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sur 338 notes
Un livre atypique, j'ai eu bien du mal à le cerner. Pour faire simple, hormis les errances dans Istanbul je n'ai pas trouvé beaucoup de plaisir à lire ce roman. Certes, je suis certaine qu'il y a matière à réflexions, mais je pense que le moment ne s'y prêtait pas. J'ai chois ce livre par échos positifs, hélas le mien sera modéré voir palot.
Trop politique, trop de sujets qui nous blessent en permanence, je n'avais pas envie réellement de me plonger dans ce genre de lecture.
Le style est parfois intéressant parfois déroutant. Peut être que l'auteure est encore entrain de se chercher.
J'attendais beaucoup plus avec le sillon, voilà, c'est toujours comme ça, quand on espère, on déchante quand le rendez-vous est manqué.
A une autre fois peut être.
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« le sillon » de Valérie Manteau a remporté le prix Renaudot 2018. Pari gagné pour le Tripode qui en août, sur une pleine page du magazine Livres Hebdo consacré à la rentrée littéraire, annonçait sa décision de ne publier ‘QUE' ce livre en septembre ! Il s'agit pourtant d'un récit déroutant, à la frontière entre l'auto-fiction et le récit documentaire, à la fois témoignage intime et plongée sans compromis au coeur de la Turquie d'hier et d'aujourd'hui.
Un peu par hasard, pour retrouver son amant turc, une jeune française se retrouve à Istanbul en 2015. On la suit dans ses déambulations, ses rencontres; on partage son étonnement, ses déconvenues; on comprend son besoin, parfois, de prendre le large. Progressivement un sujet pour un prochain livre s'impose à elle: elle découvre le destin de Hrant Dink, journaliste d'origine arménienne assassiné en 2007 devant le siège de son journal, ‘Agos', un mot à la fois turc et arménien qui veut dire ‘sillon'.
Membre de l'équipe de Charlie Hebdo, traumatisée après les attentats de janvier 2015, Valérie Manteau a décidé de partir en Turquie, pour, selon ses propres termes, ‘se décentrer'. On ne s'étonnera pas alors que la vie de Hrant Dink trouve un écho profond en elle, dans la mesure où l'assassinat de Dink et l'attentat contre Charlie présentent des similitudes troublantes (ainsi, lors des funérailles de Dink en 2007, 100 000 personnes manifestaient aux cris de ‘Nous sommes tous des Hrant Dink' – et en 2015, nous étions tous ‘Charlie'). S'instaure alors un réseau de passerelles entre la France et la Turquie d'aujourd'hui, elle-même reliée à son passé, mais aussi entre les réflexions d'une jeune femme confrontée au choc des cultures et les grands évènements qui font l'histoire de ces dernières années.
Il faut accepter de se perdre un peu dans ce livre, à l'instar de la narratrice qui n'a pas de repère dans cette ville, ni dans cette société turque en permanente évolution. On ne connaît pas tous les noms cités, et ce n'est pas si grave, puisque le message passe; Valérie Manteau nous ouvre la porte sur cet ailleurs au confluent de l'Europe et de l'Asie, nous invite à ouvrir les yeux sur les dérives d'un état qui peu à peu gomme la liberté d'expression, et enferme les opposants.
L'écriture est hardie, le récit au présent comme écrit dans l'urgence du moment, faisant fi de la ponctuation, multipliant les ellipses et les changements de perspective. Mais son ton reste plein d'humilité, son regard presque naïf et en tous cas toujours dans l'empathie. Si certains passages sont durs, voire anxiogènes, des respirations régulières nous sont offertes par des traits d'humour – souvent noir -, l'humour ‘politesse du désespoir' comme le notait fort justement Chris Marker. Pour la suite, cliquez sur le lien !
Lien : https://bit.ly/2UjYhqL
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C'est l'histoire d'une femme qui va rejoindre son amant à Istanbul et découvrir l'assacinat d'un journaliste arménien pacifiste. Elle va essayer de comprendre, d'écrire, de se positionner pour des causes qu'elle croit juste mais c'est sans compter sur les lois dictés par un état inflexible. Entre l'histoire d'amour de cette journaliste et la situation politique de la Turquie, nous allons nous interroger sur les injustices de ce pays où l'état régente tout. La narration est brute, ce qui en fait un récit dur. L'auteur y parlera notamment des rapports Arménie-Turquie qui sont difficiles et nous amènera à réfléchir sur ce conflit géo-politique. Un livre à mettre dans les mains des plus engagés.
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Ce livre marche sur 2 jambes, la jambe romanesque et la jambe journalistique. Aucune des 2 ne m'a plu et j'ai lâché le livre vers la 100ème page.
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Avant même le Renaudot, j'avais décidé de lire "Le sillon", en apprenant que le roman se passait à Istanbul (j'aime tellement cette ville que Guillaume Musso et même Christine Angot pourraient m'avoir comme lecteur s'ils choisissaient d'y situer un livre), et accessoirement parce que j'aime bien les livres des éditions le Tripode, qui font un travail formidable.
C'est une lecture que j'ai faite le plus souvent sans déplaisir.
j'ai aimé ces quelques jours passés en compagnie de la narratrice, une Française partie vivre sa relation quelque peu chaotique avec son amoureux, un jeune Turc - ou plutôt un Turc jeune - déçu par la révolution avortée de Gezi. Sur place, elle va s'intéresser aux autres mouvements contestataires de l'histoire de la Turquie, et décide de consacrer un livre à Hrant Dink, héraut de la défense des droits de la minorité arménienne (assassiné en 2007 par un nationaliste énervé).
J'ai aimé parcourir avec elle les rues d'Istanbul, prendre des thés et des bières en discutant avec ses compagnons - une sympathique bande d'opposants squatters et de sans-papiers rebelles (ou l'inverse). Elle vit son histoire d'amour un peu difficile tout en réfléchissant à l'après-révolution, en commentant ce qu'elle perçoit de la France, les malentendus mutuels, les rendez-vous ratés entre Orient et Occident (alors que quiconque vit là-bas passe périodiquement de l'Europe à l'Asie et vice-versa).

