Un ouvrage dont j'ai particulièrement apprécié la sagesse.
Marc-Aurèle (et avant lui,
Epictète), prônent une forme d'impassibilité et d'acceptation à l'égard des événements de la vie. Il convient, en effet, de les accepter comme tels, et non de désirer qu'ils ne se produisent pas, car il est dans la nature des choses que les événements nous arrivent. Il faut simplement les accepter, et trouver en nous la force intérieure pour les traverser. de même, lorsque quelqu'un nous met en colère, ce n'est pas son comportement en soi qui est énervant, mais c'est notre jugement qui nous fait croire cela. Dans ses
Pensées pour Lui-Même,
Marc-Aurèle nous invite donc à nous débarrasser de l'opinion et du jugement, afin de mener une vie d'acceptation heureuse.
Toutefois, je me permets de critiquer certains aspects de sa philosophie (tel est le but d'une critique, après tout).
L'affirmation selon laquelle les Dieux existent, et qu'ils agissent toujours conformément à la sagesse et à la justice est à mon sens risquée, voir pour ce second point, dénuée de sens.
A mon sens, l'homme ne peut s'empêcher de penser qu'il existe forcément un Bien ou des êtres dotés d'un sens aigu de la justice et du Bien dans l'existence, afin de lui-même l'aider, l'homme, à surmonter les injustices et les cruautés de sa propre vie (et de l'existence dans son ensemble). A mon avis, il ne faut pas forcément croire que "tout vient à point à qui sait attendre" et que les événements (c'est-à-dire les transformations, les changements) arrivent selon la nature et la nécessité, mais il conviendrait plutôt de commencer par accepter que l'existence est fondamentalement injuste. Je ne dis pas qu'il faut avoir une attitude foncièrement pessimiste à l'égard de la vie, mais qu'il serait plutôt sage de considérer l'existence d'un regard limpide, c'est-à-dire réaliste. Allez-vous dire à un enfant qui s'est fait kidnapper que c'est dans la nature des choses, qu'il faut l'accepter et que le kidnappeur est le seul à souffrir de son péché ? Non, il est évident que cela l'affectera et qu'il n'y est pour rien. On ne peut pas tout contrôler, ni tout traverser impassiblement.
Toutefois, petite parenthèse, cette philosophie du changement perpétuel (qui est aussi présente chez les Bouddhistes) et qui stipule que la vie est un fleuve qui n'est jamais le même, permet de mieux accepter les changements de l'existence, comme faisant finalement partie de la nature des choses. Néanmoins, cette perception semble avoir quelques limites.
de même, je crois qu'il est impossible, ou du moins insensé, de vouloir se couper de toute sensation ou affectation. le stoïcisme, à mon sens, néglige bien trop le corps en faveur d'une tentative permanente de servir le bien commun, et d'agir selon sa propre nature humaine.
Je ne dis pas qu'il faut demeurer l'esclave de ses désirs et de ses passions, mais je crois que l'épicurisme est plus aisé à atteindre et plus rationnel du point de vue de ce que j'appelle "la positivité" (c'est-à-dire l'ensemble des sentiments, sensations, émotions et autres choses positives de l'existence). le stoïcien, lui, fait fi de tout ceci, et se contente de suivre sa raison seule vers le chemin tout tracé du bien commun.
Mais l'existence de l'homme doit-elle se résumer à servir une cause commune ? Ne peut-on pas penser un peu à soi, faire avec sa personnalité introvertie, par exemple, et accepter de s'isoler ? Doit-on toujours servir quelque chose de plus grand ? Ne peut-on pas simplement se contenter de maximiser notre positivité, tout en ne nuisant pas à celle des autres, et, au contraire, en tentant toujours d'accroître la leur, de positivité ?
