Par un après-midi de printemps en 19--, Gustav Aschenbach, ou von Aschenbach partit de son appartement à Munich. L'écriture du matin l'avait surstimulé et il avait besoin de clarté. Comme beaucoup d'intellectuels allemands du début du XXe siècle, son esprit s'était régalé du classicisme de son environnement, lorsqu'il rencontra un homme aux cheveux roux déplaisant. Une étrange émotion s'éveilla en lui, une émotion qu'il identifiera plus tard comme un désir de voyager. Il avait été trop préoccupé par les devoirs que lui imposait la psyché collective européenne. Il avait besoin d'un intermède impromptu, un dolce farniente
Auteur d'une énorme épopée/biographie de Frédéric de Prusse, ainsi que d'une étude sur l'abjection, Aschenbach s'était tôt fait remarquer, et sa réputation n'avait cessé de croître. Sa fragilité physique, combinée à une estime de soi envahissante, lui laissait peu d'amis et il avait à peine remarqué que sa femme était décédée quelques années plus tôt. Il dormait 12 heures par jour, épuisé par le dur labeur de 20 minutes d'écriture et le sur-raffinement de son existence, mais Aschenbach ne se plaignait pas, acceptant que son devoir teutonique était de sublimer son Soi dans une extase de la volonté d'Art. , beauté et majuscules.
Il prit le train de nuit pour Trieste pour se diriger vers l'île de Pola. La pluie et le provincialisme remplirent bientôt de dépit cet artiste apollinien ;mauvais choix et il décida de partir à Venise.
Il débarqua à l'Hôtel des Bains sur le Lido
'À Venise, à l'affreux Lido,
Où vient sur l'herbe d'un tombeau
Mourir la pâle Adriatique...'
là où,
'le grand Byron allait quitter Ravenne,
Et chercher sur les mers quelque plage lointaine
Où finir en héros son immortel ennui...'
Mais notre Eschenbach connaissait-il les vers du grand titubant?
Très vite il fut rassuré d'entendre toutes les grandes langues du monde, même du polonais. Alors qu'il attendait le dîner, il vit trois filles et leur très beau frère de 14 ans. Il s'endormit dans un transport de joie et pénétra dans un pays de rêve où il fut beaucoup plus actif qu'il ne l'avait jamais été éveillé.
Au petit déjeuner il revit le jeune garçon dans la salle à manger. « Eh bien, mon petit Phéacien à tête d'Éros », se dit Aschenbach, comme tout homme de lettres submergé par la beauté liquide d'Achelous. Et comme, bien entendu, chacun d'entre nous l'eut dit.
Quand garçon, dont il apprit qu'il s'appelait Tadzio, apparut sur la plage où lui même avait accepté de se mêlet à la bruyante populace, il fut de nouveau foudroyé. « Tut, tut, Critobulus », pensait-il, d'une manière que son surmoi confondait avec l'affection paternelle, mais que son ça turbulent identifiait avec la pédérastie. Bien qu'il s'agisse d'une pédérastie noble, bien sûr.
Épuisé par le trajet d'une demi-heure – une histoire de départ avorté - , Aschenbach passa la semaine suivante allongé sur une chaise, profitant de la brise apaisante d'Oceanos et observant le physique aussi divin que translucide de Tadzio. "Oh Hyacinthe, Oh Phèdre," dit-il. "Comme je désire produire une prose d'une sensualité limpide à la hauteur de ta beauté." Au fil des jours, Aschenbach osa espérer, une fois même il eut un souri re et dit je t'aime – de façon aussi sobre que compassée à la silhouette du garçon qui s'éloignait.
Au cours de la quatrième semaine, Aschenbach entendit des rumeurs selon lesquelles il y avait une épidémie dans la ville, mais il ne put se résoudre à partir. Il suivait Tadzio plus ouvertement, appuyé contre la porte de sa chambre, appréciant les secrets coupables de la ville et de les siens tout aussi coupables jusqu'àl'ancienne noblesse de son avilissement.
C'était une épidémie de choléra, mais il ne pouvait pas se résoudre à le dire à la mère de Tadzio. La conscience de sa complicité l'enivreait et ses rêves se remplirent d'archétypes freudiens plombés de saturnales.
Il laissa le barbier lui teindre les cheveux et les joues et peindre ses lèvres en rouge cerise. Apollon laisse place à Dionysos. Il se délectait de sa sensualité, devenant de plus en plus imprudent dans sa poursuite de Phèdre. Il entendit la mère de Tadzio dire qu'ils partaient . Il commença à se sentir mal. À la plage il regardait, pour la dernière fois Tadzio lutter avec un ami, jusqu'au moment où voulant se lever de sa chaise, après avoir cru discerner un geste qu'il interprêta comme un appel de Tadzio, il s'écroula, écrasé sousle poids du symbolisme.
C'est là certainement l'oeuvre la plus humaine deMann,
admirablement servie au cinéma par
Luchino Visconti,
et
Dirk Bogarde qui fixe définitivement dans nos mémoires l'image d'Ashenbach.
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