Je pourrais arrêter là ma recension et m'abstenir de dire ce qui m'a agacé, en me contentant de renvoyer aux nombreuses critiques qui n'auront pas manqué d'en dénoncer les travers.
Or, je m'aperçois que personne dans la presse, je dis bien personne, n'a émis la plus petite réserve vis-à-vis du roman, apparemment auréolé d'un formidable a priori favorable et immunisé du moindre reproche par le fait que Valérie Manteau est une journaliste qui a fait un passage par la rédaction de Charlie Hebdo entre 2008 et 2013. Mais désolé, ça ne m'empêche pas de trouver des défauts à son bouquin...

Voici donc, en vrac, mes motifs d'agacement
lire la suite sur...


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C'est très émue que je referme le livre de Valérie Manteau sur cette phrase « le Sillon est dédié à ceux dont l'absence et le souvenir résonnent entre ces lignes ».


Pourquoi suis-je autant concernée par ce pays aux faux airs de Titanic pour paraphraser Valérie Manteau. Ce n'est pas la Turquie en particulier mais c'est plutôt le symbole qu'elle représente aujourd'hui à mes yeux, celui d'un pays qui meure de la perte de sa liberté d'expression voire de sa liberté simplement et c'est cela qui m'oppresse. le sang qui circule dans mes veines charrie la mémoire d'une partie de mes grands-parents qui ont vécu une communauté de destins avec les arméniens, les kurdes, toutes ces minorités qui ont été injustement maltraitées, humiliées, anéanties. La Liberté est un trésor à nul autre pareil et la chanson « Diégo » de Michel Berger me vient en mémoire.

Et puis, restent gravés les instants douloureux, les images en direct de l'attentat de Charlie que je retrouve en filigrane dans ce livre comme ceux de l'aéroport Ataturck , la boîte de nuit Reina ou encore celui d'Ankara lors d'une manifestation.