S'affranchir des désirs, donc ne plus rien désirer (aussi bien que les choses bonnes arrivent que les mauvaises n'arrivent jamais), reviendrait en effet à être en paix avec soi-même. Mais l'homme peut-il réellement parvenir à cela ? le doit-il même ? Prôner l'impassibilité et la tempérance, en méprisant l'enthousiasme et la joie, cela ne reviendrait-il pas à mépriser le bonheur ? Pourquoi vivre, si c'est simplement pour raisonner et suivre un chemin de principes intérieurs tout tracé ? Je ne crois pas que nous puissions nous le permettre, car l'existence de l'homme n'est pas similaire à celle d'un automate. Nous avons des émotions, et la psychologie actuelle nous en montre toujours plus l'utilité (voir le livre de
Daniel Goleman : "
L'intelligence émotionnelle"). Elles nous permettent de prendre des décisions, et ce sont elles qui nous guident, directement ou indirectement, vers ce qui nous sied dans l'existence (un métier, un conjoint, une ville ou habiter, etc.).
Voilà ce qui me dérange dans cette philosophie. Toutefois, la richesse de ces
Pensées ainsi que la sagesse de certaines maximes est digne d'une lecture approfondie (ainsi que d'une réflexion introspective nécessaire à leur application dans la vie quotidienne).
J'apprécie également la chose suivante : le stoïcisme met un point d'honneur à vivre dans l'instant présent. J'emploie souvent une phrase pour illustrer cette façon de voir les choses : "la peine d'hier n'a pas sa place aujourd'hui, et celle de demain n'est pas encore venue". En gros, "à chaque jour suffit sa peine". Toutefois, dans le stoïcisme, cette peine est perçue au travers de nous, et nous sommes un filtre. Il est donc de notre devoir de nous fermer aux affects (aussi bien négatifs que positifs). En fait, cette volonté de vivre dans l'instant présent nous reconnecte à quelque chose d'essentiel.
En effet, seul ce qui est présent est contrôlable. Enfin, c'est ce qui est expliqué dans le stoïcisme. Toutefois, je trouve cela excessif de dire, par exemple, que ne pas être invité à un dîner ne dépend pas de nous, ou, plus généralement, que l'avenir est hors de contrôle. Une conduite aimable dans le présent peut maximiser nos chances d'être invité à manger chez un ami, et, d'une manière plus générale, l'avenir peut être assuré par la sage conduite dans le présent. Mais finalement, ce n'est que l'attitude présente que nous pouvons contrôler. Mais en fait, indirectement, nous avons un impact sur l'avenir (par exemple, avec les examens à l'université et les révisions).
Ce qui me semble surtout fondamental dans cette philosophie, c'est de détourner son attention de tout ce qui ne dépend pas de nous. Car en effet, quelle utilité à se plaindre, par exemple, du mauvais temps ? Pouvons-nous le contrôler ? Non. Alors pourquoi nous y attarder ? Néanmoins, cette philosophie a des limites sur ce point. Il est souvent mentionné que nos souffrances ne sont causées que par nous-mêmes plutôt que par autrui. Mais ce serait un mensonge, un aveuglement, que de se dire que si quelqu'un brûle votre maison, c'est dans la nature des choses ou alors c'est seulement lui que se pèche. On ne peut pas sourire à tous les événements de la vie. Si on subit un viol, on ne peut pas accepter l'événement en souriant et en considérant que c'est dans la nature des choses, et que les Dieux sont justes et sages, et donc qu'on doit demeurer impassible face à un tel traumatisme. L'extérieur n'est pas contrôlable, mais il convient, à mon sens, d'accepter qu'il nous affecte, plutôt que de faire comme s'il n'en était rien. Je ne crois pas qu'on puisse s'affranchir des désirs et des douleurs. Et tenter de se rendre insensible, c'est finalement se déshumaniser.
Car n'est-ce pas là, pour le stoïcien, un moyen pour lui de croire, à tort, qu'il a les pleins pouvoirs sur sa vie et sur ce qu'il s'y passe ? le libre arbitre de l'homme a des limites (handicaps physiques et mentaux, génétique, circonstances de l'environnement socio-économique, etc.).
Pour finir, je dirais que je recommanderai ce livre à n'importe qui, car les principes qui y sont énoncés auront au moins l'intérêt de vous faire réfléchir. Quitte à ce que vous ne soyez pas d'accord, vous commencerez en tout cas à comprendre comment vous souhaitez vivre votre existence (un peu comme moi grâce à ma lecture).
SHDB.