AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,21

sur 338 notes
La Turquie, la montée de l'intégrisme et de la dictature d'Erdogan. C'est l'un des sujets de ce beau roman, écrit par Valérie Manteau, ex Charlie-Hebdo, qui sait si bien utiliser les mots pour parler aussi bien de liberté, de démocratie perdue que d'amour(s). C'est l'histoire d'une femme qui rejoint son amant en Turquie et c'est l'histoire d'une ville, Istanbul, qui vit, se bat et s'enivre de mille parfums, mégapole à la fois innovante et mélancolique. le sillon, ce sont des idées qui émergent au fil des pages, au-delà de la relation amoureuse, un livre à lire et relire pour y trouver de sombres et de joyeux messages.
Commenter  J’apprécie          140
Istanbul, belle et rebelle

Valérie Manteau creuse son Sillon. Après Calme et Tranquille, elle nous raconte la vie dans la capitale turque et enquête sur l'assassinat du journaliste arménien Hrant Dink. Pour la liberté.

Istanbul était déjà présente dans le premier roman de Valérie Manteau, Calme et tranquille. Sur le bateau qui traversait le Bosphore, la conversation tournait autour de la mort de Louise. Louise qui avait sauvé la vie de Valérie et qui venait de partir avant tous les amis et collègues de Charlie auxquels ce livre rendait hommage.
La capitale turque est cette fois au centre du livre. Un déplacement géographique qui nous offre une vision très différente du monde que celle vue de France.
Il est vrai que pour la narratrice son pays ne rayonne plus vraiment dans le domaine des arts et des idées, pas davantage d'ailleurs qu'elle ne défend son rôle historique de défenseur des Droits de l'homme.
Et même si ce n'est pas en Turquie qu'elle trouvera la liberté, on s'en doute, elle va pouvoir y trouver une belle énergie – peut-être celle du désespoir – et les bras d'un amant.
« L'Istanbul laïque se balançait entre deux bords et délaissait de plus en plus volontiers la rive nord du Bosphore, l'européenne engluée dans sa nostalgie, pour se saisir de l'asiatique où les cafés, les galeries, les tatouages fleurissaient. Les soirs d'été, la bière à la main, on s'installait sur les rochers de la promenade en bord de mer pour narguer en face, dans le soleil couchant, la vieille Byzance, Sainte-Sophie et la Mosquée bleue abandonnées aux touristes. On aurait dû se rappeler qu'ici parfois le ressac fait des dégâts. »
Dans le milieu artistique et intellectuel que la narratrice côtoie, la gymnastique quotidienne consiste à passer entre les mailles du filet, à éviter les intégristes autant que la police politique, à créer et à enquêter sans attirer l'attention. Comme par exemple sur Hrant Dink, journaliste assassiné dont elle a entendu parler par la diaspora arménienne et plus particulièrement par l'un de ses proches, le «Marseillais» Jean Kéhayan qui avait aussi collaboré à son journal Agos. « Agos, c'est le Sillon. C'était un mot partagé par les Turcs et les Arméniens; en tout cas par les paysans, à l'époque où ils cohabitaient. » Se sentant autant turc qu'arménien, il avait choisi de vivre et travailler à Istanbul, sans se rendre compte qu'avec son journal, il avait « ouvert la boîte de Pandore. Il n'était pas comme les autres Arméniens qui avaient vécu toutes ces années sans oser parler. Lui ne voulait plus être du peuple des insectes qui se cachent, de ceux qui ne veulent pas savoir. » Au fur et à mesure de ses recherches, la biographie du journaliste se précise autant que la lumière se fait sur les basses oeuvres d'un gouvernement qui entend régner par la terreur. Et y parvient. Car même les plus rebelles prennent peur, appellent à la prudence plutôt qu'à la révolution. Comment est-il dès lors possible de continuer à creuser son Sillon?
Si Valérie Manteau ne peut répondre à cette délicate question, son témoigne n'en demeure pas moins essentiel. Et éclairant. Car plus que jamais la Turquie, selon la formule de l'écrivain Hakan Günday, est «la différence entre l'Orient et l'Occident. Je ne sais pas si elle est le résultat de la soustraction, mais je sais que la distance qui les sépare est grande comme elle. Et dans cet intervalle, comme dans tous, prospère une troisième voie sans laquelle l'Europe ne serait pas l'Europe, et regarderait le Moyen-Orient comme un uniforme, illisible fatras. »
Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          313
*** Rentrée littéraire 2018 ***

Un très curieux objet de littérature, complètement hybride et l'assumant totalement, avec exigence.