Le 11 janvier, nous avions défilé aux côtés des kurdes. Je n'ai rien oublié, Charlie, le Bataclan, Nice, le père Hamel. A la lecture de ce livre, tout remonte, s'entremêle, pour donner à cette lecture une multitude de pistes de réflexions toutes aussi essentielles les unes que les autres.

Valérie Manteau met en scène une jeune femme, la narratrice, écrivaine en mal d'inspiration, partie à Istanbul rejoindre son amant, et qui à travers ses relations, ses balades stambouliotes, nous offre une photographie de la Turquie d'aujourd'hui. A travers ses déambulations, elle va trouver le sujet de son livre en découvrant la figure importante de Hrant Dink, journaliste turque d'origine arménienne, athé, assassiné en 2007 devant son journal « Agos » et dont la voix continue de résonner en Turquie. Elle retrace ainsi la vie de cet homme, journaliste délinquant aux yeux du gouvernement turque, cible des nationalistes et qui n'hésitait pas à écrire sur le génocide arménien.

Agos, le journal de Dink, signifie le Sillon, c'était un mot partgé par les turcs et les arméniens en tout cas par les paysans à l'époque où ils cohabitaient.

Que ce soit les assassinats de Hrant Dink, Tahir Elçi, ou l'emprisonnement de tous ceux qui veulent résister, se battre pour continuer d'écrire, de penser, Valérie Manteau sait leur redonner la parole et souligner à la fois la défaillance des autres nations devant les exigences de la realpolitik et la difficulté de lutter contre un président qui contrôle tout un système judiciaire, les médias, alors qu'un simple tweet peut vous envoyer en prison. Les individus finissent par avoir peur de parler, même de penser, et parviennent à se méfier de leur ombre. Valérie Manteau dépeint très bien cette chappe de plomb qui étouffe la Turquie.

Il faut lire le chapitre relatant le procès d'Asli Erdogan et de Necmiye Alpay, c'est effrayant et très instructif sur la dérive du système judiciaire.

Page 256 :

résonnent les mots d'Asli, dans le New Yorker, « Que ca vous plaise ou non , je suis la Turquie. Que vous l'acceptiez ou pas, nous les journalistes, les écrivains, sommes le langage et la conscience de ce pays » ou encore « je vais me défendre comme si le droit existait encore ». « le silence même n'est plus à toi », ce livre, écrit par cette femme très engagée et courageuse, en dit long sur la vie quotidienne en Turquie.

C'est une lutte permanente comme pour Elif Safak, Orhan Pamuk, le droit ne vaut plus rien.

Valérie Manteau parvient très bien à faire ressentir cette crainte diffuse qui intoxique l'atmosphère d'Istanbul depuis la contestation de la place Taksim en 2013 et qui s'aggrave jusqu'au coup d'état militaire de 2016 où les conséquences sont très bien restituées.

Je reconnais que Valérie Manteau a choisi un style de narration qui déroute au début de la lecture et qui peut malheureusement en décourager plus d'un. Il faut parvenir à cerner son système d'écriture rien que pour lire les derniers chapitres qui sont remarquables.

