"Des éléments subversifs... Vous êtes des officiers et vous devez comprendre ! " Ces phrases ambiguës qui autorisaient toutes les suppositions avaient plongé les officiers dans un océan d’incertitude et de doute. Quels éléments subversifs ? Et comprendre quoi ? Une mission militaire, on nous l’avait appris à l’Académie et nous-mêmes l’avions fait apprendre à nos élèves, doit être claire, nette et précise. Celle-ci se présentait comme un jeu de devinette dans lequel nous n’avions pas droit à l’erreur. Le directeur n’avait-il pas précisé que nous devions comprendre ?
Ce que nous avions oublié à l’époque, c’est que la méchanceté, la lâcheté et la bêtise humaine n’avaient pas disparu avec la fermeture de Tazmamart. Je savais bien que des policiers en civil surveillaient Marzouki, mais j’étais à mille lieues d’imaginer que son désir d’exorciser cette épouvantable période de sa vie allait lui attirer autant d’ennuis. Je n’avais donc pas mis le black-out sur ce travail commun et quelques personnes supposées de confiance étaient dans la confidence. Des proches m’avaient pourtant mis en garde en soulignant le caractère irrationnel de l’appareil répressif marocain. Mais je trouvais tellement naturelle et nécessaire la démarche d’Ahmed Marzouki que je me suis refusé au secret absolu. Cacher quoi et sous quel prétexte d’ailleurs ? Il me paraissait scandaleux qu’on puisse interdire à un homme marqué au fer rouge par l’épreuve d’en faire état ! D’autant plus que son témoignage n’était en aucun cas un règlement de comptes et qu’il ne s’attaquait pas directement aux institutions les plus sacrées du pays. J’avais sans doute tort. Ahmed s’est retrouvé au cœur de l’été 1995, quelques jours après la visite du président Jacques Chirac, kidnappé et emmené, comme au bon temps de MM. Oufkir et Dlimi, dans le sous-sol d’une villa du Souissi.
Enivrés par le climat d’anarchie qui régnait, ayant, une fois n’est pas coutume, la possibilité d’exprimer toute la frustration, toutes les haines et les rancœurs accumulées depuis leur enfance, les cadets se déchaînaient contre ces « bourgeois » qui les avaient toujours méprisés et ignorés.
Lors de ses inspections, Ababou terrorisait ses hommes et leur faisait vivre des moments de panique intense. Satisfait du rendement de l’un, il lui serrait volontiers la main, lui offrait son charmant sourire et l’appelait poliment par son grade :
— C’est bien, mon lieutenant ! Je vous prie de continuer…
Mécontent du travail de l’autre, il explosait instantanément comme un détonateur au contact du feu et jetait sa foudre sur lui sans le moindre ménagement...
La parole le libérait.
Durant toute cette période, j’ai eu le sentiment de participer à une thérapie. Tandis que la médecine classique le guérissait d’un ulcère à l’aide d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires, le verbe l’aidait à retrouver un minimum de confiance dans les hommes. L’amitié de quelques Européens, la chaleur et la générosité de rares Marocains l’ont aidé à reprendre pied et espoir.
[Polémique autour de livres sur Tazmamart]
Reportage. Annonce de la sortie de deux livres sur le tristement célèbre
bagne de Tazmamart, au Maroc. Un ancien
militaire,
Ahmed MARZOUKI, enfermé pendant 18 ans dans cette
prison, livre son
témoignage dans "
Tazmamart, Cellule 10" qui vient d'être publié. Il accuse aussi l'écrivain
Tahar Ben JELLOUN de n'avoir dénoncé cette situation qu'
après la mort d'Hassan II et donc, de n'avoir pris...