A travers l'errance dans Istanbul de l'alter ego de l'auteure, le texte oscille entre l'auto-fiction, l'histoire d'une relation amoureuse avec un Turc ( pas les passages qui m'ont le plus intéressée ), le reportage documentaire radiographiant le milieu de l'intelligentsia progressiste malmenée par Erdogan et enfin la biographie d'un journaliste turc d'origine arménienne, Hrant Dink, assassinée en 2007 par un nationaliste de 17 ans. On passe de l'un à l'autre parfois dans la même page avec une liberté folle, un peu déconcertante au début avec un affranchissement des règles de ponctuation. Aucune entrave pour dépeindre la Turquie d'aujourd'hui.

Grande ambition que de relier l'intime à une vision politique d'une société donnée. Et cela fonctionne parfaitement ! C'est avec une sincérité totale que Valérie Marteau nous fait découvrir la Turquie actuelle à travers le prisme des intellectuels turcs cherchant à résister à la montée de l'intégrisme et de la dictature. Tout est dit avec beaucoup d'intelligence et de finesse.

La Turquie nous ressemble, nous dit l'auteure, ce n'est pas un exotisme à regarder de loin. Tous les Turcs que rencontrent l'auteure, journalistes, artistes, militants des droits de l'homme nous ressemblent tant dans cette France post attentats. Valérie Marteau est une ancienne collaboratrice de Charlie, justement. Chacune de ses réflexions en fait germer plein en nous. Les cinquante dernières pages sont remarquables d'intensité lorsqu'elle fait revivre Hrant Dink, assassiné peu de temps avoir été déclaré ennemi numéro 1 par Erdogan pour insulte à l'identité turque, en fait pour avoir évoqué le génocide arménien qui fait l'objet d'un négationnisme d'Etat inouï. Lorsqu'on suit Aslı Erdoğan, cette écrivaine militante des droits de l'homme emprisonnée en 2016 pour avoir soutenu la cause kurde.

Le Sillon, c'est la traduction de Agos, le journal tenu par Hrant Dink. Un sang impur abreuve nos sillons. Comme un fil terrible qui relie la Turquie et la France à l'heure des attentats. Valérie Manteau reprend le flambeau de cette liberté d'expression si chèrement défendue. Un sillon à tracer et tracer à nouveau, obstinément, malgré les vents contraires qui veulent tout emporter.

«  Les voix de la Turquie que j'aime ne parleront pas que dans ma tête » souhaitait Valérie Manteau en publiant cet ouvrage. Désormais, elles parlent aussi dans la mienne.
Commenter  J’apprécie          8711
Voyez-vous, je digère depuis une dizaine de jours les quelques graines semées en moi par le Sillon, deuxième roman de Valérie Manteau publié au Tripode. C'est un roman sur lequel il est dur d'écrire. Je suis rassuré, d'une certaine manière, à la lecture des articles rédigés par des journalistes : je ne suis pas le seul à qui le livre, dans son originalité, échappe. Indiscutablement, le Sillon semble se dérober à tout discours.

Rappelons brièvement que Valérie Manteau a notamment fait partie de l'équipe de Charlie Hebdo de 2008 à 2013. Les funestes événements de 2015 servent de point de départ à la réflexion de la narratrice sous la forme de l'interrogation presque provocatrice : « Qu'est-ce qui fait que la France est encore un symbole si important que le monde entier s'est levé pour Charlie » (p.21).
Le ton est donné car la narratrice est à l'instar d'Istanbul qu'elle parcourt : à cheval sur le Bosphore, entre l'Europe et l'Orient.

Tout au long du récit, accompagné de l'écrivaine et de la narratrice, binôme indivisible, j'ai eu l'impression d'être immergé dans la ville, dans ses splendeurs comme dans ses misères. Un sentiment justifié par la nécessité de l'écrivaine à trouver le mot juste afin de peindre le plus explicitement possible l'Istanbul d'aujourd'hui et par là, la Turquie. Nous avons pour la plus part une vision assez floue de ce pays souvent limité dans notre imaginaire à la mosquée Sainte-Sophie, au génocide arménien et au régime de Recep Tayyip Erdoğan qui dérive dans un despotisme de plus en plus marqué. Abreuvés par les nouvelles qu'on nous donne, d'ailleurs souvent imprécises, nous nous construisons une image mentale faussée de l'actuelle Turquie. La force du Sillon, c'est de savoir mettre en exergue, par le prisme d'une histoire d'amour entre la narratrice et son amant turc à Istanbul, l'ambivalence de la Turquie, ses contradictions et l'impuissance de sa jeunesse face au verrouillage politique, notamment depuis le coup d'état de 2016. Cette histoire d'amour va servir d'approche et de confrontation entre deux cultures.

