En 1973,
Jean-Patrick Manchette se décide à créer son détective privé à lui, à peu près au mitan de ses romans policiers. Pas qu'il en ait écrit tant que ça, d'ailleurs, car contrairement à ses modèles américains, il était tout sauf un stakhanoviste de la Remington.
Bref, l'ancien gendarme Eugène Tarpon, un nom le plus banalement con possible, apparaît dans son cinquième polar. Associé à une narration à la première personne, justifiant quelques épanchements introspectifs qui rompent avec le style factuellement clinique habituel.
L'exposition est désopilante. Manchette aligne les poncifs du genre (le privé au fond du trou) avec un bonheur teinté d'une ironie nihiliste réjouissante. À tel point que quand l'intrigue démarre, on regrette que ça ne dure pas plus longtemps.
Heureusement, l'humour ne disparaîtra pas totalement. le poulet en chef s'appelle le commissaire Coquelet. Une bande de pieds nickelés gauchistes fait un passage… remarqué. La beauferie sous diverses formes s'en prend plein les quenottes. Les clichés du genre se font délicieusement allumer, notamment en les poussant à des extrêmes qui les rendent surréalistes (« l'homme qui pleure »).
Bref, Manchette s'amuse et nous amuse. Il se moque de tout, jusqu'à lui-même, par exemple en appelant les frères Grimm à la rescousse pour démolir une scène qui aurait pu être poignante. Ou en dézinguant joyeusement les tentatives d'explication psychanalytique des mobiles de l'assassin.
Et même si le titre est justifié par le nombre de cadavres, ça n'a finalement de noir que la couleur de la jaquette.