J'attendais la sortie de ce livre témoignage. L'écriture m'a touchée, émue. J'ai réussi à dépasser la forme pour ne m'interesser qu'au fond qui est un instantané de la Turquie. J'ai une pensée pour mes amies ou amis turques, arméniens, kurdes et pour l'un de mes acteurs fétiches, Tchéky Karyo.
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Une jeune femme un peu paumée vient vivre à Istanbul afin de poursuivre une liaison plutôt improbable avec son amant turc. Mais au fil de son errance dans la ville, elle se glisse peu à peu dans les pas de Hrant Dink, journaliste turc d'origine arménienne, abattu en 2007 par un nationaliste turc de 17 ans.
Fondateur du premier journal bilingue turc-arménien "Agos", Hrant Dink fut le porte-parole le plus emblématique de la cause arménienne en Turquie, un profond humaniste, défenseur actif de la liberté d'expression.
Le roman revient sur son histoire jusqu'à prendre par moments des allures de documentaires. La narratrice mène son enquête, décrit les événements chaotiques qui ont marqué ces dernières décennies dans ce pays décomposé, qu'elle essaie de comprendre. Attentats, parodies de procès, manipulation et duplicité de l'état turc et puis surtout cette peur constante… le dernier éditorial de Hrant Dink avant de mourir s'appelait "le coeur inquiet des colombes". Et l'auteur que je cite de rappeler que : "les contes turcs commencent par la formule 'il fut, il ne fut pas', ça donne une idée du bouillon d'insécurité dans lequel baignent les rêves dans ce pays."
J'ai adoré cette plume tranchante et pertinente. D'autres passages sont tout simplement bouleversants de grâce et de poésie. Et au coeur du tragique toujours, des touches d'humour lumineuses.
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Prix Renaudot 2018, en plus de belle allure esthétique, ce roman est une grande chance (méritée) pour les Edts Tripode qui ne présentaient qu ‘un seul roman pour la « rentrée ».
Bravo.
le Sillon est au départ de ce roman le nom d'un journal »Agos » , et la narratrice creusera le sien, loin de la France et des attentatsde 2015.
Elle part en Turquie rejoindre son amant qui se fiche d'elle comme de sa première chemise, elle traîne avec elle une sensibilité d'écorchée, (elle a travaillé chez Charlie) , et s'intéresse au destind'un d'Hrant Dink, journaliste d'Argos , militant de la Paix, assassiné en 2007 par un nationaliste.
C'est l'occasion pour V.Manteau, de disséquer les rapports si douloureux Arménie-Turquie, et de voir évoluer la Turquie d'Erdogan. Tout cela avec mélancolie, légéreté et insouciance perdues.
On la voit promener son chagrin dans les rues d'Istambul et sur les rives du Bosphore.J'ai aimé ce style, même si par moments cette écriture post-traumatique comme dans « Le lambeau »pourrait aussi atteindre le lecteur.
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20/11 : Midi. Il est dans ma boîte aux lettres. Très vite dans mes mains. Je picore plus que je ne mange et commence à lire : Istanbul, la place Taksim, le parc Gezi, Recep Erdogan et la démocratie étouffée dans la violence, la guerre, les réfugiés à la frontière... Je pars travailler sur ces derniers mots "les turcs, les Kurdes, les Syriens, les travailleurs pseudo-humanitaires, ils peuvent tous crever dans leur croissant fertile de merde : cette terre est maudite, sauve qui peut."
Mais pour aller où, Sara ?
22h00 : Je sais que ce n'est pas raisonnable, mais je le reprends et continue à lire. "Que peut-on faire pour la liberté, pour l'art, pour l'amour ? C'est une question simple, non." Je suis les pas de Valérie Manteau, son style me surprend. Je bute sur les phrases, ne sais pas toujours qui parle, je repars en arrière, reprend ma lecture, j'essaie de ne pas les perdre, ces petites voix qui s'entremêlent, s'entrechoquent. Et puis, très vite, c'est là ! Ce rythme, cette respiration. Je marche maintenant côte à côte avec elle. Nous partageons la même foulée, dans les rues d'Istanbul qui nous conduisent au Muz, dans les escaliers qui mènent à son appartement, celui de son amant turc.

Je ne sais toujours pas comment prononcer Hrant. "Des phrases de lui, tracées dans de la terre pigmentée d'Anatolie." Je l'imagine, cette femme, mouvements amples et lents, la tête haute, déterminée à ne rien lâcher. Car céder, c'est mourir encore un peu...
Je m'arrête sur l'origine d'un slogan politique que j'exècre "Tu l'aimes ou tu la quittes". "De quelle tombe crois-tu que Sarkozy a exhumé ce refrain ?" Et c'est déjà le petit matin. Je m'endors en colère...

