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Erzeroum, Anatolie turque 1915. D'Istanbul, deux politiciens turcs Enver et Taalat ont décidé de purifier leur empire déclinant en éradiquant les Arméniens , soupçonnés de complotisme avec le voisin russe.
La purge est brutale , massive et inhumaine , comme toutes les purges. Araxie et Haïganouch sont d'un convoi, vite orphelines mais prise en charge par une vieille dame . C'est leur histoire qui nous est racontée ici, Araxie étant la grand mère de l'auteur.

Il y a clairement deux parties dans ce livre , la première martelant l'inhumanité turque et kurde et la seconde faisant part à la survie dans la diaspora du peuple arménien , que ce soit en France ou dans l'ex Russie.

C'est un livre très fort qui s'appuie sur des faits puisqu'il est en partie autobiographique Les personnages sont entiers, entiers dans leur cruauté mais aussi dans leur générosité comme ce médecin turc ou cet officier lui aussi turc , meneur de convois et qui sauvera trois innocents au péril de sa vie. L'auteur crédibilise son récit en n'étant pas binaire .

Et puis , il y a l'histoire : le génocide, la conquête du pays par Atatürk, l'avidité des charognards occidentaux sur la dépouille de l'empire ottoman , la montée d'Hitler , les purges staliniennes , qui peuvent s'apparenter à un auto génocide, le front populaire... C'est dans un tourbillon que l'on est convié à travers ces arméniens qui tentent de vivre après l'horreur.

Bien entendu, on vibre avec les héroïnes , Araxie , sa maitresse turque , au passage elle aussi victime de la folie des hommes , les rebelles arméniens , Haïganouch, les militaires oscillant entre l'abject et la légion d'honneur. On plonge dans la culture arménienne, la solidarité dans la diaspora et l'émigration, on s'émeut , on croise les doigts, on vibre !

C'est bien écrit, mais l'essentiel est ailleurs , dans la narration d'une histoire personnelle qui côtoie celle du monde. Et raconter des histoire , Manook le fait très bien, même si les personnages finissent en 640 pages par trop se croiser dans un monde sans doute plus vaste qu'il n'est dans ce livre.
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Premiers mots premières phrases et l'enfer s'abat sur le lecteur brutalement. C'est violent, choquant et rien ne peut préparer à ça, comme rien ne peut préparer un peuple à se faire exterminer par ses voisins encore inoffensifs et aimables quelques jours avant que la fureur ne s'empare d'eux. J'ai été saisi à la gorge par tant de sadisme et de perversité. Une haine gratuite et absurde dont seuls les humains sont capables. Tuer celui que l'on considère comme l'ennemi est une chose mais pousser la perversité jusqu'à lui infliger un maximum de souffrance physique et psychologique en est une autre. Je suis toujours atterrée de voir à quel point en la matière l'être humain est inventif. Une scène m'a beaucoup marquée au début du livre. Un combattant abat un cheval pour abréger ses souffrances mais pas l'homme qui le chevauchait. Je me suis surprise à penser que le cheval ne méritait pas de souffrir, l'homme par contre je n'en étais pas convaincue compte tenu de ce qu'il venait de faire. La puissance de ce roman de Ian Manook pour moi est là. Dans cette faculté à nous pousser à l'analyse, à nous pousser dans nos retranchements, à nous emmener là où c'est dérangeant.

En effet, loin de se résumer à une succession de descriptions de l'horreur, l'auteur nous offre une réflexion profonde sur la guerre. Ce n'est pas qu'une question de relations humaines, de différence de modes de vie et de point de vue. Ici ce sont les Turcs Musulmans qui ont tenté d'exterminer les Arméniens Chrétiens. Pendant des siècles ces deux peuples ont pourtant vécu en paix, ce n'est pas qu'une question de religion. le reste du monde a fermé les yeux parce que leur intérêt économique et politique était que cette guerre continue, peut importe les souffrances et la mort. Quelque soit le camps tout le monde a les mains couvertes de sang particulièrement les décideurs. Un génocide ce n'est pas le fait d'une seule personne, de ses idées de sa propagande. C'est la conséquence d'un tout. le contexte économique, politique, religieux, prime sur les idées des bourreaux. Il faut un terreau fertile de haine pour arriver à un tel déchaînement de violence.