Le discours s'engage très vite sans oublier pour autant la construction autofictionnelle du récit. Cependant, l'ouvrage mêle aux péripéties de la narratrice, les souvenirs d'un personnage aux allures de fantômes : Hrant Dink, un journaliste turco-arménien assassiné en pleine rue par un jeune nationaliste turc en 2007 devant les bureaux de son journal, Agos (vieux mot turc et arménien qui signifie le « sillon ») dans l'indifférence presque générale. le récit s'applique alors à retracer, sous la forme d'une enquête journalistique, les moments clés de la vie de Dink et d'interroger sa mort. L'homme devient l'un des personnages clés et justifie à la fois les déambulations et les engagements de la narratrice. S'il s'agit d'un ouvrage en grande partie politique n'oublions pas pour autant le regard plein de dérision qui parcourt l'ouvrage. La narratrice relève ses propres failles : son incapacité à prononcer convenablement les mots et noms turcs, l'incongruité de certaines situations plutôt cocasses (je pense notamment à son errance dans le cimetière arménien alors qu'elle cherche la tombe de Dink) et ses mots acérés envers les occidentaux qui viennent en Turquie parce que les implants capillaires sont moins coûteux. N'oublions pas, non plus, les personnages hauts en couleur qui l'accompagnent et participent à son quotidien stambouliote.

C'était en 2007, donc. Dix ans après, Aslı Erdoğan, écrivaine devenue l'une des figures de l'opposition à cet Erdoğan antagoniste et qui était l'un des rares soutiens de Dink alors qu'il était persécuté, subit aujourd'hui l'exil après avoir supporté durant plusieurs mois les prisons et les procès turcs. Aslı Erdoğan, croisée au détour d'une rue, devient personnage de roman : fiction et réalité se mêlent ainsi intrinsèquement et confère de fait au roman la valeur du témoignage.
La narratrice assiste aux procès, se mêle à une jeunesse turque à la fois révoltée et démobilisée. Face à cette réalité, le souvenir de Hrant Dink la hante et la heurte comme pour interroger en écho le silence quasi général de la communauté internationale après le meurtre du journaliste. N'est-ce pas pourtant pour ces mêmes raisons que l'on s'est mobilisé après les attentats de Charlie Hebdo ou que l'on soutient aujourd'hui des écrivains comme Aslı Erdoğan ?

Agos ou le Sillon, c'est donc cette trace laissée à la surface d'un champ après le labour. Cela implique de remuer. Merci à ce livre d'avoir le courage poétique de remuer son lecteur, de le confronter à la Turquie complexe d'aujourd'hui, d'en rappeler la nature hybride tant orientale qu'occidentale qu'Istanbul plus que tout autre ville au monde représente. D'oser aussi sortir le lecteur de son confort et d'interroger les injustices et les contradictions silencieuses de notre temps.
Lien : https://lisezvoir.wordpress...
Commenter  J’apprécie          140
Le Sillon, c'est le nom du journal, Agos, fondé par le journaliste Turco-Arménien Hrant Dink, assassiné en 2007.

Le sillon, c'est celui que trace Valérie Manteau, celui de la résistance et de la liberté.

Dans Istanbul, où elle rejoint l'homme qu'elle aime, la narratrice, double romanesque de l'auteure, croise les figures de la résistance, ses hommes et ses femmes de culture, opposant(e)s au régime ubuesque d'Erdogan.

C'est touchant et révoltant à la fois. Touchant par la sincérité de la narratrice dans ses relations avec la ville et ses habitants. Révoltant par l'inertie générale qui conduit le pays dans les mains d'un mégalomane fou furieux.

La narratrice s'attache donc à la figure de Hrant Dink dont elle veut raconter l'histoire, celle de son engagement pour la paix.

Nous la suivons et découvrons Istanbul dans une joie chaotique et survoltée, avant que le pays chavire. Cette charnière dramatique accompagne sa relation amoureuse qui se délite au rythme de l'effrayant basculement de la Turquie vers le régime dictatorial qui entend faire taire tous ceux et toutes celles qui voudraient lui résister. Procès, exil, mort.

L'écriture de Valérie Manteau est fluide, nous dit l'urgence et l'engagement.

Elle dit aussi la colère et la révolte.

Profondément touchant, ce livre nous conte notre époque. Il fait écho, en cette rentrée littéraire, au recueil de nouvelles paraissant chez Emmanuelle Collas, écrit par Salahattin Demirtas, opposant à Erdogan, actuellement emprisonné.

