Nicolas Mathieu crée des personnages attachants, libres dans leurs quêtes et dans leurs émotions. Il sait faire couler l'histoire, la rendre fluide et légère comme une eau sur laquelle on se laissera volontiers emporter, soucieux seulement d'admirer au passage les merveilleux paysages que dessine, page après page, son récit.
C'est un livre à portée humaine et sociale, moderne dans ses réalités et dans sa description. Mené d'une main de maître, il est truffé d'expressions inattendues, de néologismes que permet le français moderne avec ses anglicismes aussi mais mis en italique, de trouvailles, et surtout, oui surtout, d'une poésie majeure capable de sublimer des moments qui sans elle seraient demeurés anodins.
"Elle avait servi beaucoup cette nappe des dimanches et à Noël, pour le gigot pascal, des occasions et des fêtes. Elle avait vu des hommes boire des vins de garde et bâfrer des viandes en sauce, des hommes avec leurs grosses pattes, leurs engueulades politiques, des rires d'ogre le cul vissé à leur chaise (…) Sur cette nappe des mains d'enfants avaient couru, des doigts humides de salive qui ramassaient les miettes de pain entre la poire et le dessert. On y avait vu défiler des mets de familles prospères et simples, potées, choucroutes, boeufs bourguignons, et beaucoup de bonnes bouteilles. Autour d'elle des corps avaient rapetissé, des maris était morts de vieillesse, des gemmes de chagrin, et inversement. La nappe aurait pu tout raconter. (…) Des héritages avaient tués des fratries, des crises s'étaient succédé pour rien, on avait versé des larmes et un peu de sang, perdu des sous et refait sa vie, le temps avait passé, mais la nappe était restée blanche."
Avec
Nicolas Mathieu le lecteur n'est plus seulement spectateur mais placé devant
un miroir qui lui renvoie, souvent avec humour, sa propre image.
La trame oppose deux destinées qui au bout de quelques années se recroisent,
mais dépouillés cette fois de leurs illusions de jeunesse, coincés dans leur peau de
parents, d'athlète vieillissant, de professionnelle aux prises avec un machisme
qu'on devine typiquement français. Une oeuvre humaine où l'action n'a pas
priorité. Pourtant l'intérêt de cet ouvrage est constant par son dynamisme, par la
pureté de son style et par la force des images évoquées à chaque page.
Bref,
Connemara se lit sur parole, il nous captive, nous instruit, nous déride. C'est
une oeuvre à la hauteur du prix Goncourt obtenu par son auteur dès son second
ouvrage.