J'ai appris beaucoup de choses sur le plan historique et j'ai été surprise de voir à quel point le génocide juif s'était inspiré du génocide Arménien. Ça fait froid dans le dos. Je l'ignorais. Pire je ne savais rien de cette partie de l'Histoire.

J'ai beaucoup aimé l'absence de manichéisme chez l'auteur. Peut importe la nationalité, la religion, les croyances il nous montre à travers cette histoire qu'il y avait des hommes bons et des hommes mauvais dans les deux camps. Il nous montre aussi à quel point il est difficile d'aller à l'encontre des traditions, bien souvent celles ci se justifient par la religion donc s'y opposer revient à blasphémer. de même que s'opposer au pogrom fait de vous un ennemi de l'État et de dieu. Donc un homme à abattre.

Souvent l'Histoire nous raconte la guerre du début à la fin. Mais après ? Ces gens n'arrêtent pas de vivre. L'auteur prolonge son récit au-delà du génocide et évoque la vie des réfugiés. Cette succession d'abandon, de renoncement, de résilience, d'adaptation, de fuite en avant, de concessions, de recommencement et toujours derrière soit un avenir définitivement avorté. Une vie dont il a fallut faire le deuil. Un avenir volé, qui n'a pas pu être.

Mais ce livre c'est aussi l'histoire de plusieurs vies. Celles d'Araxie, Haïganouch, Agop, Haïgaz, et tous ceux qui croiseront leur route. C'est l'histoire de ces hommes et ces femmes farouchement décidés à vivre et pas seulement à survivre. Ce livre ce n'est pas que de l'horreur, c'est aussi des joies, des sourires, des larmes, des moments drôles, de la poésie. Il y a autant de lumière que de ténèbres dans ce livre que l'on referme avec un pincement au coeur.

Merci à ma copine Nico (NicolaK) de m'avoir fait découvrir ce livre.
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Quel fou tourbillon
de mort et de sang
de vie et d'élans
Quelle intense émotion
d'entrer dans ce roman
biographie aussi
de Patrick Manouckian!

Malgré les atrocités avérées ( l'auteur s'inspire des souvenirs de ses grands-parents), malgré la dure évocation du génocide arménien, je n'ai pas décroché de ce livre, tellement aspirée par le souffle épique, douloureusement humain qui s'en dégage.

Et quels personnages, les femmes surtout! Quel courage, quelle volonté de vivre, en dépit des souffrances physiques et morales! Araxie, Assina, l'une arménienne chrétienne, l'autre turque musulmane, devenues soeurs de coeur. Et l'ombre d' Haîganouch, la petite soeur perdue, poétesse de l'espoir.