21/11 : Quelques pages au petit déjeuner avant d'aller bosser. Et ce repas entre collègues à midi, où je leur parle de Sarko, du slogan, du karcher... et tout le monde s'en fout ! L'indifférence, c'est ce qui nous perdra. Tous !
Rentrée tard ce soir, mais pas prête à le lâcher, je reprends le sillon. "Tu vas écrire sur Hrant alors ? (...) Si tu veux mon avis (je fais non de la tête) tu n'as pas besoin de ce détour pour comprendre ce qui nous arrive, tu pourrais aussi bien le voir directement. Au lieu de quoi tu ajoutes des écrans de morts aux vivants pour te planquer, tu n'iras nulle part avec tous ces boulets au pied. Mais précisément, je dis, je ne veux aller nulle part. Je reste ici."

Je reste aussi. Bien planquée dans ma petite vie... mais je te suis. Ton indignation est la mienne : Anna, cette petite robe jaune fluo. Je la porte aussi, elle gonfle et gronde. "il gueule d'un coup très fort, fous le camp maintenant, tu ne comprends rien et tu ne nous aides pas."
Comprendre, j'essaie. Mais c'est pas simple, vu d'ici. Merci à toi, Valérie, de me parler de là-bas, comme personne encore ne l'a fait...

22/11 : "Mais pourquoi tu vas raconter tout ça ?" Tu écris comme on appelle un soir de panique face au drame - cette liberté qu'on emprisonne, ces vies qu'on écrase - lucide et claire, pour que je puisse comprendre - attraper cette main tendue - mais avec cette voix saccadée du souffle coupé. L'émotion. Valérie, tes phrases sont des respirations. Une urgence de dire et de donner à entendre. Mais que nous sert d'entendre si nous ne savons pas écouter ?
Je veux retenir tous ces noms, ces anonymes, ces écrivains, ces journalistes, qui résistent et tremblent. Asli et tous les autres...
J'arrive sur les dernières pages.

Ne plus pouvoir lire
La gorge serrée
Mais continuer à écrire

23/11 :

Hrant Dink. "Mort assassiné par balle le 19 janvier 2007 devant son journal, Agos, à Osmanbey, quartier animé de la rive européenne d'Istanbul. Abattu par un jeune nationaliste de dix-sept ans qui a voulu débarrasser le pays de cet insolent Arménien, "l'ennemi des Turcs"."

Les mots suffoquent-ils
encore sur le papier froissé ?
Lien : https://page39web.wordpress...
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Il y a des lectures qu'il faut laisser mijoter comme un bon petit  plat, pour que la sauce soit plus onctueuse, le parfum plus envoûtant , le goût plus subtil...

J'aurais bien attendu encore un peu avant de me prononcer sur le Sillon, mais je crois qu'à force d'en discuter autour de moi- y compris, par écrit,  avec certain(e)s d'entre vous- je me suis fait une opinion.

Le sillon est un livre déroutant, complexe.

Qui nous capte autant qu'il nous perd, et nous séduit autant qu'il nous agace. Voilà un sillon qui n'a pas fini, pour ma part, de creuser sa trace dans ma mémoire de lectrice. de m'interroger, de me déranger, de me surprendre. de me faire réfléchir.

Le sillon est un livre terriblement attachant.

Lecture exigeante mais riche, et, derrière un air un peu foutraque et faussement brouiĺlon, c'est une vibrante incitation à sortir de nos ..sillons tout tracés - en particulier quand il s'agit d'appréhender une réalité politique et culturelle qui nous est étrangère.

Je résume à grands traits le sujet: une jeune journaliste française, l'auteure elle-même, ex collaboratrice de Charlie, quitte, en 2015, la France et ses attentats , pour aller se réfugier et se changer d'air...en Turquie, dans la belle ville d'Istanbul,  dont elle est aussi amoureuse qu'elle l'est de son  amant turc.

