En faisant dire à l'un de ses personnages, « Nous ne sommes que des fétus de paille pour ceux qui s'amusent à agiter les courants », l'auteur nous entraîne dans le tourbillon de l'histoire, celui de sa propre grand-mère qui a vécu dans sa chair la descente aux enfers de l'Arménie orchestrée avec cruauté par le gouvernement turc de l'époque.
La force de ce récit est de nous donner matière à réflexion sur cette période du XXème siècle. Avec le traité de Sèvres, l a Grèce, la France, le Royaume Uni et l'Allemagne, ont contribué à créer une situation qui contient dans sa logique le déplacement inexorable des populations, l'exacerbation du nationalisme turque et le sentiment d'impunité qui va avec.
C'est seulement avec Kemal Attaturk que les conflits ethniques prendront fin, mais le mal était déjà fait. Et même si le Président turc reconnait 800 000 victimes, il ne fait rien pour honorer leur mémoire.
Ces éléments historiques sont amenés avec justesse et pertinence via l'histoire d'un groupe de personnages que l'on a du mal à ignorer et à oublier.
Les victimes du génocide tout d'abord, les soeurs jumelles, Araxie et Haïganouch, leur grand-mère Gaïanée, jetées hors de leur maison et contraintes à rejoindre un convoi d'Arméniens expulsés. Dès lors elles ne sont rien que du bétail humain soumis au bon vouloir des soldats turcs censés "protéger" le convoi.
"Bientôt le chef des Kurdes (...) place quatre cavaliers sabre au clair à l'arrière de la colonne avec ordre de tuer ceux qui traînent. Les premiers à tomber (...) sont les enfants des femmes mortes."
Heureusement pour elles, les deux soeurs se retrouvent sous la protection d'une vieille femme, Chakée, qui se fait passer pour leur grand-mère.
Elles en sont réduites à "récupérer les graines mal digérées par les chevaux" dans "les crottins séchés au soleil"
Il y a ensuite ce capitaine kurde qui fait preuve d'humanité. Les pasteurs allemands qui prennent fait et cause pour les arméniens.
Puis, Agop et Haïgaz, les deux jeunes arméniens, assoiffés de vengeance qui vont croiser la route des deux soeurs.
Le récit se cristallise autour de l'histoire de ces quatre personnages qui vont se trouver confrontés à une question universelle, où se trouve la frontière entre le bien et la mal ?
Entre l'officier kurde qui laisse une chance aux deux jeunes soeurs et Agop qui tue froidement un marin turc alors que celui-ci était un Arménien voulant donner le change pour échapper aux gendarmes, où se situe cette frontière.
L'histoire de l'oiseau bleu est aussi l'histoire du XXème siècle et de tous les mouvements migratoires qu'il a connu, nombre d'entre eux échouant en France ou en Angleterre et constituent le fondement de notre histoire sociale et politique.
On va retrouver les deux soeurs et leurs deux compagnons en France, travaillant dans des filatures, participants aux mouvements sociaux et apportant leur culture à celles de leurs amis nouvellement trouvés.
Le roman raconte aussi L'histoire de la France, de ceux qui ont fait la France, les 1ères lignes, ouvriers, blanchisseuses, gueules cassées...
Les tubes des années 20 sont mis à l'honneur, les ouvriers des usines Renault aussi.
Les grands poètes russes
Anna Akhmatova, Iossip Mandelstan, paradoxalement victimes du régime soviétique qu'ils ont défendus, mais aussi les militants communistes français remettant en cause la dérive de l'union soviétique, font aussi partie du récit.
L'auteur oppose souvent dans le développement du destin des personnages, leur humanité à l'idéologie quelqu'elle soit qui parfois est la négation de cette humanité.
La qualité de la narration, le style précis de l'auteur, les surprises et les rebondissements qui font croire aux destins croisés et aux destins maudits, des différents personnages et surtout le réalisme du récit qui ne tombe jamais dans le pessimisme, tout concourt à montrer la force de la vie au sein des événements les plus chaotiques et les plus noirs.
Quand la petite histoire rencontre la grande histoire, ou quand la petite histoire est la grand histoire.
Maintenant , il ne reste plus qu'à attendre le tome 2 de l'oiseau bleu.
Merci
Ian Manook !