de la Turquie au Liban, de la France à la Russie, l'auteur nous fait voyager dans les tourments de l'Histoire cruelle pour les peuples, nous étreint le coeur , tant nous sommes suspendus au destin de ces êtres malmenés, aux plaies vives, mais qui s'élancent, oiseaux bleus magnifiques.
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Je referme ce pavé avec nostalgie ; j'ai adoré.
Bien sûr le sujet est affreux, les premières pages du génocide arménien sont particulièrement difficiles et l'horreur de tout cela ne nous est pas épargné.
Pourtant suivre ces deux fillettes qui vont survivre miraculeusement après avoir vu leur mère massacrée devant leurs yeux a été une lecture lumineuse.
Il est question de lâcheté, de massacres, de tueries, de viols, de torture, de haine, de faim mais aussi de résilience, de solidarité, d'amour, d'entre-aide et de courage.
Cette saga est bouleversante, émouvante et parfois un peu joyeuse malgré tout.
Monsieur Manook, j'attends la suite !
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En faisant dire à l'un de ses personnages, «  Nous ne sommes que des fétus de paille pour ceux qui s'amusent à agiter les courants », l'auteur nous entraîne dans le tourbillon de l'histoire, celui de sa propre grand-mère qui a vécu dans sa chair la descente aux enfers de l'Arménie orchestrée avec cruauté par le gouvernement turc de l'époque.
La force de ce récit est de nous donner matière à réflexion sur cette période du XXème siècle. Avec le traité de Sèvres, l a Grèce, la France, le Royaume Uni et l'Allemagne, ont contribué à créer une situation qui contient dans sa logique le déplacement inexorable des populations, l'exacerbation du nationalisme turque et le sentiment d'impunité qui va avec.
C'est seulement avec Kemal Attaturk que les conflits ethniques prendront fin, mais le mal était déjà fait. Et même si le Président turc reconnait 800 000 victimes, il ne fait rien pour honorer leur mémoire.
Ces éléments historiques sont amenés avec justesse et pertinence via l'histoire d'un groupe de personnages que l'on a du mal à ignorer et à oublier.
Les victimes du génocide tout d'abord, les soeurs jumelles, Araxie et Haïganouch, leur grand-mère Gaïanée, jetées hors de leur maison et contraintes à rejoindre un convoi d'Arméniens expulsés. Dès lors elles ne sont rien que du bétail humain soumis au bon vouloir des soldats turcs censés "protéger" le convoi.
"Bientôt le chef des Kurdes (...) place quatre cavaliers sabre au clair à l'arrière de la colonne avec ordre de tuer ceux qui traînent. Les premiers à tomber (...) sont les enfants des femmes mortes."
Heureusement pour elles, les deux soeurs se retrouvent sous la protection d'une vieille femme, Chakée, qui se fait passer pour leur grand-mère.
Elles en sont réduites à "récupérer les graines mal digérées par les chevaux" dans "les crottins séchés au soleil"
Il y a ensuite ce capitaine kurde qui fait preuve d'humanité. Les pasteurs allemands qui prennent fait et cause pour les arméniens.
Puis, Agop et Haïgaz, les deux jeunes arméniens, assoiffés de vengeance qui vont croiser la route des deux soeurs.
Le récit se cristallise autour de l'histoire de ces quatre personnages qui vont se trouver confrontés à une question universelle, où se trouve la frontière entre le bien et la mal ?
Entre l'officier kurde qui laisse une chance aux deux jeunes soeurs et Agop qui tue froidement un marin turc alors que celui-ci était un Arménien voulant donner le change pour échapper aux gendarmes, où se situe cette frontière.
L'histoire de l'oiseau bleu est aussi l'histoire du XXème siècle et de tous les mouvements migratoires qu'il a connu, nombre d'entre eux échouant en France ou en Angleterre et constituent le fondement de notre histoire sociale et politique.
On va retrouver les deux soeurs et leurs deux compagnons en France, travaillant dans des filatures, participants aux mouvements sociaux et apportant leur culture à celles de leurs amis nouvellement trouvés.
Le roman raconte aussi L'histoire de la France, de ceux qui ont fait la France, les 1ères lignes, ouvriers, blanchisseuses, gueules cassées...
Les tubes des années 20 sont mis à l'honneur, les ouvriers des usines Renault aussi.
Les grands poètes russes Anna Akhmatova, Iossip Mandelstan, paradoxalement victimes du régime soviétique qu'ils ont défendus, mais aussi les militants communistes français remettant en cause la dérive de l'union soviétique, font aussi partie du récit.
L'auteur oppose souvent dans le développement du destin des personnages, leur humanité à l'idéologie quelqu'elle soit qui parfois est la négation de cette humanité.
La qualité de la narration, le style précis de l'auteur, les surprises et les rebondissements qui font croire aux destins croisés et aux destins maudits, des différents personnages et surtout le réalisme du récit qui ne tombe jamais dans le pessimisme, tout concourt à montrer la force de la vie au sein des événements les plus chaotiques et les plus noirs.
Quand la petite histoire rencontre la grande histoire, ou quand la petite histoire est la grand histoire.
Maintenant , il ne reste plus qu'à attendre le tome 2 de l'oiseau bleu.
Merci Ian Manook !