Le Sillon est un magnifique hommage aux esprits libres, de Turquie et d'ailleurs, et l'un de mes gros coup de coeur de la rentrée.
Lien : https://bonnesfeuillesetmauv..
Commenter  J’apprécie          90
Valérie Manteau s'attaque avec ce roman à la dictature en Turquie, qui cherche à se masquer derrière des bonnes paroles. Mais les faits sont là, des gens meurent.
Hrant était un journaliste arménien, il a été assassiné pour ses idées pacifiques et démocratiques. La narratrice veut retracer sa vie dans un livre et pour ce faire elle rencontre des personnes qui l'ont connu, de près ou de loin. Installée à Istanbul, elle nous décrit ses recherches au fil de ses promenades dans une ville où le conflit fait rage. Naviguant entre la partie européenne et la partie asiatique, nous la suivons et tremblons avec elle lors des attaques. Si Hrant est un nom qui ne résonne pas énormément chez nous, Aslı Erdoğan est plus connue. Elle doit faire face aux mêmes accusations et la narratrice la soutient dans son procès.
Ce roman est émouvant dans sa retranscription de la vie à Istanbul, une vie que la plupart des gens souhaitent simple et heureuse. le café, les balades à moto, les rires avec ses amis. Pourtant la milice rôde. Et les frissons avec.
L'autrice ne cache pas son ressentiment envers le régime d'Erdoğan. Tout transparaît dans son style très libre, dont une certaine violence. La narratrice nous livre ses pensées sans forcément construire une logique, tout comme il n'y a pas de logique dans la politique turque. Tantôt précise, tantôt vague, et les mots viennent comme si elle parlait lors d'un entretien, un tête-à-tête intime.
Lien : http://voulezvoustourner.blo..
Commenter  J’apprécie          60
Valérie Manteau nous délivre, pour cette rentrée littéraire, son deuxième roman paru aux éditions le Tripode : le Sillon ; ou l'expression des voix.
Cette oeuvre hybride, tantôt teintée de réalité tantôt enveloppée d'une bribe fictive, est une parfaite maitrise de finesse et d'impact. Sous le point de vue d'une journaliste trentenaire qui part retrouver son amant à Istanbul, nous découvrons l'histoire d'un pays souvent mal ou méconnu. La part accordée au fictif qui passe par un « je » permet de mettre en scène à travers les yeux d'un personnage français, l'ignorance que l'on peut avoir sur la culture turque, sur ce que représente le pays et la minorité arménienne qui y vit. Entre fiction et réel, le lecteur est amené à observer la passerelle entre les attentats de Charlie survenus en France et l'histoire turco-arménienne de Hrant Dink. Le destin de ce journaliste arménien - qui passe au fil des pages aux premiers plans du roman - offre une véritable opportunité à l'auteure de transmettre et d'évoquer de multiples sujets et de faire écho à de nombreuses voix. La voix d'une jeunesse locale atteinte d'une dépression nationale, la voix d'intellectuels déchirés par la souffrance du monde et de leur pays et emprisonnés pour avoir exprimés leurs opinions sur une patrie vacillante dans ses décisions qui se meurt chaque jour un peu plus. Des références délicates et incisives qui ne manquent pas de faire réfléchir et bousculer les consciences à propos de la liberté d'expression, d'une échappatoire démocratique possible selon les intellectuels par une ouverture au multiculturalisme et une coexistence des différences ; tout en défendant l'idée de ne pas s'enfermer dans ce « relatif confort identitaire » qui exclut les minorités. le Sillon est un appel à la liberté et à la paix, aux choix que l'on décide de faire – rester ou partir, parler ou se taire… Il dévoile de manière intime et à la fois suffisamment distancée, la problématique du nationalisme, de la peur et l'insécurité avec des métaphores pleines de sens comme « l'inquiétude de la colombe », oiseau si fort et si fragile, symbole de paix qui reste craintif mais avant tout libre.
Valérie Manteau parvient au travers de ce magnifique roman à nous faire basculer dans le sillon de sa plume littéraire si belle et pleine de sens.
Commenter  J’apprécie          70
Je n'arrive pas encore bien à mettre par écrit les mots pour le dire !
Ecrire comment on est avant, pendant et à la fin de cette lecture !
Comprendre encore mieux à la fin de la lecture pourquoi les éditions le Tripode ont fait le choix de ne sortir que ce titre pour la rentrée littéraire ; et lorsque l'on reçoit avec le livre la lettre qui l'explique et la liste des livres décallés, paf, la claque est plus grande encore !
Les mots de Valérie Manteau sont sur les tables des libraires, sont sur les tables aussi de la librairie dont je suis une moitié et attendent presque calmes et tranquilles leurs futurs lecteurs ; presque parce que la libraire ne peut en parler calmement, elle cherche encore ses mots donc mais surtout ils lui viennent dans un désordre sincère, et convaincu qu'elle ne pourra pas en parler sans chair de poule !
A très vite promis pour une critique plus structurée...ou peut-être pas mais en tout cas, des mots pour essayer de partager avec vous !
Commenter  J’apprécie          162



Autres livres de Valérie Manteau (1) Voir plus

Lecteurs (755) Voir plus




{* *}