Elle a déjà à son actif nombre de séjours dans la ville, y connaît et fréquente beaucoup d'intellectuels, d'artistes, de journalistes et parle un peu leur langue. Elle a le projet d'écrire un livre sur Hrant  Dink, un journaliste turc d'origine arménienne  assassiné,  en 2006, par un jeune nationaliste.

Mais en 2016, la menace de l'Etat islamique,  toute proche, favorise la montée de l'islamisme radical dans une Turquie autrefois laïque, donnant à  la dictature  de Recep Erdogan le prétexte rêvé pour refermer inexorablement son étau sur toute velléité de démocratie .

Par ces temps troublés, Hrant Dink, une grande figure dans son pays,  est devenu une véritable  icône de toutes les promesses de cosmopolitisme, d'ouverture, d'émancipation, de vivre-ensemble de toutes les communautés - juive, kurde, arménienne, chrétienne, musulmane-  d'acceptation de la  vérité historique -le génocide arménien-  d'indépendance  journalistique et de libertés individuelles - toutes promesses que les  arrestations arbitraires, la surveillance policière, l'omniprésence de l'armée , la  censure absurde et des procès iniques  semblent avoir définitivement écrasées.. .

Voilà pour le climat. ..on conviendra que comme changement d'air celui qui souffle à Istanbul dans ces années-là n'a rien à envier à celui de  Paris ou de Nice..

Et pourtant...au Muz -journal satirique aujourd'hui disparu- , ou dans les quartiers grouillants d'animation et de vie de Kadiköy, vrai microcosme de l'agitation intellectuelle , les échanges, les rencontres, les actions,   tout laisse penser qu'Istanbul a de la vitalité et de l'insoumission à revendre...et qu'on est loin de l'avoir mise à terre...

Notre narratrice s'y faufile, dans ces quartiers,  comme une anguille du Bosphore...jusqu'au vertige.

Elle y croise Aslı Erdogan, remise en liberté provisoire...et prête à de nouveaux combats...à moins qu'elle ne profite du passeport qu'on lui a enfin rendu pour contester la dictature en se mettant hors de sa portée.. 

Elle cherche dans les traces toujours sensibles du grand Hrant Dink des raisons d'espérer encore, jusque devant le tombeau de ce porteur de colombes...

Elle est contrainte de quitter son amant : le malentendu s'aggrave entre eux à mesure que l'étau politique se fait plus pesant.

Elle va faire la fête en ballerines dans la neige, tandis que le terrorisme,  qui vient de refrapper à  Nice,  tue violemment au Reina, une boîte huppée sur la rive occidentale du Bosphore -  la presse occidentale en parle à peine..

Toutes ces scènes se succèdent,  se chevauchent, dans  un parcours de plus en plus chaotique, gagné par l'entropie ambiante.

Le lecteur consciencieux, qui a tenté d'eclairer sa lanterne en cherchant qui sont tous ces personnages arrêtés, mis en garde a vue, traînés en justice, quels sont ces journaux, ces mouvements dont nous parle la narratrice, se perd bientot dans ce dédale de noms, d'événements, qui semblent familiers à l'auteure...

Encore que...

Elle aussi semble gagnée par la même bousculade, la même perte de repères, la même fuite  en avant..On l'a suivie, elle se perd:  nous voilà  nous aussi,  perdus dans cette ville captivante et maintenant  captive...

C'est cela, je trouve la grande force de ce récit. Sous ses airs de balade , de musardise fantaisiste , à la recherche d'un sujet, d'un amour, d'un réconfort, d'un plaisir- il nous emmène, nous  promène et nous perd dans un pays où la liberté se meurt.

Ce sont ses soubresauts qui l'agitent encore de leur révolte courroucée.

Le Sillon est le nom d'un journal, celui de Hrant Dink.

C'est aussi la trace qui rejoint désormais nos pays occidentaux à cet Orient si proche et si méconnu - bien  plus proche cependant après la  belle lecture de ce Sillon- trait - d'- union..
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