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l'Oiseau bleu d'Erzeroum de Patrick Manouchian alias Ian Manook nous invite à suivre l'histoire romancée de ses grands-parents et plus particulièrement celle de sa grand-mère, victime du génocide arménien alors qu'elle n'avait que dix ans...
Si j'ai suivi pas à pas les héroïnes et les héros de cette grande fresque épique qui balaie tout le 20ème siècle depuis le début de la 1ère guerre mondiale jusqu'aux portes de la Seconde, c'est avant tout grâce au talent de conteur de Ian Manook.
La scène inaugurale qui nous confronte d'emblée à l'horreur du génocide arménien est d'une violence et d'un suspense à couper le souffle. Et nous plongeons, haletants, dans la récit de la déportation qui va frapper deux soeurs, Araxie et Haïganouch, ainsi que tous les habitants d'Erzeroum, la petite ville où elles vivent en paix avec leur famille. Un exode forcé pour toute une population qui va connaître toutes les horreurs liées à un génocide programmé par Talaat Pacha, pour "la purification ethnique et confessionnelle de l'Empire". Rien ne leur sera épargné : déportations en train, massacres en masse, exécutions sommaires, abandon dans le désert de Deir-Ez-Zor. Une répétition générale, en quelque sorte, avant le génocide juif de la Seconde Guerre mondiale... Toute cette partie du roman mêle avec habileté et précision la petite histoire et L Histoire (avec un grand H). Les faits sont dits, dénoncés souvent au fil de dialogues et de confrontations entre les personnages qui se trouvent impliqués dans ce grand maelström. Ce qui fait que l'intrigue se complexifie très vite et nous invite à suivre de nombreux protagonistes notamment Christopher Patterson, représentant d'une association américaine et défenseur de la cause arménienne auprès de l'ambassadeur des Etats-Unis en Turquie. Un beau revers pour lui et une belle occasion pour Ian Manook de dénoncer le cynisme des grandes puissances plus soucieuses d'alliances de circonstances et d'intérêts géo-politiques que du droit des peuples à se défendre contre une extermination programmée. Nous découvrirons aussi Haïgaz et Agop, deux fedaïs - résistants arméniens - qui au fil du roman et après moult aventures, vont croiser le chemin de Araxie et Assina - une jeune turque devenue sur le papier la soeur de Araxie -.
Ce roman ne manque donc pas de rebondissements et les fils de l'intrigue se croisent avec bonheur au gré les lieux fort nombreux et des époques, pourvu que la lectrice ou le lecteur se laisse prendre au charme de retrouver un personnage que l'on croyait avoir perdu ou savoure la grande puissance d'évocation de certaines ambiances : celle de Smyrne "la cosmopolite", celles des grandes fêtes auxquelles vont se livrer Araxie, Assina (devenue Haïganouch), Haïgaz et Agop, installés en France au terme d'un long périple parsemé d'embûches et de souffrance... Un contrepoids solaire salutaire dans la deuxième partie du roman à l'évocation des massacres au début du récit.
Mais la dernière partie nous emmène également du côté du thriller politique avec cette fois la véritable Haïganouch, devenue une poétesse arménienne fort appréciée et qui vit dans une Arménie désormais communiste. Et c'est l'occasion pour l'auteur de nous donner à suivre, au gré d'un suspense haletant, Haïganouch et Plioutchkine, son amant, pris dans les rets de l'enfer stalinien, notamment au fil des agissements de la GPU (police secrète d'Etat). Là encore, l'ambiance oppressante de ce régime policier, friand de filatures insoupçonnées, d'interrogatoires musclés et de détentions arbitraires est extrêmement bien rendue.
Je me suis parfois un peur perdue dans les dédales d'une intrigue foisonnante et tortueuse. Mais me resteront en mémoire de très beaux personnages et aussi un épilogue qui m'a marqué tant il est poétique et porteur d'espoir...
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Un petit oiseau bleu tatoué entre deux doigts et me voilà, à tire d'ailes, partie loin très loin sous d'autres cieux parfois bleus, parfois beaux mais souvent vilains.

