Dans les piles à (re)lire qui tels des cairns jalonnent l'habitation, au point de soulever l'incompréhension de celles et ceux qui ne sont pas lecteurs hyper actifs, il arrive régulièrement de céder à la tentation, de (re)découvrir un livre pas prioritaire et de bousculer le programme en cours. C'est le cas avec ce livre de Claire Marin «
Hors de moi ».
Plusieurs contributions de Claire Marin lues, suscitées notamment par cette période de crise sanitaire avaient déclenché un zoom sur cette philosophe romancière. Et tout récemment, par le plus grand des hasards (?) ce livre s'est présenté à mon regard.
Il s'agit d'un récit par lequel l'auteure expose son vécu d'une personne affectée d'une redoutable maladie auto-immune.
Comme Claire Marin le rappelle, la philosophie classique n'est pas d'un grand secours en ce qui concerne la maladie (p. 77 et 78). Nous sommes effectivement très éloignés du contrôle des stoïciens.
Montaigne ou aujourd'hui un
Alexandre Jollien sont des funambules de la souffrance. Dans un autre univers on pense naturellement à
Grand Corps Malade.
Claire Marin serait davantage une somnambule.
Dans «
Hors de moi » la retranscription de la maladie s'apparente plutôt aux «
Exercices de survie » de Jeorge
Semprun. Ce dernier livre traite de la survie dans la situation extrême de la torture mais si, fort heureusement, les épreuves subies par Claire Marin sont matériellement différentes, l'aliénation, la douleur, la solitude requièrent impérativement de puiser dans un puissant instinct de survie.
Le tribut à acquitter est d'abord une errance d'infinie solitude, une distance creusée par l'indicible qui taraude le quotidien. Même pour une personne pour qui les mots constituent la matière première de son activité, le silence est de rigueur car « la parole est toujours en retard sur le mal, malhabile, inadéquate » (p.25), question de pudeur aussi. de surcroît, l'entourage est à l'affût de mots trompeurs, le mal fait peur, il ne faut pas inquiéter, alors mieux vaut se taire. le point d'orgue est atteint la nuit, « Dans la journée on s'accroche (…) et l'on espère toujours que dormir calmera les sensations croissantes » (p. 32). Mais inévitablement, fatalement, la chute est encore plus nauséeuse la nuit. Et bien sur, l'auteure ne l'écrit pas, mais lorsque on a un peu de vécu comme « invité » hospitalier, on sait que ce n'est pas comme dans les séries télé médicales à succès, pas l'ombre d'une infirmière sexy (ou d'un médecin beau gosse) pour vous tenir la main, restriction budgétaire et productivité obligent. La nuit où chaque grain du sablier pèse une tonne.
On le sait aussi, la carte de fidélité hospitalière offre la cape d'invisibilité, « L'invisibilité est le premier mal dont souffre le malade » (p. 72) et quelque part c'est heureux car il faut abdiquer toute pudeur, le corps est sur exposé dans toute son intimité. « Que signifie encore être impudique pour celui qui a été patient ? » (p. 54). Patient, c'est le statut et le qualificatif qui conviennent à la perfection, apprendre la patience, à obéir, à attendre.
Un contraste violent avec l'hyper sensibilité de l'instant présent.
Dans ce tableau en « claire » obscur(e) la lumière peut adoucir et surgir quand on ne l'attend pas, « un matin sans raison particulière, le désir revient par surprise » (p. 59).
Certes, « les résultats biologiques ne sont pas meilleurs, l'amour n'est pas miraculeux. Mais la Passion exclusive de l a maladie est éclipsée par la Présence démesurée de l'Autre qui s'est invité dans votre vie et que vous ne voulez plus laisser partir. Et avec l'Immense apparaît l'espoir. Peu importe qu'il soit illusoire.» (p. 60)
Un livre authentique, courageux, qui conjugue la puissance et la retenue ; surtout il réussit à exprimer l'indicible,