourir que je pense à la mort, c'est pour vivre.
C'est quand on déchoit qu'il faut se tuer, mais c'est quand on déchoit qu'on aime à nouveau la vie...
La vraie mort, c'est la déchéance.
...Ils se transforment, les souvenirs...L'imagination, quelle chose extraordinaire! En soi-même, étrangère à soi-même... L'imagination... Elle compense toujours...
Aucune envie de vendre des autos, des valeurs et des discours, comme ceux de ses camarades dont les cheveux collés signifiaient la distinction ; ni de construire des ponts, comme ceux dont les cheveux mal coupés signifiaient la science. Pourquoi travaillaient-ils, eux ? Pour gagner en considération. Il haïssait cette considération qu'ils recherchaient.