Il est parfois difficile d'exprimer son ressenti après une lecture et je ne saurais dire plus que les opinions exprimées ici . Que de belles critiques énoncées sous ce titre.

J'ai longtemps boudé Patrick Manoukian et tous ses alias. Ses romans policiers ou d'aventures ne me touchaient pas ou alors il y avait dans ceux-ci un traitement, une façon de dire qui m'énervait.

Et voilà que L'oiseau bleu d'Erzeroum me séduit et m'interpelle. L'auteur me présente ici une magnifique, inoubliable saga familiale, fresque historique romancée autour des souvenirs de sa propre grand-mère.
C'est le destin de deux petites soeurs - Araxie et Haïganouch - rescapées, mais non sans cicatrices, du génocide arménien et de leur destinée.

Et que sais-je de ce génocide? de cette horreur? L'auteur m'apprendra les déportations, les massacres, les tueries, les viols, la folie telle que l'histoire les relate. Parce que la réalité qu'il aurait pu décrire - mais qu'il n'a pas fait à la demande de son éditeur - allait bien au-delà de l'horreur qu'une fiction peut imaginer.

De 1915 à 1939, de la Turquie à la Sibérie, de l'Europe à l'Amérique, rien n'est oublié des enjeux politiques, sociaux, économiques, religieux, de l'est comme de l'ouest, de ces sociétés qui ont changé et qui ont bouleversé des vies.

De ce récit, j'ai retrouvé toute la sensibilité que seul bien souvent les gens ayant connu le pire possède. Je n'oublierai ni Araxie, ni Haïganouch. Au contraire, je poursuivrai la route avec elles dans le chant d'Haïganouch, elle qui sait si bien dire .
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Ian Manook fictionne ses racines. Celles de la famille Manoukian, ses grands-parents. Celles du peuple arménien aussi.

Raconter le passé à travers un récit romancé n'est pas chose aisée. le lecteur doit se retrouver dans l'équilibre recherché par l'auteur.

Au sortir de cette lecture, je peux vous assurer que vous n'en oublierez pas l'expérience.

Le 24 avril est la journée commémorative du génocide arménien perpétré dès 1915. Une tragédie trop peu connue, durant une période sombre de l'Histoire mondiale.

A cette époque-là, Araxie, dix ans, et sa petite soeur Haïganouch, six ans vont vivre l'enfer. L'aînée est la grand-mère de l'auteur. Deux gamines qui vont brutalement perdre leur innocence, comme des millions d'arméniens. Comme également Haïgaz, gamin des rues. Et d'autres personnages basés plus ou moins librement sur des personnes bien réelles. Ils sont plusieurs qu'on va suivre de près.

Les faits sont avérés, mais le livre est un vrai roman. Son souffle, porté par le réel, vous emportera. Vous brûlera aussi.

Les 60 premières pages sont terrifiantes. Épouvantables, au-delà des mots. Elles m'ont mis à terre, j'ai cru ne plus pouvoir me relever. Elles m'ont fait souffrir comme jamais en lisant un livre (et pourtant je suis un grand lecteur de romans noirs). La déportation vue de l'intérieur, au plus près, à travers ces deux gamines et leurs proches. L'horreur à l'état pur. Certaines scènes abominables resteront gravées en moi pour toujours. Inqualifiables et pourtant vraies.

Accrochez-vous, c'est un passage obligé pour comprendre. Et s'attacher « à la vie, à la mort » à ces personnages. Ils sont sublimes dans toute cette laideur, dignes face à toutes ces inimaginables ignominies. L'homme est pire qu'un animal, mais certains savent garder leur humanité. Il y a aussi de la lumière dans les ténèbres parfois, au bout de ces pages-là.

Ce récit est habité. Par des fantômes, des âmes, des émotions. Il a maturé durant 50 ans avant que l'écrivain ne nous le livre, et nous fasse vivre des sensations inoubliables. Qui viennent du coeur et des tripes.

De 1915 à l'avant de la seconde guerre mondiale, Manook nous conte une grande saga familiale, qui s'entremêle avec les soubresauts de l'Histoire. C'est un voyage auquel il nous convie, à la fois intérieur, mais aussi à travers le monde secoué par les conflits. La diaspora arménienne, son coeur et ses ramifications, pour survivre, juste vivre.

L'environnement est historique, riche d'enseignements, car bien intégré dans le récit. Je suis de ceux qui sont convaincus qu'on peut mieux s'imprégner de la réalité par la fiction. L'auteur nous en fait une magistrale démonstration.

Un roman qui raconte des destins extraordinaires, de personnes qui n'ont pourtant rien demandé, à part vivre. Parfois la folie de quelques hommes construit la bonne ou la mauvaise fortune de millions d'autres. Les plonge aussi dans des aventures humaines incroyables.

L'oiseau bleu d'Erzeroum tient donc autant du devoir de mémoire que du roman d'aventure familial. Des destins pour ne pas oublier, tirer les leçons et non pas nier. Oui, apprendre de ces femmes et hommes qui ne perdent pas espoir malgré les vicissitudes d'une existence tourmentée.

Ce livre est un enrichissement, autant émotionnellement qu'intellectuellement.

Par cette émotion qui pulse à travers des personnages mémorables et grâce à une écriture enlevée. Une plume alerte et expressive au possible. L'écrivain travaille sans plan, c'est bluffant, même si la construction du livre décontenance parfois. Mais c'est sans doute aussi ce qui fait que le récit pulse ainsi.

Ses lecteurs habituels ne doivent en aucun cas se détourner de cette fiction du réel. Bien au contraire, je suis convaincu qu'ils y trouveront tout ce qui leur plait chez l'écrivain jusqu'à présent, de manière exacerbée. Ceux qui le découvriront ne pourront que s'attacher à lui dorénavant. Ce livre est universel.

Ian Manook est un formidable raconteur d'histoires, même quand il exprime des faits authentiques. L'oiseau bleu d'Erzeroum est un roman tortueux, perturbant, mais surtout profondément humain malgré les atrocités qu'il décrit. Cette saga familiale est une lecture essentielle, qui reste gravée en nous.
Lien : https://gruznamur.com/2021/0..
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Je commence à découvrir l'oeuvre de Ian Manook non par ses polars mais par son cycle arménien, véritable ode à sa culture familiale, témoignage érudit de l'histoire du peuple dont il est issu, enfin poignant cri d'amour et d'attachement à ses racines profondes. Cette rencontre fut un vrai coup de coeur.

J'ai dévoré ce premier tome, aidée en cela par le style impeccable, le rythme enlevé, le lexique soigné, l'équilibre respecté entre dialogues et descriptions, le chapitrage cadencé. Les personnages que nous propose l'auteur - qui ne cache pas en avant-propos le filigrane autobiographique du récit - sont fascinants de par leurs personnalités et leurs parcours.

1915, Anatolie. La Turquie ottomane organise le génocide du peuple arménien et déporte tout un peuple pour le faire mourir de soif, de faim, d'épuisement et de désespoir dans les déserts levantins. Plus d'1,5 millions de victimes... parmi lesquelles Araxie, grand-mère de l'auteur, et sa jeune soeur Haïganouch. Les deux fillettes de dix et six ans voient leur monde basculer en quelques secondes. Enfin, seule Araxie peut voir les atrocités perpétrées autour d'elle puisqu'un coup de sabre kurde a rendu Haïganouch aveugle.

Le lecteur, lui, assiste à tout - et encore l'éditeur a mis son veto sur deux scènes de massacre. Les descriptions du génocide, de la violence militaire et politique, des exactions de tout ordre sont difficilement soutenables, et c'est comme un geyser qu'on ne peut arrêter et qui exige du monde une reconnaissance officielle - le génocide arménien n'étant pas encore reconnu universellement. Près de trente ans avant le traumatisme de la Shoah, le massacre ethnique des Arméniens fait pourtant l'effet d'un sel brûlant sur une plaie à vif. Rétroactivement.

Ian Manook explique que par ce cycle arménien, il souhaite retranscrire l'histoire de sa grand-mère déportée, léguée par tradition orale à ses descendants ; et au-delà de ce devoir filial, on ressent bien le besoin plus large d'un devoir de mémoire en quête de réhabilitation.

Je me suis énormément attachée aux personnages du roman et j'ai beaucoup appris sur l'histoire, la culture et le patrimoine arméniens. Je ne regrette pas une minute d'avoir entrepris cette lecture commune avec sylvaine, tomsoyer et catherineCM et il ne se passera pas longtemps avant que nous entamions le deuxième tome ; le temps, peut-être d'apaiser nos cauchemars...


Challenge PAVES 2023
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Génocide arménien, un roman d'autant plus violent que ce qu'il raconte n'est pas le fruit de l'imagination, mais repose sur des événements historiques.

Je connaissais le Ian Manook de Yeruldelgger, ses polars qui font voyager en Mongolie, en Amérique du sud ou en Islande. Mais c'est tout un tout autre registre, le périple des Arméniens emmenés dans le désert pour y mourir n'a rien de touristique. C'est plutôt l'horreur, les cadavres empilés au point de bloquer le cours de la rivière, les femmes violées et les enfants qui meurent de faim.

C'est l'histoire de deux petites filles, Araxie et sa soeur aveugle Haïganouch. Les fillettes seront vendues pour devenir les esclaves d'une petite Turque dont ils deviendront l'amie. Les soeurs seront séparées et Araxie s'enfuira avec sa maîtresse à la fin de la guerre, alors que sa soeur deviendra poète en Arménie soviétique. Avec la vie de ces réfugiées ballotées par l'Histoire, on observera aussi la montée du nazisme et du régime stalinien.

Une lecture éprouvante qui raconte comment des tyrans arrivent à transformer les frustrations d'un groupe en haine meurtrière. C'est arrivé en Turquie, en Allemagne (et à la fin du siècle au Rwanda…). J'ai toujours du mal à comprendre. Je conçois qu'un soldat qui se fait tirer dessus tire aussi sur son ennemi ou qu'on puisse appuyer sur le bouton pour lancer de loin un missile destructeur. Mais je trouve tellement désespérant qu'un homme puisse battre des enfants innocents, décapiter des hommes et violer des femmes…

Heureusement, le roman montre qu'il y a des bons chez les méchants, le médecin qui a recueilli les soeurs, l'officier turc ou le camarade russe qui leur viendront en aide. Il rappelle aussi que le mal engendre la vengeance qui donne raison aux bourreaux en une spirale infernale.

Une lecture éprouvante, oui. Peut-être suis-je une mauviette de m'attrister pour ces victimes du passé, mais j'espère ne jamais perdre cette sensibilité qui permet de considérer mon voisin comme un être humain et de voir des personnes souffrantes plutôt que des statistiques.
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